Journal en temps de coronavirus: Patville Le Feuilleton, un feuilleton fiction, écrit par Yves Carchon, autour du coronavirus. Retrouvez l’intégralité du chapitre 132 « Un petit protégé». A suivre tous les vendredis.
Patville, Journal en temps de coronavirus
Chapitre 13 : Un petit protégé
Dans sa cellule, le Rat l’avait mauvaise. Reno aurait dû être là avec la marchandise. Et de nouvelles filles, pour faire bon poids. Le margoulin l’avait promis. Il avait même consenti, pour preuve de sa bonne volonté, de baisser un chouia le prix du sac de coke.
Tout ça, évidemment, ne s’était négocié que par le biais du gardien-chef Murphy. Oui, mais voilà : les accords c’était bien, il n’y avait pas plus d’arrivage de coke que de beurre à la broche ! C’était quoi l’entourloupe ? Murphy s’était pourtant porté garant… Pourquoi la came n’était pas là ?
Le Rat avait voulu en avoir le cœur net. Par l’entremise des matons, il avait fait savoir — et sur un ton qui ne pouvait admettre la moindre discussion, qu’une rencontre avec Murphy s’imposait dans l’urgence. Il avait, lui, le Rat, à lui parler, au Chef. Entre quatre-z-yeux.
Enfin, ce n’était pas exactement ainsi que Le Rat l’avait signifié. N’ayant reçu aucune éducation, — à part celle de la rue, il avait craché des mots secs de derrière ses barreaux au gardien désigné.
— Hey, mec ! Oui, toi !
Le maton, alpagué par la poigne du Rat, nez écrasé sur l’arête d’un barreau, avait dû se résoudre à l’écouter attentivement. D’autant qu’il l’avait agrippé du crochet de sa main et que celle-ci s’apparentait à une serre.
— J’aimerais jacter avec Murphy, tu piges ! J’ai deux mots à lui dire ! J’te préviens, on s’fout pas de la gueule du Rat ! Tu décanilles et files illico le chercher ! Magne-toi ou je te fais bouffer tes couilles ! »
Voilà, pour être plus précis, comment il avait présenté les choses, Le Rat, avec sa trogne de musaraigne déformée par la haine.
Le maton, relâché par Le Rat, s’était esquivé aussitôt, sentant que ça urgeait et qu’il y avait de l’orage dans l’air.
Il ne croyait pas si bien dire !
Après une bonne semaine de vent ayant fondu sur l’enceinte du bagne, la pluie avait pris le relais. Mais pas une petite pluie : une grosse tourmente, à inonder les miradors et à détériorer le réseau électrique du bagne. Par chance, Blackstone avait eu la sagesse de demander aux services du comté d’installer un groupe électrogène, à seule fin de pallier un quelconque incident.
Dans les annales pénitentiaires, une telle situation s’était déjà produite et elle s’était soldée par une émeute. Dont acte, avait pensé Blackstone. Les faits des derniers jours avaient donné raison au directeur d’Oraculo.
Le groupe avait ainsi pallié cette panne électrique, en se mettant rapidement en marche. Blackstone savait qu’avant que les réparations se fassent sur le réseau, il y avait à parier que de l’eau coulerait sous les ponts. Et justement, de l’eau, ils ne risquaient pas d’en manquer !
Ici, dans le désert, la pluie ne durait guère. C’était souvent une brève radée qui déversait son plein et s’arrêtait, laissant place au soleil qui séchait rondement toute chose. En moins d’une heure, tout était sec, au point qu’on se demandait même s’il avait vraiment plu ! Les lézards ressortaient de leurs trous, les crotales se chauffaient au soleil.
Les cactus s’égouttaient, paraissant s’ébrouer, et le sable du désert retrouvait sa clarté. Mais cette fois-là, il semblait bien qu’elle se soit décidée à faire une exception, la pluie. Et elle avait vu grand !
Jour après jour, Oraculo avait été douché copieusement et trempé jusqu’à l’os, avant d’être transformé en un immense cloaque où chacun pataugeait. A l’extérieur du camp, les détenus avaient dû cesser leurs travaux, contraints de vivre dans l’enceinte, en restant consignés tout le jour.
