Covid-19 : Patville Le Feuilleton | Chapitre 19 | Le procès

Patville Le Feuilleton, un journal fiction, écrit par Yves Carchon, en temps de la pandémie du coronavirus Un nouveau chapitre à suivre, tous les vendredis.

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Patville, Journal en temps de coronavirus

Chapitre 19 : Le procès

Quand les hommes de Jeffries s’étaient positionnés pour stopper les taulards, Collins, l’apprenant, avait dû rectifier le tir et remettre un peu d’ordre au village. Il n’était pas question de laisser agir une milice à Patville, même si Cushing et lui savaient que dans l’esprit du vieux Cooper, c’était la seule chose à faire.

Jeff connaissait trop bien les gens d’ici, notamment les fermiers des Terres Hautes, pour ne pas les comprendre. Ces familles-là avaient eu pour aïeux des lignées de colons et étaient prêtes à tout pour conserver leurs terres. Mais cette époque-là était passée. Désormais, il leur fallait se conformer aux lois, et ça, Collins était bien décidé à leur faire entrer dans le crâne. On n’en était plus à l’époque héroïque, à la défense de son bien à la force du fusil !

Maintenant on devait gérer ce pays. Les armes étaient uniquement portées par les représentants de la loi, dans le seul but de protéger l’intérêt général. Bref, le maire Jo Cushing avait dû faire le point dans son bureau avec Jeff Collins. Tous deux étaient tombés d’accord : il fallait signifier à Cooper que ses hommes de main n’avaient rien à faire à Patville.

— Collins, c’est à vous de faire le ménage, avait conclu Cushing en soupirant, alors que Jeff sortait de son bureau.

Il s’y était collé, ne pouvant plus couper à une virile explication avec Jeffries. Mais Jeff avait au moins l’aval du maire, donc les coudées plus franches. Sortant de la mairie, il avait fait un saut à son bureau pour y chercher son étoile de shérif.

— Elle est où mon étoile ? avait-il demandé en fouillant son bureau.

Emy avait levé la tête de son fanzine.

— Dans le tiroir du bas !

Collins, l’ayant trouvée, se l’était épinglée sur le torse. Puis il était sorti au grand soleil, apercevant Jeffries en embuscade au coin de la grande rue.

— Vous faites quoi, au juste, avec votre quincaillerie ? lui avait-il lancé.

Jeffries avait tourné la tête, alors qu’il s’assurait que tous ses gars étaient en place. Et il avait vu arriver Collins, le chapeau sur la tête et arborant son insigne de shérif.

Une fois à sa hauteur, Collins avait repris :

— Vous faites quoi, Jeffries ? Vous vous croyez dans un western ?

— On fait ce qu’on doit faire, avait grimacé Josh Randall.

— Pas sûr ! La troupe a été envoyée là-bas pour régler le problème ! Vous n’avez rien à faire ici !

— Moi, je m’en tiens à ce qu’a ordonné Monsieur Cooper ! avait argué Jeffries, crachant un jet de chique.

— Ok, on va le joindre, Monsieur Cooper ! En attendant, remballez vos fusils !

Un coup de téléphone au vieux avait suffi pour renvoyer Jeffries et ses gros bras dans leurs pénates, d’autant que des nouvelles fraîches qui provenaient du bagne leur étaient parvenues. Et pas des moindres ! La troupe tenait solidement en mains Oraculo et avait réduit les mutins. De quoi rassurer un bon nombre d’habitants, ceux notamment ayant choisi par précaution de se barricader chez eux, la carabine chargée.

M. O’Hara, comme d’autres citoyens, s’était refusé à armer son fusil. Mais la plupart, logeant dans la grande rue, avaient fermé leurs portes en la cloutant de l’intérieur. C’est Jim qui m’en avait parlé, en se moquant de ces couilles molles. « Ils nous rejouent Fort Alamo ! » qu’il m’avait dit. Moi, j’avais ri mais en sachant que Pa s’était préparé lui aussi à l’attaque. Et à ma connaissance, Pa n’était pas une couille molle.

