Déconfinement jour 159… « Patville, Journal en temps de coronavirus: Le Feuilleton », un feuilleton fiction, écrit par Yves Carchon, autour du coronavirus. A suivre tous les vendredis pendant la période de pandémie.
Patville, Journal en temps de coronavirus
Chapitre 10 : Un petit gars du Sud (suite)
Reno, quand il partait livrer le bagne, ne pouvait donc jamais prédire le temps il y ferait, ni même sous quels auspices il renouerait avec les sommités du bagne, les Blackstone et Murphy. Ces gars étaient vraiment à part.
Ce qu’il avait noté aussi, c’est que le mauvais temps était souvent de la partie là-bas et qu’avec lui régnait un climat très tendu entre les murs d’Oraculo. Une tension électrique, pareille à ces ondes palpables qui annoncent un orage imminent. Sans la discipline de fer que Blackstone exigeait, pas sûr que ce chaudron bouillant ne fût pas à deux doigts d’exploser.
Alors qu’il observait Diego sortie de sa cahute pour faire le plein d’un pick-up à l’arrêt, une subite pensée se ficha dans un coin de sa tête, comme une écharde dans un doigt. Un problème à traiter.
Pire même : un très délicat sac de nœuds, qu’il lui faudrait élucider au risque de perdre sa crédibilité aux yeux de Murphy et Blackstone. Et qui disait perte de crédibilité, disait perte de confiance et donc un sérieux coup porté à son commerce. Et ça, Reno voulait l’éviter à tout prix. Une franche explication s’imposait donc.
Il lui faudrait d’abord raisonner Hayes, qu’on surnommait Le Rat, qui devait être furax et attendait toujours la livraison d’Alan qui lui avait été promise. Une sale histoire, la mort d’Alan : non seulement Alan avait percuté un pylône, mais les sachets de coke, censés être livrés là-bas, avaient bel et bel disparu. Qui avait mis la main dessus ? Mystère.
Et ça, il devrait l’éclaircir très vite. Et le plus tôt serait le mieux. Pour dénouer ce sac d’embrouilles, il lui faudrait le soutien de Murphy et sa présence à son côté quand il affronterait Le Rat. Pas question de parlementer seul à seul avec lui ! Dément comme il l’était, Le Rat était capable de le planter. Reno redoutait donc le pire. « Peut-être, se dit-il, devrais-je en référer à Blackstone lui-même ». Oui, ça limiterait Le Rat dans sa folie.
Il soupira. Ça n’était pas gagné d’avance. Là-bas, il en fallait très peu pour que tout parte en vrille. Et vite, très vite. Faut dire aussi qu’ils étaient tous à vif dans ce pénitencier en plein désert. Qui n’aurait pas péter les plombs ? Il préféra n’y plus penser. Une fois là-bas, il verrait bien !
A hauteur de la pompe à essence, le pick-up était reparti ; Diego était assis derrière les vitres de sa cahute. Reno aurait pu attendre les filles avec lui, d’autant qu’il y avait toujours à l’intérieur une musique en fond sonore. Du blues, essentiellement, sur un vieux transistor, branché du matin jusqu’au soir, que Diego ne cessait d’écouter en boucle.
Mais Diego était très bavard et Reno préférait bien souvent vider seul son soda dans son coin. C’est pourquoi il s’était installé à l’écart, loin du bagout de son pote Diego.
Né pas très loin de Santa Fe, Diego était arrivé dans la région sans un sou en poche. Il avait trouvé ce job de pompiste qui lui allait bien. C’était un très gros lecteur, Diego, qui en connaissait des tonnes sur toutes les légendes du Far West.
Un vrai puits de science. Reno s’étonnait toujours de son incroyable mémoire. Retenir autant de noms et autant de faits l’avait toujours scotché. Ains, les Custer et les Belle Starr n’avaient aucun secret pour lui. Sans parler de Sitting Bull ou de Buffalo Bill, qui, en fin de parcours, s’étaient retrouvés à devoir faire leur numéro dans un cirque itinérant. Diego avait un faible certain pour Davy Crockett et une passion pour Billy the Kid, ce célèbre hors-la-loi arrêté par Pat Garrett au Nouveau-Mexique.
C’est d’ailleurs de cet Etat qu’était venu Diego. Avec un tel gars, pas moyen de s’ennuyer, d’autant qu’en écoutant ses histoires, pendu à ses lèvres, on était bercé en arrière-fond sonore par les chouettes tonalités de John Lee Hooker ou la non moins sublime contrebasse du grand Willie Dixon.
« Tout ça, c’est bien joli, mais ça ne règle pas mes ennuis du moment », avait cogité Reno. Qu’Alan fût mort brutalement était certes un problème. Il perdait avec lui une sorte d’associé, même si l’appellation était plutôt exagérée.
Car Alan n’avait jamais rien contrôlé, ni n’avait même jamais été traité comme un véritable associé. Reno l’avait toujours manipulé, et d’autant plus quand le jeunot s’était lancé dans la défonce. Dès le début pourtant, le deal avait été très simple entre eux : Reno fournirait de la coke à Alan qui la revendrait en solo à Oraculo, sans dire qu’il connaissait Reno ; le fruit de cette vente reviendrait à Reno dans sa totalité, lequel verserait à Cooper un maigre pourcentage sur celle-ci.
Pour Reno, l’intérêt de passer par Alan résidait dans le fait de simuler une fausse concurrence auprès d’Oraculo et de pouvoir ainsi faire le yoyo avec le prix de vente, d’autant qu’ils ne proposaient pas la même dope. Mais à la fin des fins, tout finissait dans les poches de Reno, excepté la portion congrue destinée à Alan.
Patville, un feuilleton signé Yves Carchon, écrivain, auteur de « Riquet m’a tuer« , de « Vieux démons« , de « Le Dali noir », et de son nouveau polar « Le sanctuaire des destins oubliés »
Retrouvez
Covid-19 : Patville Le Feuilleton | Épisode 29
Covid-19 : Patville Le Feuilleton | Chapitre 9 | Chagrin d’amour
Covid-19 : Patville Le Feuilleton | Chapitre 8 | Fils à papa
Covid-19 : Le Feuilleton | Chapitre 7 | Les Terres Hautes
Covid-19 : Le Feuilleton | Chapitre 6 | Collins contre tous
Covid-19 : Le Feuilleton | Chapitre 5 | Le bagne d’Oraculo
Covid-19 : Le Feuilleton | Chapitre 4 | Le village de nous autres
Covid-19 : Le Feuilleton | Chapitre 3 | Les culs terreux
Covid-19 : Le Feuilleton | Chapitre 2 | Les culs terreux
Covid-19 : Le Feuilleton | Chapitre 1 La fin des temps
Merci pour ce partage , toujours aussi captivant ce feuilleton .
avec plaisir
Un beau partage passe une bonne soirée bisous
merci
Passe une bonne journée Bernie
Merci, toi aussi.
A Nice, les bars et les restaurants l’ont échappé belle !
Bon Vendredi
oui croisons les doigts.
Très bien écrit et captivant ! Bonne fin de semaine !
Merci