Allègement du confinement jour 6… « Patville, Journal en temps de coronavirus: Le Feuilleton », un feuilleton fiction, écrit par Yves Carchon, autour du coronavirus. A suivre tous les vendredis pendant la période de pandémie.

Patville, Journal en temps de coronavirus
Chapitre 12 : Le vent du malheur (suite et fin)
« Après ce vent, viendra la pluie. Un déluge de pluie qui emportera tout », avait lancé Paco.
Selon lui, — il était encore jeune, l’année où s’était abattu le choléra sur le village, un même vent avait soufflé durant des jours, avec la rage d’une mère puma à qui l’on vole ses petits. On avait bien pensé qu’il tomberait comme il était venu. Mais la pluie était arrivée, et son troupeau de trombes avait inondé en une nuit une partie du village.
Et la rivière avait grossi et débordé, et détruit des maisons. Beaucoup de bêtes s’étaient noyées et leurs carcasses avaient été portées par le courant, bien plus loin en aval. La plupart des familles, cernées par la montée des eaux, s’étaient retrouvées isolées. On avait dû aller les secourir. Paco avait aidé son père à mettre à l’eau son canoë.
En chemin, comme il pagayait, avait raconté le père de Paco, on ne comptait plus les cadavres qui flottaient dans les rues. On en avait pas mal repêché, gonflés comme des outres. Beaucoup de villageois blessés avaient été guidés vers un hôpital de fortune, le dispensaire des Terres Hautes refusant d’accueillir les déshérités de Patville.
Certains avaient voulu forcer le doc des Terres Hautes à accepter les gens souffrants. Mais à l’époque, les Blancs se tiraient dans les pattes, chacun voulant rester chez soi. Le doc avait dû renoncer à leur ouvrir les portes du dispensaire.
D’un geste, Paco avait chassé ce piètre souvenir et il avait une fois de plus tordu la bouche, comme s’il s’apprêtait à tirer sur sa pipe. En fait, une telle grimace préfigurait bien des ennuis, et peut-être plus encore, à voir ses rides se ramifier sur ses deux joues et son nez se froisser.
C’est juste après l’inondation que le choléra était apparu, montrant son groin hideux. Il s’était vite répandu, fauchant les plus fragiles et les enfants, puis les femmes et les hommes. Chaque foyer avait été touché ; les Blancs d’abord, l’eau de leurs puits ayant été souillée, alors que les Indiens puisaient leur eau à la rivière.
Le doc, descendu des Terres Hautes, avait interdit l’accès à ces puits. Beaucoup trop de gens se tordaient et se vidaient, mourant déshydratés et le visage tout bleu. Nous avions eu plus tard l’explication auprès du doc de Patville, au sujet des visages tuméfiés, « des visages cyanosés, qu’il avait dit le doc, suite aux vaisseaux sanguins qui avaient éclaté ».
Jim m’avait dit s’être endormi avec l’image d’une tête livide, posée à son côté sur l’oreiller. Vrai, c’était stupéfiant cet épisode épidémique raconté par Paco ! Tout ça, entrecoupé de mots indiens qu’on ne comprenait pas, mais qui avait rendu sa narration plus saisissante encore.
Le jour après notre rencontre avec Paco, le vent était presque tombé. De gros nuages gonflaient au ciel, prêts à crever. Ils dérivaient moins vite, stagnant sur le désert comme de grosses poches tout prêtes à se vider.
De rondes mamelles, gorgées de pluie, qui n’attendait qu’un signe pour se percer. Ce qui rendait les choses plus étranges, c’est qu’un rayon filtrait de la sombre nuée, éclairant tout Patville d’une pâle clarté, pareil à ces images pieuses que Jim m’avait montrées, où l’on voyait descendre d’un ciel obscur un rayon de lumière sur le front de l’enfant Jésus. C’était peut-être un signe, s’était-on dit, prophétisant que le village ne serait pas touché et que la pluie passerait son chemin.
Mais non ! Les premières gouttes étaient venues frapper la couche de sable agglomérée devant le bureau de Collins, au moment même où nous nous apprêtions à retourner chez nous. Jim m’avait dit avoir promis à Mme O’Hara de l’aider pour son cake au sirop de cactus.
