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Covid-19 : Patville Le Feuilleton | Chapitre 9 | Chagrin d’amour

Journal en temps de coronavirus: Patville Le Feuilleton, un feuilleton fiction, écrit par Yves Carchon, autour du coronavirus. Retrouvez l’intégralité du chapitre 9 « Chagrin d’amour». A suivre tous les vendredis.

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Patville, Journal en temps de coronavirus

Chapitre 9 : Chagrin d’amour

La terrasse franchie à la suite du vieux, Collins était entré dans la grande maison et s’était étonné de son extrême fraîcheur. De larges et hautes fenêtres étaient ouvertes, laissant passer un petit air qui venait du jardin, filtré par l’imposant feuillage des grands arbres. Les sycomores avaient toujours bluffé Collins, autant par leur hauteur que par la majesté de leur branchage. Et il aimait ces arbres comme de vigoureux vieillards pleins de sagesse. Ceux-ci auraient sûrement des choses à dire, s’ils avaient la parole, se disait-il parfois.

Passant près d’une fenêtre, il sentit courir sur la peau de ses bras un très léger zéphyr, porteur d’un lourd parfum de fleurs suaves. A la faveur du rideau blanc aux motifs ajourés, qui doucement se soulevait, il aperçut les campanules bleues d’un luxuriant jacaranda. Il comprit d’où venait l’odeur délicate emplissant la maison : de l’exsudat que distillait les campanules.

La clarté de la pièce baignait un mobilier plutôt rustique, ornant habituellement les maisons coloniales. Ici une tablette, là un divan finement tapissé. Quelques trophées : une tête de caribou et les grands bois d’un cerf, pendus aux murs. De rares tableaux, représentant pour la plupart des scènes de chasse.

Et, sur un mur très clair, le beau portrait en pied du fondateur de la lignée Cooper, James Archibald Cooper, inscrit en toutes lettres sur la dorure du cadre. Collins avait noté la fière allure des colonnades blanches qui ceignaient la maison, lui rappelant celles du Capitole qui figuraient sur les calendriers des Postes. Mais en les observant et en jetant un œil au portrait de l’illustre Cooper, il y avait trouvé l’écho feutré d’une splendeur passée, à jamais écornée par le train de ce monde.

Marchant devant, Cooper s’était tourné de trois-quarts vers Collins.

— Il est là-haut, avait-il dit, en ouvrant une porte et en montrant l’étage.

Ils s’étaient retrouvés dans une sorte de bureau assez sombre. Jeff avait deviné qu’une importante bibliothèque couvrait un pan de mur entier. Probablement, le saint des saints du maître des lieux. Au fond de ce petit bureau, un escalier en bois d’érable conduisait à l’étage.

En haut, J.Cooper se signa avant d’entrer dans une chambre faiblement éclairée. Jeff le suivit, en ôtant son chapeau. Etendu sur un lit bien trop grand gisait Alan que Jeff reconnut aussitôt. Visage cireux, traits soulagés : le fils Cooper avait trouvé l’apaisement.

On l’avait habillé de frais, il semblait tout propret et content, comme quand il se rendait au temple de son vivant. « Oui, le voilà fin prêt ! », s’était dit Jeff. C’est en tout cas ce qui lui avait traversé l’esprit. Ce genre de choses qui viennent souvent quand on se trouve en présence d’un mort. Bizarres et drolatiques.

Il s’était tourné vers Cooper.

— Navré, monsieur Cooper, de vous imposer cette corvée !

— Vous faites votre métier, Collins. Vous vouliez voir Alan. Eh bien, voilà ! C’est chose faite !

Il en avait vu d’autres, sans doute, le vieux Cooper. Mais perdre un fils aussi brutalement n’était pas chose facile. Non, ça, Collins pouvait l’entendre, même si Cooper tentait de jouer les farauds. D’autant un jeune garçon comme Alan Cooper qui n’avait pas trente ans.

Mais Jeff était resté sur la réponse du vieux qui parlait de « chose faite » et qui, de cette manière, l’éconduisait. Il s’était apprêté à sortir de la pièce et à mettre son chapeau, quand Cooper l’avait arrêté.

— Pour tout vous dire, j’aimerais vous parler de mon fils. Ça ne pourra pas manquer de vous servir dans votre enquête ! Je crois savoir pourquoi Alan se livrait au trafic de coke… Mais suivez-moi, je vais vous montrer mon haras ! Nous bavarderons en chemin !