Le vent avait soufflé pendant des jours, semant des vagues de sable dans la grande cour et s’immisçant dans les coursives. Il s’était infiltré de partout : dans les cellules, dans les châlits, jusques dans la cantine où, quand on mâchouillait sa purée de pois chiches, un peu de sable s’écrasait sous la dent. Il crissait sous les pas, s’infiltrait dans les douches, créant ici ou là de vraies phobies chez certains détenus.
Beaucoup étaient nerveux. Plus que nerveux : à cran. La pluie n’avait pas arrangé les choses, ayant contraint chacun à devoir rester confiné. Et elle durait, cette pluie, avec, pour compléter le tout, la came qu’on attendait et qui n’arrivait pas. Le manque était palpable, de quoi rendre foutraques les plus soumis tôlards.
Après la visite de Reno et la montée de fièvre qui l’avait orchestrée, tout était retombé d’un coup, grâce au sagace et patient savoir-faire de Murphy, qui n’avait pas traîné à rendre compte au Rat de la promesse faite par Reno de livrer la coke sous deux jours.
Sachant que sa démarche saurait flatter l’ego du Rat, il s’était déplacé pour l’informer de la situation. Tout pénétré de vanité, Le Rat avait cru voir dans cette démarche un signe de déférence à son égard, ce qui l’avait calmé et l’avait engagé à mettre au pas ses affidés. « Comme quoi, avait pensé Murphy, même le plus braque des tordus est sensible à la flatterie. »
Le gardien-chef avait évalué la bête. Rusé, Le Rat, mais pas intelligent. Présomptueux et ne se prenant pas pour une merde. Un ego monstrueux, capable de boucher les chiottes d’Oraculo dans leur entier. C’était là son point faible, son principal défaut, s’il l’on exceptait sa fatale dépendance à la came.
A chaque fois qu’il y avait un hic, Murphy usait de flatterie à son égard, pas par les mots — subtilités qui seraient passées au-dessus de la tête du Rat, mais par des codes que ce rongeur flairait, reconnaissait, sans jamais pour autant les comprendre.
Se pointer jusqu’à sa cellule et parler avec lui d’homme à homme faisait partie des codes. L’inverse aussi avait d’ailleurs un sens : si Murphy s’abstenait d’aller trouver Le Rat, ça signifiait en creux qu’il n’en avait plus rien à battre, qu’il l’ignorait en somme, et donc que celui-ci n’avait plus qu’à se faire reluire dans son gourbi.
Le message passait bien et Le Rat se calmait aussitôt. Pas de hauts cris, pas de violence qui n’auraient fait que nourrir un peu plus la paranoïa du bagnard. Ainsi avaient été fixées leurs relations.
Ayant rendu visite au fou furieux pour mettre les choses au point, Murphy avait prévenu Blackstone des problèmes provoqués par la mort brutale d’Alan et du pourquoi la drogue n’était pas arrivée. Le directeur d’Oraculo l’avait reçu dans son bureau, en lui offrant une rasade de cet étrange mezcal que distillaient les détenus à l’occasion, — et qu’ils vendaient à un prix dérisoire, prétendument sous le manteau, loin de tout règlement.
Sur ordres de Blackstone, chacun fermait les yeux, à commencer par les matons. Alcool qui, à chaque fois, donnait des maux de tête au gardien-chef.
— Merci, avait-il dit, voyant que l’autre lui versait une bonne dose.
Blackstone s’était marré.
— Vous n’aimez pas notre mezcal maison ?
— Pas trop.
Le directeur avait levé son verre, avant de l’enquiller cul-sec. Murphy avait fait mine de tremper ses lèvres, en tirant la grimace, rien qu’à l’odeur d’alcool.
— Alors ? s’était enquis Blackstone. Cette livraison de came a-t-elle été réglée ?
— Reno s’est engagé à la livrer ! On peut penser qu’il ne traînera pas. M’est avis qu’il a dû se faire remonter les bretelles en haut lieu !
— Tant mieux ! J’ai eu vent de l’affaire ! Le père d’Alan Cooper veut mettre son nez dans nos affaires ! Et ça, je n’en veux pas ! Le Comté est d’accord avec moi ! Nous n’allons pas laisser ce vieux débris piétiner nos plates-bandes ! Ils m’ont d’ailleurs promis de veiller sur Reno ! Votre petit protégé ne devrait donc plus tarder !