Moi, je devais rejoindre Pa pour récurer l’auge à cochons et ramasser une bonne rangée de pommes de terre. « Avant la pluie ! » qu’il avait dit. Seulement voilà, elle était là, la pluie ! Je présumais qu’une fois la pluie finie, je devrais y aller et que là-bas, j’aurais une fois de plus affaire au ceinturon de Pa. Ça, je le voyais gros comme une maison ! Mais bon, rien ne me priverait jamais de mon amitié avec Jim.
A l’abri sous l’auvent du bureau de Collins, nous avions entendu la pluie jouer de sa scansion sur les toits de Patville et clapoter contre les vitres des maisons. Les poches au ciel avaient dû s’éventrer d’un coup, car elle tombait serrée et dru, la pluie. Puis le pick-up de Jeff s’était garé et Jeff en était descendu, courant entre les gouttes en bloquant son stetson sur la tête.
« — Hey, les gosses ! Vous voulez vous tremper ? Entrez donc à l’abri ! » qu’il nous avait lancé en nous ouvrant la porte du bureau.
Nous l’avions donc suivi, alors qu’un écran blanc de pluie s’abattait derrière nous.
Emy, assise derrière sa table de dactylo, lisait une sorte de roman-photo quand on était entré. « Une littérature à la con, bulles et dialogues à faire pleurer Margot, m’avait expliqué Jim. Que des histoires sentimentales ! Enfin, tu vois ! ».
Moi, ce que je voyais, c’étaient ses jambes fuselées qu’elle avait croisées sous la table et sa robe décolletée découvrant le sillon de ses seins. Levant la tête, elle avait gratifié chacun d’un beau sourire carmin, s’ouvrant sur des dents blanches qui valaient bien celles d’une speakerine.
Elle avait lâché sa revue et s’était proposé de nous faire du café. Jeff n’avait pas dit non, ayant d’abord tombé sa veste, puis enlevé sa lourde ceinture qui avait rejoint la patère, fixée derrière la porte d’entrée.
Ainsi, nous avions vu la crosse de son colt dépasser du holster. C’était, je crois, la première fois qu’on voyait tout son attirail. Il ne manquait que son étoile qu’il ne portait jamais. Ça nous avait fait drôle de reluquer son colt. On aurait bien aimé le prendre en mains, rien que pour voir.
Dehors, le tempo de la pluie martelait les toitures de Patville. Nous l’entendions déverser son trop-plein en une incessante et bruyante cataracte, noyant déjà la grande rue. Jeff, derrière les carreaux, avait hoché la tête.
— Ça n’augure rien de bon, avait-il dit. Si ça tombe toute la nuit, m’est avis que les routes seront demain impraticables. Et le village sera touché, avec des maisons inondées !
Emy l’avait rejoint, avec une tasse fumante en mains.
— Tu crois que l’eau peut monter jusqu’ici ?
— Ça se pourrait, avait dit Jeff.
A cet instant, nous étions loin d’imaginer que cette pluie-là aurait tout lieu d’être le début d’un terrible cataclysme. Mais pas celui qui aurait pu se concevoir, d’origine proprement naturelle. Un autre, beaucoup plus dangereux.
Celui qui devait provoquer une incroyable mutinerie au bagne d’Oraculo.
Tout ça parce que les routes étant coupées, Reno n’avait pas pu livrer en temps et heure Le Rat et ses sinistres sbires.
Patville, un feuilleton signé Yves Carchon, écrivain, auteur de "Riquet m'a tuer", de "Vieux démons", de « Le Dali noir », et de son nouveau polar « Le sanctuaire des destins oubliés »

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Bonjour Bernier, « Patville, Journal en temps de coronavirus » raconté par Paco est assez éblouissant dans sa narration et ses dialogue et puis , la tension érotique et cette description pleine de promesse « ses jambes fuselées qu’elle avait croisées sous la table et sa robe décolletée découvrant le sillon de ses seins. » Voila qui donne au confinement un gout subtil et palpitant !
Yves a du talent
Passe une bonne journée Bernie
Merci
ce sera une année « souvenirs » et l’on s’en serait bien passé….j’espère que pour toi et pour tous, l’en prochain sera plus douce…pour commencer passe un doux vendredi
C’est une année qui sera dans les livres d’histoire
Un mois de soleil pendant le confinement et maintenant avec le déconfinement partiel, c’est deja 2 jours de pluie en une semaine….. grrrr
Pareil ici… C’est un complot