Covid-19 : Patville Le Feuilleton | Épisode 34

Reconfinement jour 15… « Patville, Journal en temps de coronavirus: Le Feuilleton », un feuilleton fiction, écrit par Yves Carchon, autour du coronavirus. A suivre tous les vendredis pendant la période de pandémie.

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Patville, Journal en temps de coronavirus

Chapitre 11 : Nos morts (suite et fin)

Reno avait dû tout raconter, à commencer par la disparition de la came à la suite à l’accident. Murphy l’avait écouté en sachant Reno réglo. Il s’était donc radouci. Ce qui le préoccupait, et dont il s’était ouvert au pourvoyeur de came, c’était la tension qui était montée d’un cran à Oraculo.

En quelques jours, une sale atmosphère, lourde d’orages, s’était peu à peu insinuée dans les cellules et les coursives, au réfectoire et dans la cour de promenade. Selon Murphy, les bagnards avaient été chauffés à blanc par Hayes, dit Le Rat, tous étant au bout du rouleau parce qu’en manque de coke, denrée (autre mot de Mr O’Hara) qui n’avait pu être livrée en temps et en heure.

— Vous savez ce que c’est qu’être en manque ? l’avait apostrophé Murphy. Moi, je crois le savoir, et vous aussi, peut-être, mais Le Rat, lui, en fait les frais et le vit dans ses chairs… Et bien d’autres avec lui ! Sans came, pas sûr qu’on pourrait tenir bien longtemps ces putains d’enragés ! On ne peut pas jouer avec leurs nerfs ! Sans dope, ils deviennent fous ! Ecoutez-les !

Reno les entendait, et leur remue-ménage faisait froid dans le dos. Des bêtes qu’ils étaient devenus, sans espoir de sortie, sans pouvoir même imaginer un probable futur. Et c’était ça qui les tuait. Pas les sévices, par le travail forcé, pas même les conditions de vie au bagne. Non : c’était de se savoir sans avenir qui les flinguait. Oraculo était pour eux le terminus de leurs vies.

Le froissement de leurs timbales et assiettes en fer blanc sur les barreaux de leurs cellules semblait ne plus finir. D’autres reprenaient la frappe répétitive sur leurs poêlons et leurs fait-tout. Murphy guettait un signe qui signerait la fin de ce bordel. Mais non !

— Ça se poursuit, et c’est pas bon tout ça, avait-il grimacé. Habituellement, ça retombe très vite. Mais là, ça m’a tout l’air de ressembler à une amorce de mutinerie !

Que lui répondre ? Murphy savait probablement ce qu’il disait et comment diable mener ces hommes. C’est vrai aussi que le concert de casseroles ne s’était pas interrompu, ce qui avait de quoi crisper le gardien-chef. Comme lui, d’ailleurs.

Le tintamarre qui se répercutait à l’intérieur d’Oraculo en aurait harcelé plus d’un. Ils étaient raides dingues, ces gars. « Des dingues, » qu’il s’était dit Reno.

Murphy, debout derrière les vitres du bureau, semblait attendre que la fièvre s’apaise. Reno ne pouvait lire sur son visage puisqu’il était tourné de dos. Mais ses épaules, sanglées dans son uniforme de gardien, portaient le poids du monde.

— Et pour la coke, on fait comment ? avait lâché Murphy.

— Je dois la retrouver, avait lancé Reno. En attendant, je vous ferai passer la livraison qu’Alan vous devait…

Murphy s’était tourné d’un bloc, le visage fermé.

— La livraison doit être rapide ! Ils sont à cran !

Reno avait promis une livraison spéciale.

— Et l’héro d’aujourd’hui ? s’était enquis Murphy.

— Elle est dans le camion.

— Parfait. Nous allons décharger ! Je vais mettre des gars sur le coup !

— J’ai aussi avec moi deux gamines d’Irma…avait insinué Reno.

Murphy s’était fendu d’un médiocre sourire. 

— Gageons que ça en calmera plus d’un !

A cet instant, — tout s’était arrêté d’un coup, comme si les détenus avaient compris ou entendu comme en écho aux paroles de Murphy que la came et les putes étaient bien arrivées et que leurs livraisons se feraient dans la nuit. Murphy s’était assis, marquant d’un petit rire niais un vrai soulagement. Le brutal silence avait fait place à une respiration nouvelle dans le bureau. 

Reno, en bon conteur sachant mêler horreur et rire, avait eu le mot de la fin. « Moi, je n’avais pas ri, avait-il dit en souriant à ce trivial souvenir, mais il m’était venu une furieuse envie de pisser et j’avais pas tardé à courir jusqu’aux chiottes pour vider ma vessie. » De derrière ses barreaux, il nous avait lancé un malicieux clin d’œil, à Jim et moi.

Et ça, c’était du Reno tout craché ! Du fond de sa cellule de Patville, il se confiait à qui voulait l’entendre, enfin aux visiteurs devenus rares. Depuis longtemps, Collins avait été lassé par ses histoires invraisemblables. Il ne l’écoutait plus, doutant de ses propos. Pas nous ! C’étaient ces moments-là qu’on savourait quand, Jim et moi, allions le visiter.

Reno parlait, parlait, parlait. Et nous, nous l’écoutions.

 

Patville, un feuilleton signé Yves Carchon, écrivain, auteur de "Riquet m'a tuer", de "Vieux démons", de « Le Dali noir », et de son nouveau polar « Le sanctuaire des destins oubliés »

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Bernie
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14 commentaires

  1. Bonjour,

    Le soleil est reparti et nous laisse la pluie et le froid.

    C’est pas de chance pour sortir même si c’est qu’une heure donnée gratuitement pas la Macronie.

    Le week-end arrive alors j’espère qu’on aura un peu de soleil.

  2. et oui un vrai feuilleton avec parfois des situations pénibles, comme hier dans une grande surface ou des gens ne veulent pas attendre aux caisses, alors ça rouspètent….mais je crois que ce genre de personnes il y en aura toujours…..passe en tout cas une bien agréable journée

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