Murphy n’avait pas relevé. Il était bien content, Blackstone, d’avoir ce protégé ! Un protégé qui avait toute sa place dans leur dispositif. C’est en partie sur lui que reposait le fragile équilibre entre les détenus et l’administration d’Oraculo, la drogue restant le seul moyen de pacifier cette racaille.
Ce mot-là : pacifier, était sorti un jour de la bouche de Blackstone. Murphy en avait mesuré la tournure cauteleuse. Il s’était dit que son chef direct se donnait pour mission d’anéantir les racines guerrières de ladite racaille.
Dans tous les cas, la came était leur atout maître. Sans came, pas de paix garantie. Certes, les travaux forcés en lessivaient plus d’un. Et le fonctionnement du bagne, basé sur d’implacables sévices, avait jusqu’à présent cassé les plus rétifs. Mais sans la dope, Oraculo aurait craqué de part en part et sans doute implosé.
Oui, avait cogité Murphy, la Providence avait permis que Le Rat un beau jour eût croisé la route de Reno et que, de cette rencontre, soit né un semblant d’ordre entre ces murs. Enfin, du moins, ce semblant d’ordre impliquait-il dans son esprit que l’ordre restait des plus précaires et qu’il pouvait à tout moment être remis en cause.
Blackstone partageait-il la même appréhension ? Pas sûr. Il le sentait rigide, droit sans ses bottes, comme aveuglé par son omnipuissance. Ayant verrouillé toute volonté de redresser l’échine, — c’étaient les propres mots de Blackstone, l’autocrate qu’il était pensait tenir toute cette racaille sous son impitoyable férule.
Mais lui, Murphy, savait que la vie d’un despote ne tient pas à grand-chose. Voilà pourquoi il composait avec quelques caïds régnant sur la troupeau et notamment avec Le Rat.
— Finissez votre verre, dit Blackstone, en s’en resservant un.
Murphy n’eut pas à lui répondre. On venait de frapper à la porte du bureau.
— Entrez ! avait crié Blackstone.
La tête du maton envoyé par Le Rat était apparue dans l’encadrement de la porte, ne sachant trop s’il pouvait entrer.
— C’est pourquoi ? avait jappé Blackstone.
— C’est au sujet de Hayes… enfin Le Rat… Il cherche à rencontrer le Chef, pour une affaire urgente…
Blackstone, l’œil interrogateur, avait voulu comprendre.
— Affaire urgente ? C’est quoi, encore ?
Murphy avait poussé un gros soupir.
— A chaque fois, c’est la même chose ! J’imagine qu’il est à deux doigts de nous faire une crise ! Et dans ce cas, on appelle Murphy ! Mais pour ce soir, je ne vois pas en quoi je peux l’aider !
— Vous n’êtes quand même pas sa nounou, avait ironisé Blackstone.
— Ce que je sais, c’est qu’avec ce foutu temps, la coke aura un gros retard ! Vous avez vu cette pluie ? Il faut qu’Hayes le comprenne !
Il se tourna vers le maton.
— C’est bon ! Dites au Rat que je suis occupé !
L’autre avait disparu, sans demander son reste.
Ce que ni Murphy, ni Blackstone ne savaient, — nous le sûmes bien après, quand Le Rat eût passé aux aveux— c’est qu’au moment où ils s’entretenaient dans le bureau, un détenu à la solde du Rat, ayant appelé un gardien pour une vague histoire de châlit, avait molesté celui-ci à travers ses barreaux et avait pu pêcher dans sa poche de vareuse les clés libératrices de sa cellule. Après avoir reçu son compte, le maton piétiné avait été traîné dans une cellule. Le Rat, libéré aussitôt, s’était chargé d’assommer deux autres matons. Dans cette aile du bagne, piaffant dans les coursives, une quarantaine de détenus était donc prête à s’emparer des rênes d’Oraculo.
Mais il fallait rallier les autres, se situant dans l’autre partie du bâtiment. Le Rat y avait dépêché une quinzaine de ses hommes, des types sans foi ni loi, capables de mourir pour lui. Plus ils seraient nombreux, plus ils auraient une chance de réussir leur coup. Mais il fallait aller très vite, jouer l’effet de surprise. Quand l’administration bougerait et comprendrait enfin qu’il lui fallait mater une mutinerie, les dés seraient déjà jetés.
