Evanescence, légèreté, ballon d’enfant…

Clara, pour tout vous dire, ça n’avait jamais été un cadeau… « Clara » une nouvelle écrite par notre ami Yves Carchon.

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Clara

« Ce sera facile de me reconnaître ! J’aurais des bottines aux pieds », avait-elle conclu avant de raccrocher son téléphone. Sa voix était claire, plutôt jeune, un rien sûre d’elle-même. Tout ça n’était certes pas pour me déplaire ! Je cherchais une dactylo pour taper un vieux manuscrit retrouvé dans mon grenier et que j’aurais oublié si je n’avais pas dû rechercher un livre dans ce fatras. Ouvrant un tiroir, je tombai sur lui.

Je m’en saisis et le feuilletai un peu ému. Ça remontait à si loin !

Oubliant le livre, je redescendis avec le manuscrit un peu jauni sous le bras. Je craignais de m’y plonger. Rien n’est plus pénible que de se relire après bien des années passées, d’autant quand on avait mis une croix définitive sur l’écriture. En se relisant, on mesure très vite que c’est mauvais, que ça ne peut qu’être foncièrement mauvais.

Sinon, pourquoi l’aurait-on abandonné ? Vers le soir, je le retrouvai, posé sur la table de cuisine. « Voyons voir ! » me dis-je. A ma grande stupéfaction, je fus étonné par la maturité du texte. Par sa forme aussi. Pourquoi diable avais-je lâché l’affaire ? C’est durant la nuit que m’est venue l’idée de faire appel à une dactylo. Le lendemain, j’épluchai les petites annonces et tombai bientôt sur l’annonce de Clara. Ses tarifs étaient à ma portée. Je l’appelai. Nous tombâmes d’accord pour nous retrouver dans un café. « J’aurais des bottines au pied ! »

En fait, c’est la première chose que j’aperçus quand je me pointai en terrasse : une paire de bottines roses ornées d’étoiles bleues et vertes. De longues jambes, une mini-jupe, un chemisier ouvert sur le devant et un visage de femme-enfant qui couronnait le tout.

Clara. « Bonjour Clara ! » Je lui tendis le manuscrit dot elle se saisit illico tout en le soupesant. « Ça pèse un max ! » dit-elle. — J’espère, lui dis-je. Nous commençâmes à bavarder. Clara dut partager une année dans ma vie. Le manuscrit, lui, retrouva sa place dans le grenier !

 

Clara était partie depuis un an quand je suis retombé un jour sur l’amphigourique manuscrit qu’elle aurait dû taper… L’ayant posé négligemment sur une étagère du grenier, il était recouvert d’une fine couche de poussière. Normal : un manuscrit, par essence, est toujours condamné à finir sur une étagère. Dans un grenier, c’est bien. Dans une cave, c’est déjà moins glorieux…Quand on le prend en mains, ses pages, quand on les tourne, sentent le moisi.

Dans un grenier, c’est plus tranquille. Le manuscrit fait une longue sieste, à l’abri de l’humidité.

Enfin, dans le meilleur des cas. Les mots qui le composent sont endormis… Pour eux les pages sont devenues des draps …. B

Bref, le manuscrit peut vivre peinard sa vie de manuscrit ! Pour peu qu’on ait un semblant de courage, on peut les réveiller, en les époussetant. Le texte peut y gagner, qui sait. C’était un peu l’idée que j’avais eu en contactant Clara. Là, main sur le manuscrit qui sommeillait encore, j’hésitai. « Mieux vaut, me dis-je, le laisser reposer ! Encore quinze ans comme ça, et il aura peut-être sa chance ! Trop tôt ! Laissons-le sommeiller du sommeil du juste ! » J’ai quitté le grenier, fier et en arborant un air faraud. Là, j’avais su dire non et montrer du courage !

