Covid-19 : Patville Le Feuilleton | Épisode 39

Allègement du confinement jour 20… « Patville, Journal en temps de coronavirus: Le Feuilleton », un feuilleton fiction, écrit par Yves Carchon, autour du coronavirus. A suivre tous les vendredis pendant la période de pandémie.

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Patville, Journal en temps de coronavirus

Chapitre 13 : Un petit protégé (suite et fin)

Ayant rendu visite au fou furieux pour mettre les choses au point, Murphy avait prévenu Blackstone des problèmes provoqués par la mort brutale d’Alan et du pourquoi la drogue n’était pas arrivée. Le directeur d’Oraculo l’avait reçu dans son bureau, en lui offrant une rasade de cet étrange mezcal que distillaient les détenus à l’occasion, — et qu’ils vendaient à un prix dérisoire, prétendument sous le manteau, loin de tout règlement.

Sur ordres de Blackstone, chacun fermait les yeux, à commencer par les matons. Alcool qui, à chaque fois, donnait des maux de tête au gardien-chef.

— Merci, avait-il dit, voyant que l’autre lui versait une bonne dose.

Blackstone s’était marré.

— Vous n’aimez pas notre mezcal maison ?

— Pas trop.

Le directeur avait levé son verre, avant de l’enquiller cul-sec. Murphy avait fait mine de tremper ses lèvres, en tirant la grimace, rien qu’à l’odeur d’alcool.

— Alors ? s’était enquis Blackstone. Cette livraison de came a-t-elle été réglée ?

— Reno s’est engagé à la livrer ! On peut penser qu’il ne traînera pas. M’est avis qu’il a dû se faire remonter les bretelles en haut lieu !

— Tant mieux ! J’ai eu vent de l’affaire ! Le père d’Alan Cooper veut mettre son nez dans nos affaires ! Et ça, je n’en veux pas ! Le Comté est d’accord avec moi ! Nous n’allons pas laisser ce vieux débris piétiner nos plates-bandes ! Ils m’ont d’ailleurs promis de veiller sur Reno !  Votre petit protégé ne devrait donc plus tarder !

Murphy n’avait pas relevé. Il était bien content, Blackstone, d’avoir ce protégé ! Un protégé qui avait toute sa place dans leur dispositif. C’est en partie sur lui que reposait le fragile équilibre entre les détenus et l’administration d’Oraculo, la drogue restant le seul moyen de pacifier cette racaille.

Ce mot-là : pacifier, était sorti un jour de la bouche de Blackstone. Murphy en avait mesuré la tournure cauteleuse. Il s’était dit que son chef direct se donnait pour mission d’anéantir les racines guerrières de ladite racaille.

Dans tous les cas, la came était leur atout maître. Sans came, pas de paix garantie. Certes, les travaux forcés en lessivaient plus d’un. Et le fonctionnement du bagne, basé sur d’implacables sévices, avait jusqu’à présent cassé les plus rétifs. Mais sans la dope, Oraculo aurait craqué de part en part et sans doute implosé.

Oui, avait cogité Murphy, la Providence avait permis que Le Rat un beau jour eût croisé la route de Reno et que, de cette rencontre, soit né un semblant d’ordre entre ces murs. Enfin, du moins, ce semblant d’ordre impliquait-il dans son esprit que l’ordre restait des plus précaires et qu’il pouvait à tout moment être remis en cause.

Blackstone partageait-il la même appréhension ? Pas sûr. Il le sentait rigide, droit sans ses bottes, comme aveuglé par son omnipuissance. Ayant verrouillé toute volonté de redresser l’échine, — c’étaient les propres mots de Blackstone, l’autocrate qu’il était pensait tenir toute cette racaille sous son impitoyable férule.

Mais lui, Murphy, savait que la vie d’un despote ne tient pas à grand-chose. Voilà pourquoi il composait avec quelques caïds régnant sur la troupeau et notamment avec Le Rat.

— Finissez votre verre, dit Blackstone, en s’en resservant un.

Murphy n’eut pas à lui répondre. On venait de frapper à la porte du bureau.

— Entrez ! avait crié Blackstone.

La tête du maton envoyé par Le Rat était apparue dans l’encadrement de la porte, ne sachant trop s’il pouvait entrer.

— C’est pourquoi ? avait jappé Blackstone.

— C’est au sujet de Hayes… enfin Le Rat… Il cherche à rencontrer le Chef, pour une affaire urgente…

Blackstone, l’œil interrogateur, avait voulu comprendre.

— Affaire urgente ? C’est quoi, encore ?

Murphy avait poussé un gros soupir.

— A chaque fois, c’est la même chose ! J’imagine qu’il est à deux doigts de nous faire une crise ! Et dans ce cas, on appelle Murphy ! Mais pour ce soir, je ne vois pas en quoi je peux l’aider !

— Vous n’êtes quand même pas sa nounou, avait ironisé Blackstone.

— Ce que je sais, c’est qu’avec ce foutu temps, la coke aura un gros retard ! Vous avez vu cette pluie ? Il faut qu’Hayes le comprenne !