Le coup avait été monté de longue date. Dix jours plus tôt, bien avant le ramdam des casseroles, avaient circulé des mots d’ordre qu’avait transmis Le Rat à ses alter ego, des caïds comme lui, aussi déterminés à tout brûler dans ce putain d’enfer et à se faire la malle.
Des tarés comme lui, n’ayant plus rien à perdre et prêts à en découdre avec la terre entière. La mort n’aurait pas pu les arrêter, car il l’avait déjà vécue, la mort, ici, dans ce désert. Une mort lente et insidieuse, une mort de tous les jours, et ça, ils en avaient leur claque !
Il leur fallait d’abord avoir accès à l’armurerie pour liquider un max de matons avant que de monter à l’assaut du bureau de Blackstone. Le Rat s’était promis de s’occuper personnellement des empafés qui dirigeaient Oraculo, plus particulièrement Blackstone, se demandant si cette couille molle de Murphy ne ferait pas l’affaire comme giton. A cette pensée, il avait grimacé son torve sourire de musaraigne.
Il n’en était pas encore là. D’abord l’armurerie ! Une fois les armes en mains, le sort des deux crevures en chef serait réglé ! Il en tremblait, tant il était tout à la fois tendu et excité, Le Rat. Dire qu’à ce moment-là il jouissait n’était pas abusif. En rameutant ses troupes, Hayes avait frémi d’aise. Du sang allait couler. On parlerait de lui dans un proche futur, comme d’un putain de chef de guerre ayant cramé Oraculo.
Selon ses dires, qui avaient recueillis dans l’interrogatoire de Jeff Collins, l’autre aile du bagne n’avait pas tardé à se libérer de ses chaînes. Bien vite, une soixantaine de fous furieux s’étaient rués sur la fameuse annexe où l’on entreposait les armes.
Mais pour y accéder, il leur fallait se mettre à découvert pour traverser la cour de promenade. Mais là aussi, ils avaient eu du bol. Le Rat avait appris, deux jours plus tôt, qu’aucun maton n’était en poste dans les miradors, à cause de la pluie, et notamment dans ceux ayant vue sur la cour, totalement inondés.
Les mutins, ivres de liberté retrouvée, s’étaient jetés dans la tourmente et avaient cavalé comme des possédés jusqu’à l’annexe. Et les matons de garde, les voyant arriver, avaient été vite dépassés devant leur déferlante et, avant même qu’un seul n’ait pu saisir son arme pour alerter le camp, ils avaient tous été tués ou massacrés.
Dès lors, chacun avait pris un fusil, bien décidé à faire le coup de feu. Mais désormais il fallait encadrer au plus près cette armée de démons. Le Rat, aidé de ses lieutenants, les avait regroupés dans l’immense réfectoire.
Il n’était pas question que le comté envoie la troupe pour mater leur révolte. Le Rat voulait non seulement la peau de Blackstone et Murphy : il aspirait de toutes ses fibres à ce qu’Oraculo ne soit bientôt que cendres.
Patville, un feuilleton signé Yves Carchon, écrivain, auteur de « Riquet m’a tuer« , de « Vieux démons« , de « Le Dali noir », et de son nouveau polar « Le sanctuaire des destins oubliés »
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France has opened up the border, so the lorry traffic started to flow again.
For how long ?
ah ce covid il partout même avec les rats
mais avec la tempête que j ‘ai au dessus de ma têt il vat s « envoler
bonne soirée Bernie
kénavo
si seulement la tempête le faisait disparaitre
Le Rat, Blackstone et Murphy sont fort bien croqués, on se croit avec eux à dealer la drogue pour des gangsters sapés comme dans « Scarface » c’est bon, flippant et çà dépote sec avec des répliques qui fusent et qui claquent ! Merci Bernie. PS; je viens d’extraire un second single de l’album !
super
Toujours aussi bien écrit et on est pris dans l’histoire !
merci
Passe une bonne journée Bernie
toi aussi, merci
il va avoir du mal à l’arrêter son feuilleton, puisqu’il y a de grandes chances à un nouveau re confinement, une feuilleton qui parait sans fin….hihihi….passe une bien agréable journée de ce mercredi
La suite en janvier avec un chapitre par semaine…
Et quand il s’agit aussi de coke, on aime pas les retards 😉 merci, jill
absolument