A peine en bas, je crus entendre des cris dans le grenier. « Attends, c’est quoi ! » Je pensais à un chat. Je montai aussitôt, ouvris brutalement la porte. Le manuscrit était tombé sur le plancher et en sortaient des mots, couinés je ne sais trop comment, de petits cris si malheureux, si douloureux que je le pris contre mon cœur, comme un enfant que l’on console, jusqu’au moment où ses cris se tarirent et qu’un antique silence tombât dans le grenier. Alors, sans trop savoir pourquoi, j’en voulus à Clara.

Clara, pour tout vous dire, ça n’avait jamais été un cadeau. A part ses bottes roses, ses jambes dont j’ai déjà parlé, sa pouponne frimousse, on ne peut dire que ça volait très haut. Evanescence, légèreté, ballon d’enfant étaient les mots qui vous venaient quand vous la regardiez. Je veux dire sur un simple coup d’œil, alors qu’attablé en terrasse, je la considérais songeur, en me demandant bien si, pour mon manuscrit, c’était vraiment la bonne personne…

Elle m’était apparue, comment dire…volatile. Enfin, c’est ce que j’avais cru au prime abord. En fait, elle s’était révélée bien plus intéressante que ce que j’avais cru d’emblée, sagace même. Dès le jour de notre rencontre, elle m’avait mis illico dans sa poche. Son sourire, son air un peu bizarre et allumé, enfin ce zeste de folie m’avaient séduit.

L’écoutant me narrer la fugue qu’elle avait faite trois ans plus tôt, alors qu’elle entamait sa quatorzième année, je n’avais même pas pensé une seule seconde que je l’hébergerais, bon prince, le soir venu. C’est pourtant bien ce qui s’était passé. A l’époque, héberger une mineure allait chercher très loin, question justice : quinze ou vingt peut-être. Avec une remise de peine de cinq à huit années, si vous acceptiez un boulot en zonzon et si vous montriez un grand désir de vous réinsérer.

C’était pourtant avant tous ces procès dont on parle aujourd’hui. Que vous ayez touché ou non à cette mineure, c’était l’ardoise. Il fallait donc être fêlé pour héberger Clara. Ce que, tout compte fait, j’étais. Que n’aurais-je fait pour sortir de l’oubli cet ébouriffant manuscrit ?

 

Après avoir parlé tout un après-midi, Clara m’ayant fait part des mille et une vicissitudes de sa jeune existence (père absent, mère volage, un rien déboussolée, scolarité médiocre…) et apprenant de mon côté qu’elle n’avait pas de réel toit où dormir — hormis chez une ancienne amie de la dite mère pas réellement au top, je décidai de lui ouvrir ma porte.

Ayant une chambre d’ami, enfin un débarras où s’entassaient plein de choses inutiles, je lui montrai où elle pourrait dormir. Un vieux divan où j’avais oublié un semblant de duvet, une commode où elle aurait loisir de ranger ses affaires, une petite tablette où déposer ses petites choses personnelles que l’on traîne avec soi.

« Super ! m’avait lancé Clara. C’est vraiment chouette de votre part ! » — Tu sais, on peut se tutoyer ! « D’accord ! » Je la conduisis à la salle de bains, au cas où elle aurait jeté dans son sac à bretelles sa brosse à dents, un tube de dentifrice ou quelque crème pour soigner son acné… Mais elle voulut prendre une douche. « Je peux ! » Bien sûr qu’elle pouvait, à condition qu’elle ne mît pas de l’eau partout !

Ce qu’elle ne manqua pas de faire, en s’excusant avec sa mine d’enfant martyr. C’est là que je compris que notre cohabitation ne serait pas facile, que j’aurais dû réfléchir à deux fois avant de la laisser entrer chez moi. Mais c’était fait : je n’avais plus qu’à assumer. — Je te préviens, c’est pour un dépannage ! Quand tu auras trouvé un job, tu te dégoteras une piaule ! « Bien sûr ! Ça va de soi », m’avait-elle dit avec candeur.