Il se tourna vers le maton.

— C’est bon ! Dites au Rat que je suis occupé !

L’autre avait disparu, sans demander son reste.

Ce que ni Murphy, ni Blackstone ne savaient, — nous le sûmes bien après, quand Le Rat eût passé aux aveux— c’est qu’au moment où ils s’entretenaient dans le bureau, un détenu à la solde du Rat, ayant appelé un gardien pour une vague histoire de châlit, avait molesté celui-ci à travers ses barreaux et avait pu pêcher dans sa poche de vareuse les clés libératrices de sa cellule. Après avoir reçu son compte, le maton piétiné avait été traîné dans une cellule. Le Rat, libéré aussitôt, s’était chargé d’assommer deux autres matons. Dans cette aile du bagne, piaffant dans les coursives, une quarantaine de détenus était donc prête à s’emparer des rênes d’Oraculo.

Mais il fallait rallier les autres, se situant dans l’autre partie du bâtiment. Le Rat y avait dépêché une quinzaine de ses hommes, des types sans foi ni loi, capables de mourir pour lui. Plus ils seraient nombreux, plus ils auraient une chance de réussir leur coup. Mais il fallait aller très vite, jouer l’effet de surprise. Quand l’administration bougerait et comprendrait enfin qu’il lui fallait mater une mutinerie, les dés seraient déjà jetés.

Le coup avait été monté de longue date. Dix jours plus tôt, bien avant le ramdam des casseroles, avaient circulé des mots d’ordre qu’avait transmis Le Rat à ses alter ego, des caïds comme lui, aussi déterminés à tout brûler dans ce putain d’enfer et à se faire la malle.

Des tarés comme lui, n’ayant plus rien à perdre et prêts à en découdre avec la terre entière. La mort n’aurait pas pu les arrêter, car il l’avait déjà vécue, la mort, ici, dans ce désert. Une mort lente et insidieuse, une mort de tous les jours, et ça, ils en avaient leur claque !

Il leur fallait d’abord avoir accès à l’armurerie pour liquider un max de matons avant que de monter à l’assaut du bureau de Blackstone. Le Rat s’était promis de s’occuper personnellement des empafés qui dirigeaient Oraculo, plus particulièrement Blackstone, se demandant si cette couille molle de Murphy ne ferait pas l’affaire comme giton. A cette pensée, il avait grimacé son torve sourire de musaraigne.

Il n’en était pas encore là. D’abord l’armurerie ! Une fois les armes en mains, le sort des deux crevures en chef serait réglé ! Il en tremblait, tant il était tout à la fois tendu et excité, Le Rat. Dire qu’à ce moment-là il jouissait n’était pas abusif. En rameutant ses troupes, Hayes avait frémi d’aise. Du sang allait couler. On parlerait de lui dans un proche futur, comme d’un putain de chef de guerre ayant cramé Oraculo.

Selon ses dires, qui avaient recueillis dans l’interrogatoire de Jeff Collins, l’autre aile du bagne n’avait pas tardé à se libérer de ses chaînes. Bien vite, une soixantaine de fous furieux s’étaient rués sur la fameuse annexe où l’on entreposait les armes.

Mais pour y accéder, il leur fallait se mettre à découvert pour traverser la cour de promenade. Mais là aussi, ils avaient eu du bol. Le Rat avait appris, deux jours plus tôt, qu’aucun maton n’était en poste dans les miradors, à cause de la pluie, et notamment dans ceux ayant vue sur la cour, totalement inondés.

Les mutins, ivres de liberté retrouvée, s’étaient jetés dans la tourmente et avaient cavalé comme des possédés jusqu’à l’annexe. Et les matons de garde, les voyant arriver, avaient été vite dépassés devant leur déferlante et, avant même qu’un seul n’ait pu saisir son arme pour alerter le camp, ils avaient tous été tués ou massacrés.

Dès lors, chacun avait pris un fusil, bien décidé à faire le coup de feu. Mais désormais il fallait encadrer au plus près cette armée de démons. Le Rat, aidé de ses lieutenants, les avait regroupés dans l’immense réfectoire.

Il n’était pas question que le comté envoie la troupe pour mater leur révolte. Le Rat voulait non seulement la peau de Blackstone et Murphy : il aspirait de toutes ses fibres à ce qu’Oraculo ne soit bientôt que cendres.

Retrouvez votre Patville, votre feuilleton préféré, après la trêve des confiseurs.

Rendez-vous le 8 janvier 2021.

Prenez soin de vous et de vos proches.

Bonnes fêtes de fin d’année.

 

Patville, un feuilleton signé Yves Carchon, écrivain, auteur de "Riquet m'a tuer", de "Vieux démons", de « Le Dali noir », et de son nouveau polar « Le sanctuaire des destins oubliés »

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Bernie
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12 commentaires

    • I think that if I have to quarantine in la lanterne (Versailles) I could enjoy 14 days or more

  1. l’alcool n’est pas apprécié par tout le monde….un boit rapidement et l’autre en faisant la grimace….(lol), passe un bien doux vendredi

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