En cas d’attaque soudaine des bagnards, il avait entassé de gros sacs d’engrais, aussi hauts qu’un muret, qui devaient protéger la maison. Trois fusils étaient prêts. Janis, ne sachant pas tirer, même sur les lapins, en avait voulu un. « Pas question ! » lui avait lancé Pa.

En cas d’assaut, tu resteras dans la maison ! ». « Et Ma, elle a bien droit à un fusil ! » qu’elle s’était rebiffée. « Ma, c’est une Cherokee ! Et elle sait, elle, se servir d’un fusil ! » Janis était partie bouder et je l’avais rejoint, pour qu’elle touchât au moins la crosse de mon fusil.

Par chance, une telle attaque n’avait jamais eu lieu, car la nouvelle était tombée, nous annonçant qu’Oraculo s’était rendu. On recensait là-bas pas mal de morts, côté pénitentiaire : Blackstone, le directeur, et tout le personnel du bagne, dont les matons au grand complet, exécutés par les bagnards.

Pas un n’en avait réchappé. On avait dénombré autant de morts du côté des bagnards, après le pilonnage des hommes du comté, excepté quelques-uns qui avaient fui et qui erraient dans le désert. Parmi eux, le meneur, dit le Rat, un type que beaucoup auraient expédié ad patres, et qui courait encore.

Celui-là, le comté comptait bien le serrer. On y mettrait du temps et les moyens pour le ramener au chef-lieu, manu militari et par la peau des fesses, s’il fallait. C’est Mortimer qui l’avait claironné, faisant de la capture de ce lascar une affaire personnelle. Mais Jeff Collins pensait bien l’arrêter avant et le traîner jusqu’à Patville, sachant que son arrestation lui servirait à épingler une autre proie qu’il poursuivait : Reno.

Le même Reno qui avait eu des accointances avec le Rat pour ce qui concernait la dope, lequel Rat aurait sans doute à lui confier pas mal de choses qui l’aideraient à condamner Reno. En somme, si Collins tenait tant à alpaguer le Rat vivant, c’était pour qu’il témoigne contre Reno.

Cette guéguerre en coulisses entre Collins et les pontes du comté, c’est Emy qui nous l’avait livrée, alors que nous suivions la prise d’Oraculo comme un vrai feuilleton. Avec tout ça, Jim et moi en avions oublié Reno et la solide dent que Collins avait contre lui. Avec la cavale du Rat, l’histoire rebondissait, nous ramenait à lui.

Car si on présumait que tôt ou tard on coincerait le Rat, rien n’était encore sûr pour ce diable de Reno. Serait-il mis un jour sous les verrous ? Et où se cachait-il ? Jim et moi nous étions avoués qu’on préférait que Reno s’échappât de la nasse que Jeff voulait lui tendre et qu’il s’évanouît dans la nature. Pour le Rat, c’était différent : il était responsable du sang versé pendant le siège d’Oraculo.

Quand le camion qui transportait Murphy s’était pointé à l’entrée de Patville, la foule des grands jours était au rendez-vous. Cushing, qui l’attendait sur le perron de la mairie, l’avait reçu comme un héros. Collins aurait voulu entendre son témoignage, sans oublier celui des filles qui lui avaient paru un peu sonnées en sautant du camion.

Mais il était encore trop tôt selon l’avis de Jo Cushing, qui désirait faire un discours à la gloire de Murphy. Discours fini et ovations bouclées, Murphy, montrant des signes de fatigue, avait été conduit au Cactus’s Bar. On lui avait donné la chambre qui restait, la seule qui avait réchappé à la grande crue.

De leur côté, les dames patronnesses s’étaient chargées d’aider les filles à se remettre de cette histoire, en ouvrant leurs maisons. « Les pauvres, elles ont dû en subir des horreurs ! » s’était apitoyée Mme Holy. Mme O’Hara avait chaperonné très gentiment Audrey et elle l’avait conduite dans une chambre sous les combles. « Vous verrez, ma petite, vous y serez à l’aise !  avait-elle assuré. Si vous avez besoin de quelque chose, je serais là ! ». Jim m’avait dit être monté la voir furtivement et il l’avait surpris en train de se déshabiller, posté derrière la porte mi-ouverte.