 

Au bout de quelques jours, les choses s’étaient organisées entre nous deux. Clara s’était montrée fervente de ménage et de choses bien rangées. Et moi, à ma façon, je m’étais mis à cuisiner. Pour le linge, la machine à laver brassait allégrement nos effets respectifs en un curieux méli-mélo. De drôles de jours où chacun avait pris ses marques… Le soir, allongée sur son lit, Clara écoutait sa musique avec son MP3. Moi je lisais, me demandant si elle comptait un jour gagner sa croûte. Peut-être devais-je lui en parler ? Il arrivait, faut dire.

C’était peut-être prématuré.

L’ennui, c’est que le voisin avait vu ses allées et venues. « Alors, on a de la visite ! » m’avait-il dit un soir que je l’avais croisé dans l’escalier. — Ma petite nièce, avais-je grogné. Il avait refermé sa porte et moi la mienne. Le lendemain, Clara était partie très tôt avec le double de mes clés pour revenir ravie au soir. « Ça y est, je suis prise comme serveuse ! Dans un mois, tu n’auras plus à me subir ! » avait-elle lancé. — Parfait ! « Je commence demain ! » — Très bien. C’est cool !

 Pourquoi lui répondis-je ainsi, en mimant le prétendu langage jeune ? Va savoir ! Peut-être pour être dans le tempo. Juste le repas partagé, elle fila dans sa chambre, enfin le débarras aménagé, laissant sa porte ouverte.

Quand je passai devant une heure plus tard, je la surpris assise sur son divan en train de lire mon manuscrit. Je m’arrêtai, légèrement intrigué. Clara leva la tête. « Ça t’embête pas si je parcours ton manuscrit ? » dit-elle. — Ben non ! Elle repiqua du nez dans sa lecture et moi je m’éclipsai.

Le lendemain, Clara étant partie faire la serveuse, j’allai jeter un œil dans sa piaule-débarras. Rangée nickel. Je n’avais jamais vu mon débarras sous ce jour-là. Il était somme toute plutôt grand, ainsi désencombré…Sur le divan servant de lit à ma lectrice, le manuscrit ouvert en son milieu. Ah oui, quand même !

S’était-elle prise au jeu de la lecture ?

J’étais curieux d’en savoir plus. Mais je savais que nous en parlerions le soir venu, enfin quand elle aurait fini son job. Avec un peu de chance — à cet instant, je croyais dur comme fer qu’elle me le taperait, une fois qu’elle aurait lu la dernière ligne, elle s’y mettrait. Je m’étais dit que je devrais aménager un coin bureau où elle aurait accès à ma vieille Underwood, une relique achetée dans un vide grenier en pensant à Faulkner…

Pas sûr qu’il marchât d’ailleurs ! Et voudrait-elle taper sur cet engin ? Pas sûr. C’est à cet instant-là, alors que j’avais rejoint mon bureau, que j’entendis un bruit dans la chambre de Clara. J’y retournai et y trouvai le manuscrit sur le plancher. Non plus ouvert en son milieu sur le divan, mais refermé et gisant à mes pieds.

C’était la première fois. Je me dis qu’au moment où je m’étais levé du divan, j’avais entraîné avec moi une partie du duvet et donc le manuscrit avec, suffisamment pour qu’il glissât et atterrît au sol. Comme un voleur, je le rouvris en le posant sur le divan, espérant qu’il fût ouvert à la bonne page sans que Clara ne s’aperçût de mon intrusion dans sa chambre…

Le soir venu, Clara me raconta sa journée de serveuse. Un job qui paraissait lui convenir. « On court beaucoup, mais bon ! Et puis, y’a les clients et leurs mains baladeuses…Enfin, tu vois ! » Non, je ne voyais pas, mais pas du tout ! — Attends, si on t’embête, faut pas te laisser faire ! « T’inquiète, j’en ai mouché plus d’un ! » — Cherche-toi un autre job ! « Ah non », fit-elle.

Une fois qu’elle eût terminé la pizza que j’avais préparée, elle fila sous la douche, puis elle gagna sa chambre, après m’avoir crié : « Au fait, c’est bien ton truc ! J’en ai lu la moitié ! » J’en profitai pour la rejoindre. Elle se séchait les cheveux quand j’arrivai devant la porte à demi entrouverte. — Je peux entrer ? « Une minute ! Je suis moitié à poil ! » J’attendis, entendant le vrombissement monotone de son sèche-cheveux. « C’est bon, dit-elle. Tu peux entrer ! » J’entrai. Sur le divan, le manuscrit que j’avais ouvert au matin était fermé. Oui, bien fermé.