Ils retrouvèrent le rez-de-chaussée, la grande pièce où flottaient les subtiles fragrances émanant du jardin, la clarté inondant toutes choses, tranchant avec l’ombre feutrée qui entourait le mort du haut. En attendant que le propriétaire des lieux demande une voiture, Collins eut un regain de sensuel plaisir. Mais le regard austère tombant du cadre où veillait Archibald lui gâcha son plaisir.

— Oui. La calèche suffira ! Dites à Pablo de nous récupérer au bas de la terrasse, lança Cooper au téléphone.

Jeff put noter que J. Cooper avait repris son ton autoritaire d’homme de pouvoir. Il n’était déjà plus le père portant le deuil de son fils, mais le royal potentat, éleveur de chevaux, sûr d’être dans son droit.

La calèche s’était rangée en bas des marches, tirée par un cheval bai à la crinière noire. Une magnifique bête conduite par un nabot au teint très mat et aux joues hautes.

— Cómo está, Pablo ? dit J. Cooper, sur un ton faussement amical.

— Muy bien, señor !

Pablo, d’un petit coup de rêne, lança son attelage à petits trots.

Dans la calèche les emportant jusqu’au haras, par un chemin allant se perdre sous la frondaison d’abondantes fougères, J. Cooper s’était mis à soliloquer, mais comme s’il parlait à un autre lui-même. Jeff, avachi dans la calèche qui cahotait, l’écoutait, goûtant distraitement à la fraîcheur du lieu.

« — Alan avait un faible pour les chevaux. Il tenait ça de son grand-père, James Archibald. Dès son jeune âge, il aimait les monter. A six ans, il était en selle et se montra plutôt doué. Plus tard, il voulut les dresser et fit merveille en ce domaine. Un Cooper, voilà ce que représentait pour moi ce fier garçon. Pas comme Harold, mon deuxième fils qui, lui, tirait du côté d’Amanda, ma toute première épouse…

Je dis « tirait » car il a bien changé depuis… Mais pour Alan, il est toujours resté le même. Un enfant impatient et nerveux, ne supportant pas la plus petite autorité. En grandissant, comme tous les garçons de son âge, il aimait la bagarre, se mesurer avec les gars qui travaillaient dans les champs de tabac… Les ouvriers de Lee Sanders…

Des rudes et des costauds… Il revenait souvent la tête en sang, en clopinant, ayant reçu sa part de coups et d’ecchymoses… Bref, il menait alors une vie de jeune blanc-bec, cherchant à s’affirmer sur tous les autres. C’est vrai aussi qu’il détestait l’étude, qu’il m’avait imploré de ne plus l’envoyer au lycée du comté. J’avais cédé, pensant qu’il serait plus utile au ranch. A tort. Aujourd’hui, je peux dire que ce fut là ma plus fatale erreur… Là-bas, il aurait certainement appris la discipline, la vie en groupe, que sais-je… »

Il s’arrêta d’un coup, les yeux fixés droit devant lui, car à la courbe du chemin, une tige de fougère ployait dangereusement et obstruait la voie. Il s’extirpa du siège de la calèche et posa une main ferme sur l’épaule de Pablo.

— Atención Pablo ! El helecho ! cria-t-il.

Mais Pablo avait fait un écart, hochant tranquillement la tête, et il avait lancé un apaisant : « Si, si, señor ! » après avoir lâché la bride à son cheval.

J. Cooper se rassit en s’agrippant au siège. Collins faillit l’aider mais il retint son geste. Pas sûr qu’il aurait apprécié. Il était de la race des vainqueurs. Donc Jeff se garda bien d’intervenir.

Au loin, il avait aperçu des bâtiments en dur se profilant entre les arbres. Ils étaient arrivés, pensa-t-il, mais il restait encore une longue ligne droite durant laquelle le vieux avait repris sa litanie. Collins se demanda s’il apprendrait grand-chose en l’écoutant. Peut-être Cooper ne voulait-il que se défaire du poids qu’avait été Alan. Mais il tendit l’oreille, ne voulant perdre la moindre miette de ce que racontait le vieux.

 « Evidemment, très vite, les chevaux ne lui ont plus suffi. Il s’est mis à courir le jupon et a dû engrosser plus d’une fille travaillant dans les champs chez Sanders. De pauvres filles. Au début, ça avait dû flatter mon orgueil de père. Au moins, Alan était un mâle, un vrai. Ces sortes d’idiotie, vous comprenez, Collins…

Jusqu’au jour où il a rencontré Bridget, une cousine d’un des fils Peterson, famille dont la fortune s’est bâtie grâce au Chemin de Fer… Comme il se doit, il en est tombé amoureux… Seulement voilà : elle, pas du tout. C’est là que s’est noué le drame de sa vie et c’est à cause de ce chagrin qu’il s’est jeté dans la débauche et dans la drogue… »

La calèche s’arrêta dans une petite cour où vaquait un homme de peine et d’où l’on pouvait voir l’enfilade de box qui composait le haras de Cooper. Un long chemin en terre battue en traversait toute la longueur et menait au corral dont on apercevait l’enceinte en bois. D’un box, un garçon d’écurie apparut, tenant un beau cheval par la bride. Collins pensa à un cheval descendant du Mustang.