— Et alors, tu l’as vue ?

— Ouais, mais pas nue ! Elle portait encore son corset ! Et elle était de dos ! Mais ses seins dans la glace débordaient du corset.

— Ah, vrai, j’aurais aimé voir ça !

— Des melons, avait ajouté Jim.

— Pareils à ceux d’Emy ?

— Oh, bien plus gros !

Le lendemain, une chasse à l’homme avait été ouverte pour retrouver le Rat et les bagnards en fuite dans le désert. Collins avait pensé qu’il fallait prendre de vitesse le nommé Mortimer. Il devait aller vite. Après un entretien serré avec Murphy, ils avaient convenu de capturer le Rat vivant, autant pour le juger que pour en soutirer tous les détails sur la mutinerie ayant coûté la vie à tant d’hommes en service. A la suite de quoi, Jeff avait dû lever un groupe de gars assermentés, chargés de molester le Rat sans le flinguer.

Ce qui avait eu lieu assez facilement, après avoir tourné des heures dans le désert et avoir repéré enfin le camion retapé, parti d’Oraculo à la barbe du Rat, et qui venait de rendre l’âme. Arrivé sur les lieux, Collins avait compté une vingtaine de morts qui gisaient dans le sable.

Des fuyards qui, s’étant retrouvés nez à nez, s’étaient entretués pour faire main basse sur le camion. Collins avait pensé qu’il n’y avait aucun survivant. Mais à sa grande surprise, un homme à tête de musaraigne avait émergé de la benne du camion, les mains en l’air et lâchant son fusil. 

— Ne tirez pas !

Il paraissait figé sur place, sa silhouette se découpant sur la trame du ciel. Jeff s’était approché, prêt à sortir son colt si l’autre tentait un geste. Il s’était arrêté à deux mètres du bagnard, le scrutant d’un regard peu amène.

— Dis-moi ! C’est toi qu’on appelle le Rat ?

— C’est moi ! avait marmonné l’autre, la gueule grimaçante.

— Parfait ! Moi, je m’appelle Collins ! Et je suis là pour t’arrêter !

— Pas besoin : je me rends, avait grincé le Rat.

— D’accord ! Dis-toi qu’à partir d’aujourd’hui, t’es un homme fini !

Mais le Rat avait ricané.

— Mais j’suis fini depuis longtemps !

— Ok ! Tu bouges pas ! Tu gardes sagement les mains en l’air !

Collins, en l’observant, avait été surpris de découvrir qu’un homme aussi malingre eût été responsable d’un pareil carnage. Rien de charismatique en lui. Une chiffe molle, plutôt. Mais il avait noté qu’il avait des yeux fous. Et un sourire mauvais. Un dément que c’était. Il devrait s’en méfier et le serrer de près.

Un des hommes de Jeff, qui s’était approché, lui avait passé les menottes, pendant qu’un autre le tenait fermement par le cou. Pour faire bonne mesure, Jeff s’était vu pointer sur lui le canon de son arme. Pervers comme il l’était, il aurait pu se révolter et vouloir jouer du couteau. Mais non ! A part l’œil mauvais et la grimace fielleuse qu’il affichait résolument, il semblait bien avoir son compte.

— En route ! avait lancé Collins, tout en jetant un bref regard sur l’horizon chargé de pluie.

Les hommes avaient hissé le Rat à l’arrière du camion. Au loin, une nuée noire se profilait, assombrissant les dunes de traînées sales. Le soleil répandait une fade lueur sur le sable. Collins s’était dit qu’il était grand temps de rentrer. Pendant tout le trajet, il n’avait pas lâché le Rat des yeux.

 

Ayant appris la capture du Rat, Mr O’Hara en avait parlé à Jim, qui s’en était ouvert à moi, ce qui, dois-je le dire, nous avait grandement excités. Toute cette histoire, avec ses rebondissements, fouettait notre imagination. On ne se tenait plus, impatients de savoir à quoi diable ressemblait le Rat. Selon toute vraisemblance, on pouvait certes parier qu’il avait une tête de rongeur. Le visage du moins. Pour le reste, ça restait un mystère.