Le montrant à Clara, je demandai un peu tendu : — Dis-moi, c’est toi qui l’as fermé ? « De quoi ? Ton manuscrit ? » — Ben, oui ! « Non, je crois bien l’avoir laissé ouvert hier avant de m’endormir ! » Elle n’y avait donc pas touché. Moi si, puisqu’au matin, après le court incident de sa chute, je l’avais rouvert en aveugle et disposé sur le divan comme je l’avais trouvé ! Je ne voulus pas l’inquiéter. — Et alors, qu’en penses-tu ? Nouant ses longs cheveux, elle afficha avec une légère moue : « Pas mal ! Mais j’aimerais le finir si tu veux ! On en reparle plus tard ? » — Ça marche !

 

Dois-je dire que les jours suivants, je fis maintes incursions dans la chambre de Clara pour voir où en était mon manuscrit ? De toute évidence, — et tout absurde fut ce constat, il semblait bel et bien vivre de sa propre vie ! L’avais-je réveillé en allant le chercher au grenier ?  Que cherchait-il à me communiquer ? Qu’il aurait préféré rester où je l’avais trouvé ?

Un soir, c’est Clara qui, rentrée du travail, s’en vint à m’en parler. Et là, moi je tombai des nues ! « C’est simple, me dit-elle, moi j’ai lu ça comme un brouillon de ce qu’on devrait vivre tous les deux !

D’une certaine façon, nous sommes l’un l’autre les personnages de ton histoire ! Le je narratif, c’est évidemment toi, et celle que tu appelles déjà Clara sans me connaître, c’est moi ! En somme, deux personnages réellement incarnés. Ce que j’ai pu comprendre de cette histoire, c’est qu’on devrait cohabiter un an !

Et dans un an, autrement dit à ma majorité, je devrais faire mes malles vers d’autres cieux ! — T’es sûre, tu crois vraiment ? « Tu n’as qu’à te relire ! C’est écrit noir sur blanc ! » J’avais un peu de mal à abonder dans le même sens. Clara était un peu bizarre, mais tout de même ! J’avais tout oublié du contenu du manuscrit. Pourtant c’était bien moi qui en étais l’auteur ! Alors ? « Tu sais, lança Clara, ce n’est pas grave ! Un an, c’est toujours ça de pris ! Et je commence sérieusement à apprécier ta compagnie ! » Bon, ça c’était plutôt gentil, mais qui pouvait me dire pourquoi ce manuscrit n’en faisait qu’à sa tête, tantôt tombant sur le parquet ou se fermant tout seul quand on l’avait laissé ouvert ?

Clara dut lire dans mes pensées. « A ce sujet, dit-elle, je pense qu’il se libère de l’énergie qu’il a dû contenir durant tout le temps qu’il a passé dans ton grenier ! Moi je ruerais dans les brancards pour moins que ça ! » J’ai fait celui qui comprenait.

Mais franchement, je le dis entre nous, tout ça ressemblait fort à une histoire de fous !

yves carchon

Patville, un feuilleton signé Yves Carchon, écrivain, auteur de "Riquet m'a tuer", de "Vieux démons", de « Le Dali noir », et de son nouveau polar « Le sanctuaire des destins oubliés »

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Bernie
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10 commentaires

  1. En effet, on croirait à une histoire de fous avec ce livre qui bouge tout seul …
    Un signe ? Un présage ? …

    Bonne fin de semaine avec un temps automnal.
    Pour ceux qui me demandent des nouvelles, j’en suis toujours au même point
    avec encore des examens complémentaires à faire !
    Ayant toujours des douleurs très fortes, je reste donc en pointillés
    mais avec des articles quotidiens pour continuer à vous faire sourire
    et vous donner de mes nouvelles …
    Gros bisoux, cher bernie.

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