A la suite du vieux, il avait sauté de voiture, laissant Pablo à la manœuvre pour la garer sous les ombrages. Et il avait suivi Cooper qui s’était proposé de lui faire découvrir son important cheptel. Passant devant les box d’où émergeaient des museaux de chevaux, on entendait les claquements de leurs sabots à l’intérieur des stalles. Certains piaffaient, sachant que le palefrenier n’était pas loin. Devant eux trottinait le Mustang, guidé par l’impassible lad. « Un Indien mâtiné Mexicain, » avait pensé Collins.

— Vous voyez, ce cheval ? C’est un Camarillo, lui avait dit Cooper.

— Une belle bête ! avait remarqué Jeff, l’œil rivé sur la croupe du cheval.

En marchant, le vieux Cooper avait souri, puis il avait posé ses petits yeux sur Jeff.

— Vous aimez les chevaux, on dirait ?

— Beaucoup.

— On devrait donc s’entendre !

 

Arrivé à hauteur du corral, où s’ébrouait une centaine de chevaux, Jeff perçut comme un frémissement qui parcourut la troupe équine. Certains avaient levé la tête, naseaux au vent, quand d’autres rappliquaient déjà d’un pas tranquille jusqu’à l’enclos. L’un d’eux hennit. Chacun, à sa façon, réagissait à leur approche. L’odeur prégnante qui montait de la terre vint le cueillir à froid, odeur que Jeff n’avait jamais bien sue s’il l’aimait ou pas.

 

Cooper avait posé son pied botté et ses deux bras sur le bois de l’enclos. Pensif, il observait son grand troupeau comme un père ses enfants. D’un œil clair et impassible, mais avec quelque chose qui, dans l’éclat de sa pupille, avait tout lieu de ressembler à une réelle tendresse.

Oui, Jeff avait surpris dans l’œil pourtant sévère du vieux, un petit rien s’apparentant à une sourde et profonde émotion. Un friselis avait titillé les narines de Cooper, imperceptible, — comme une saute d’air vif qui aurait caressé les naseaux d’un cheval.

Il se tourna vers Jeff, en montrant son corral.

 

— Vous avez là, Collins, le travail de cent ans ! Cet élevage, c’est moi qui l’ai créé ! Mon père a certes ouvert le feu… De mon côté, j’ai fait plus que ma part ! Je pensais bien qu’Alan reprendrait le flambeau…

Mais non ! Pas plus que je n’ai pu compter sur mon deuxième fils, Harold… Il a préféré déguerpir pour aller faire son Droit ! Son Droit, je t’en ficherai ! Le ranch, les chevaux ne l’ont au fond jamais intéressé. Pas comme Alan ! Ah, lui aurait été taillé pour assurer ma succession ! Seulement voilà ! Pourquoi a-t-il fallu qu’il rencontre ce Reno ?

Collins, accoudé à l’enclos, sursauta.

— Vous avez dit : Reno ?

— Mais oui, Reno ! Celui qui livre Oraculo en coke !

 

Collins se redressa.

— Mais…vous le connaissez ?

 

— Sa réputation le précède ! Un type sans foi, ni loi, qui mène son trafic impunément. Je crois savoir qu’on couvre son business au chef-lieu du comté…

 

Collins hocha la tête.

— C’est ce que je pense aussi. Il doit bénéficier, là-bas, de gros appuis… Il y a pourtant un hic, monsieur Cooper, car moi, j’aimerais le coincer, ce Reno !

 

Le vieux parut ferré.

— Si je peux vous aider, lâcha-t-il.

— Volontiers, lui dit Jeff.

— Accord conclu ! C’est lui le responsable de tout, reprit Cooper. Sans lui, Alan n’aurait jamais touché à un gramme de coke !

— A deux, nous devrions venir à bout de cet escroc, conclut Collins.

— J’y compte bien ! Tant que cet assassin ne sera pas sous les verrous, Alan ne sera pas vengé !

Patville, un feuilleton signé Yves Carchon, écrivain, auteur de « Riquet m’a tuer« , de « Vieux démons« , de « Le Dali noir », et de son nouveau polar « Le sanctuaire des destins oubliés »

yves carchon ecrivain

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