Covid-19 : Patville Le Feuilleton | Épisode 38

Allègement du confinement jour 13… « Patville, Journal en temps de coronavirus: Le Feuilleton », un feuilleton fiction, écrit par Yves Carchon, autour du coronavirus. A suivre tous les vendredis pendant la période de pandémie.

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Patville, Journal en temps de coronavirus

Chapitre 13 : Un petit protégé (début)

Dans sa cellule, le Rat l’avait mauvaise. Reno aurait dû être là avec la marchandise. Et de nouvelles filles, pour faire bon poids. Le margoulin l’avait promis. Il avait même consenti, pour preuve de sa bonne volonté, de baisser un chouia le prix du sac de coke.

Tout ça, évidemment, ne s’était négocié que par le biais du gardien-chef Murphy. Oui, mais voilà : les accords c’était bien, il n’y avait pas plus d’arrivage de coke que de beurre à la broche ! C’était quoi l’entourloupe ? Murphy s’était pourtant porté garant… Pourquoi la came n’était pas là ?

Le Rat avait voulu en avoir le cœur net. Par l’entremise des matons, il avait fait savoir — et sur un ton qui ne pouvait admettre la moindre discussion, qu’une rencontre avec Murphy s’imposait dans l’urgence. Il avait, lui, le Rat, à lui parler, au Chef. Entre quatre-z-yeux.

Enfin, ce n’était pas exactement ainsi que Le Rat l’avait signifié. N’ayant reçu aucune éducation, — à part celle de la rue, il avait craché des mots secs de derrière ses barreaux au gardien désigné.

— Hey, mec ! Oui, toi ! 

Le maton, alpagué par la poigne du Rat, nez écrasé sur l’arête d’un barreau, avait dû se résoudre à l’écouter attentivement. D’autant qu’il l’avait agrippé du crochet de sa main et que celle-ci s’apparentait à une serre.

— J’aimerais jacter avec Murphy, tu piges ! J’ai deux mots à lui dire ! J’te préviens, on s’fout pas de la gueule du Rat ! Tu décanilles et files illico le chercher ! Magne-toi ou je te fais bouffer tes couilles ! »

Voilà, pour être plus précis, comment il avait présenté les choses, Le Rat, avec sa trogne de musaraigne déformée par la haine.

Le maton, relâché par Le Rat, s’était esquivé aussitôt, sentant que ça urgeait et qu’il y avait de l’orage dans l’air.

Il ne croyait pas si bien dire !

Après une bonne semaine de vent ayant fondu sur l’enceinte du bagne, la pluie avait pris le relais. Mais pas une petite pluie : une grosse tourmente, à inonder les miradors et à détériorer le réseau électrique du bagne. Par chance, Blackstone avait eu la sagesse de demander aux services du comté d’installer un groupe électrogène, à seule fin de pallier un quelconque incident.

Dans les annales pénitentiaires, une telle situation s’était déjà produite et elle s’était soldée par une émeute. Dont acte, avait pensé Blackstone. Les faits des derniers jours avaient donné raison au directeur d’Oraculo.

Le groupe avait ainsi pallié cette panne électrique, en se mettant rapidement en marche.  Blackstone savait qu’avant que les réparations se fassent sur le réseau, il y avait à parier que de l’eau coulerait sous les ponts. Et justement, de l’eau, ils ne risquaient pas d’en manquer !

Ici, dans le désert, la pluie ne durait guère. C’était souvent une brève radée qui déversait son plein et s’arrêtait, laissant place au soleil qui séchait rondement toute chose. En moins d’une heure, tout était sec, au point qu’on se demandait même s’il avait vraiment plu ! Les lézards ressortaient de leurs trous, les crotales se chauffaient au soleil.

Les cactus s’égouttaient, paraissant s’ébrouer, et le sable du désert retrouvait sa clarté. Mais cette fois-là, il semblait bien qu’elle se soit décidée à faire une exception, la pluie. Et elle avait vu grand !

Jour après jour, Oraculo avait été douché copieusement et trempé jusqu’à l’os, avant d’être transformé en un immense cloaque où chacun pataugeait. A l’extérieur du camp, les détenus avaient dû cesser leurs travaux, contraints de vivre dans l’enceinte, en restant consignés tout le jour.

Le vent avait soufflé pendant des jours, semant des vagues de sable dans la grande cour et s’immisçant dans les coursives. Il s’était infiltré de partout : dans les cellules, dans les châlits, jusques dans la cantine où, quand on mâchouillait sa purée de pois chiches, un peu de sable s’écrasait sous la dent. Il crissait sous les pas, s’infiltrait dans les douches, créant ici ou là de vraies phobies chez certains détenus.

Beaucoup étaient nerveux. Plus que nerveux : à cran. La pluie n’avait pas arrangé les choses, ayant contraint chacun à devoir rester confiné. Et elle durait, cette pluie, avec, pour compléter le tout, la came qu’on attendait et qui n’arrivait pas.  Le manque était palpable, de quoi rendre foutraques les plus soumis tôlards.

Après la visite de Reno et la montée de fièvre qui l’avait orchestrée, tout était retombé d’un coup, grâce au sagace et patient savoir-faire de Murphy, qui n’avait pas traîné à rendre compte au Rat de la promesse faite par Reno de livrer la coke sous deux jours.

Sachant que sa démarche saurait flatter l’ego du Rat, il s’était déplacé pour l’informer de la situation. Tout pénétré de vanité, Le Rat avait cru voir dans cette démarche un signe de déférence à son égard, ce qui l’avait calmé et l’avait engagé à mettre au pas ses affidés. « Comme quoi, avait pensé Murphy, même le plus braque des tordus est sensible à la flatterie. »

Le gardien-chef avait évalué la bête. Rusé, Le Rat, mais pas intelligent. Présomptueux et ne se prenant pas pour une merde. Un ego monstrueux, capable de boucher les chiottes d’Oraculo dans leur entier. C’était là son point faible, son principal défaut, s’il l’on exceptait sa fatale dépendance à la came.

A chaque fois qu’il y avait un hic, Murphy usait de flatterie à son égard, pas par les mots — subtilités qui seraient passées au-dessus de la tête du Rat, mais par des codes que ce rongeur flairait, reconnaissait, sans jamais pour autant les comprendre.

Se pointer jusqu’à sa cellule et parler avec lui d’homme à homme faisait partie des codes. L’inverse aussi avait d’ailleurs un sens : si Murphy s’abstenait d’aller trouver Le Rat, ça signifiait en creux qu’il n’en avait plus rien à battre, qu’il l’ignorait en somme, et donc que celui-ci n’avait plus qu’à se faire reluire dans son gourbi.

Le message passait bien et Le Rat se calmait aussitôt. Pas de hauts cris, pas de violence qui n’auraient fait que nourrir un peu plus la paranoïa du bagnard. Ainsi avaient été fixées leurs relations.

Patville, un feuilleton signé Yves Carchon, écrivain, auteur de « Riquet m’a tuer« , de « Vieux démons« , de « Le Dali noir », et de son nouveau polar « Le sanctuaire des destins oubliés »

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