Jim avait bien tenté d’en savoir un peu plus auprès de miss Melons. Mais Audrey avait refusé de lui parler de son tapin, d’autant que pour ce genre de choses, on ne dit rien à un gosse de treize ans. Elle avait bien compris qu’il était déluré et plutôt dessalé pour son âge. Mais quand même ! Il n’était pas question de lui parler du Rat et de ses turpitudes, même si Jim insistait. Du coup, nous avions dû rester sur notre faim.

Heureusement, les choses s’étaient précipitées. Dès son arrivée au village, le Rat, dans l’attente d’un procès à venir, avait été mis en prison, de sorte que nous n’avions pas eu le temps d’apercevoir sa tête. Dans la foulée, Jeff avait procédé à l’interrogatoire d’usage, qui avait été suivi de bien d’autres, sans obtenir le moindre résultat, (dixit Emy), le Rat ayant choisi de s’emmurer dans le silence. « Jeff n’en dort plus ! Ce type le rend dingue ! » avait confié Emy à Jim.

Et comme Jim avait plaidé une possibilité de voir le Rat, Emy avait fini par nous ouvrir l’annexe de la mairie, aménagée en semblant de prison, avec sas à l’entrée, suivi de trois cellules bardées de gros barreaux et de verrous. Un lieu pour enfermer les criminels, en attendant d’être placés dans une prison de haute sécurité. Ce qui serait sans doute le cas du Rat. Nous ne savions encore que nous ferions ici maintes visites plus tard, pour bavarder avec Reno quand il purgerait sa peine et qu’on aurait loisir de l’écouter des heures durant.

Mais ce jour-là, Emy, une fois à l’intérieur, avait entrouvert une porte donnant sur les cellules, en faisant signe de nous taire. Nous avions pu surprendre le Rat, vautré sur sa paillasse et qui semblait ronfler. « Une minute, seulement ! » avait soufflé Emy. Si Jeff l’apprend, il me tuera ! ». Nous avions assisté, médusés, au sommeil de la bête. Ah vrai, c’était quand même un drôle de truc que de l’entendre pousser ses ronflements ! Mais Emy avait refermé la porte et nous avait bientôt poussé dehors.

Puis le premier jour du procès avait fini par arriver. Les témoignages recueillis avaient conduit le juge, dépêché par les pontes du comté, à condamner le Rat à la chaise électrique. Son avocat commis d’office avait pas mal merdé, faut dire. Pas de taille à lutter contre tous !

Tout accablait le Rat. Il est vrai que Cushing avait maintes fois répété à qui voulait l’entendre que s’il y en avait un qui dût payer, c’était lui et bien lui ! Les « filles perdues », comme les nommait Mme Holy, avaient témoigné elles aussi et raconté ce qu’elles avaient vécu. Tout accusait le Rat. Murphy, enfin, en qualité de témoin à charge, ne l’avait pas raté et littéralement enfoncé. De son banc d’accusé, le Rat lui avait adressé des mots d’oiseaux à ne pas mettre à la portée de nos oreilles, tant il l’avait mauvaise de voir ce fouille-merde l’accuser sans ambages.

Bien sûr, Mr O’Hara, Jim et moi avions assisté en direct au procès, même qu’on avait été placés au premier rang et qu’on avait pu voir toutes les grimaces du Rat et toutes les simagrées du juge. Les envolées bien maladroites de l’avocat, un petit homme insignifiant, jouant d’effets de manches tombant souvent à plat. Jim avait même parlé du Rat comme d’un acteur de premier ordre. Mr O’Hara lui avait aussitôt rétorqué que la Justice n’avait que peu à voir avec la pantomime.

« Peut-être, m’étais-je dit, mais ça y ressemblait ».

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Patville, un feuilleton signé Yves Carchon, écrivain, auteur de "Riquet m'a tuer", de "Vieux démons", de « Le Dali noir », et de son nouveau polar « Le sanctuaire des destins oubliés »

 

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Bernie
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8 commentaires

  1. Collins a son heure de gloire avec cette arrestation maintenant va savoir si le Rat n’a pas une dernière cartouche en réserve .
    Bonne soirée Bernie

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