Covid-19 : Patville Le Feuilleton | Épisode 35

Reconfinement jour 22… « Patville, Journal en temps de coronavirus: Le Feuilleton », un feuilleton fiction, écrit par Yves Carchon, autour du coronavirus. A suivre tous les vendredis pendant la période de pandémie.

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Patville, Journal en temps de coronavirus

Chapitre 12 : Le vent du malheur

Avec tout ça, en plus du pataquès Reno-Cooper qui avait libéré les langues, le vent s’y était mis. Un foutu vent, bousculant tout sur son passage. Peut-être qu’il voulait être de la partie, le vent, comme un prélude à ce qui allait suivre. Une sorte d’oiseau de malheur.

Un vent qui venait du désert, cinglant Patville à grands coups de boutoir comme s’il voulait lui mettre une torgnole, à not’ village. Chaque maison, chaque recoin avait reçu son lot de gifles et de rafales. Le sable avait fondu sur nous, couvrant les rues, stagnant sur les trottoirs, s’accumulant sur les pas-de-porte et recouvrant le pare-brise des voitures.

Des tourbillons qui se levaient et couraient par les champs, pareils à des tornades en boucle s’élançant vers le ciel, fantômes qui tournoyaient et se contorsionnaient avant de s’éloigner.

Du sable, on en avait partout. Il s’incrustait dans nos cheveux, nos poches et nos galoches. Et tout ce qu’on touchait était couvert d’un grain sableux. Emy, dans le bureau de Jeff, qui travaillait souvent fenêtre ouverte, avait dû la fermer.

Elle ne supportait pas le vent, et encore moins le sable. Mais comme elle avait chaud à l’intérieur, elle s’était dégoté un vieux ventilateur qui avait décoiffé sa frange sur le front, quand elle l’avait branché. 

« Je déteste tout ce sable et voudrais bien savoir quand va tomber ce maudit vent ! » avait-elle rouspété en voyant Jim entrer dans le bureau. Jim, venu là dans l’espoir de glaner des nouvelles toutes fraîches, s’était comme ravisé.

Il était à deux doigts de tourner les talons. Mais un détail l’avait décidé à rester : elle était seule, pas de Collins pour la faire taire. Sa langue s’en trouverait donc plus déliée et qui sait débridée. Il l’avait donc aidé à mettre en route l’antique ventilateur. 

« Heureusement que tu es là ! », avait-elle dit à Jim, en caressant sa joue.

Mais comme elle se penchait vers lui, Jim avait eu direct une vue plongeante sur son putain de décolleté. C’est ce qu’il m’avait raconté plus tard, l’œil à moitié luisant. Il avait même surpris, à la naissance de ses seins, un grain de sable qui brillait. « Tu te rends compte ! Il a une sacrée chance, le sable ! » qu’il avait ri en me donnant une bourrade.

Ayant tenté d’en savoir plus sur la suite, j’avais eu droit à des broutilles. Jim était resté évasif, comme si une chose l’embarrassait. « Ne me dis pas… » que j’avais dit, en lui lançant l’œillade du siècle. — Quoi ? — Eh bien… toi… et Emy… « Eh, tu déconnes, Lenny, qu’il m’avait rabroué, piquant un phare. Emy est une amie ! »

Peut-être qu’elle était son amie, mais Jim, depuis des jours, se comportait bizarrement, ça, je l’avais noté. Je m’étais dit que ce putain de vent nous rendait tous dingues, moi le premier. Aucun de nous n’était d’ailleurs réellement à l’abri. C’était sans doute la faute du vent si Jim était bizarre.

A la maison, Pa s’énervait très vite, nous avoinant à sa façon, pour un oui ou un non. Même Ma y avait droit, à ses raclées.  A cause du vent, de ce vent chaud qui soufflait du désert et apportait dans les replis de ses bourrasques sécheresse, désolation, malheur, — chacun était à cran ou ensuqué. C’était pareil pour les bêtes.

Elles n’aimaient pas ce vent de merde. Elles le disaient à leur manière, en frappant du sabot ou en couinant, comme les gorets dans leur enclos. Même les vautours planaient curieusement. C’est Jim qui m’en avait parlé, et c’était vrai qu’ils semblaient saouls au ciel et qu’ils piquaient en vrille comme s’ils cuvaient une muflée. Les chevaux étaient plus nerveux, les chiens filaient le long des rues, la queue entre les pattes.

Le vent avait soufflé, sifflé, arasé tout sur sa lancée. La nuit, le jour, pendant une bonne semaine, sans s’arrêter jamais. A Patville, tout s’était déréglé. Les lignes de téléphone coupées ; plus d’électricité dans les foyers.

Et dans les airs s’étaient envolés pêle-mêle : le chapeau de Mme Holy, le parasol de Mme Samuel, le calicot publicitaire ceignant le kiosque à glaces ; des chaises en plastique léger ; l’enseigne du Cactus’ bar qu’on avait retrouvée à l’entrée du village, au bord de la rivière, devant la tannerie. La tannerie où travaillaient les ouvriers indiens que Jim connaissait bien, pour l’avoir visitée une fois en compagnie de Mr O’Hara.

Depuis ce jour, Jim avait ses entrées, ayant sympathisé avec un vieil Indien répondant au nom de Paco. Ça tombait bien qu’il connût ce Paco : avec pareil vent, pas question de traîner dans les rues. On avait donc trouvé refuge à la tannerie, certains d’apprendre une multitude de choses de la bouche de Paco.

C’est là qu’il s’était présenté à nous comme étant Sioux, venu du Dakota du Sud. On l’avait écouté en se bouchant un peu le nez, il faut le dire. L’odeur montant des peaux tannées étant vraiment prégnante, pour ne pas dire pestilentielle.

Une puanteur, ces peaux ! Je crois d’ailleurs qu’en arrivant Jim avait dû éternuer au moins trois fois. Paco avait bien ri. On n’était pas habitués, c’est tout. Faut dire que, lui, Paco était dans la tannerie depuis des lustres.

Son visage était tout ridé et ses mains tachetées. Un nez en bec d’aigle, des cheveux blancs et raides comme des crins, des yeux perçants qui vous scrutaient jusqu’au fond de votre âme. C’est lui qui nous avait appris que justement son nom Paco voulait dire en indien : aigle à la tête blanche. Ça lui ressemblait bien, c’est sûr.

Quand Jim avait voulu savoir si c’était vrai que les Indiens portaient des noms de bêtes sauvages, Paco avait ri à nouveau. Mais mieux valait encore ne pas le voir trop rire : sa bouche, aux dents noircies, était à elle seule un véritable cimetière à chicots !

Patville, un feuilleton signé Yves Carchon, écrivain, auteur de « Riquet m’a tuer« , de « Vieux démons« , de « Le Dali noir », et de son nouveau polar « Le sanctuaire des destins oubliés »

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