Covid-19 : Patville Le Feuilleton | Épisode 26

Déconfinement jour 131… « Patville, Journal en temps de coronavirus: Le Feuilleton », un feuilleton fiction, écrit par Yves Carchon, autour du coronavirus. A suivre tous les vendredis pendant la période de pandémie.

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Patville, Journal en temps de coronavirus

Chapitre 9 : Chagrin d’amour

La terrasse franchie à la suite du vieux, Collins était entré dans la grande maison et s’était étonné de son extrême fraîcheur. De larges et hautes fenêtres étaient ouvertes, laissant passer un petit air qui venait du jardin, filtré par l’imposant feuillage des grands arbres. Les sycomores avaient toujours bluffé Collins, autant par leur hauteur que par la majesté de leur branchage. Et il aimait ces arbres comme de vigoureux vieillards pleins de sagesse. Ceux-ci auraient sûrement des choses à dire, s’ils avaient la parole, se disait-il parfois.

Passant près d’une fenêtre, il sentit courir sur la peau de ses bras un très léger zéphyr, porteur d’un lourd parfum de fleurs suaves. A la faveur du rideau blanc aux motifs ajourés, qui doucement se soulevait, il aperçut les campanules bleues d’un luxuriant jacaranda. Il comprit d’où venait l’odeur délicate emplissant la maison : de l’exsudat que distillait les campanules.

La clarté de la pièce baignait un mobilier plutôt rustique, ornant habituellement les maisons coloniales. Ici une tablette, là un divan finement tapissé. Quelques trophées : une tête de caribou et les grands bois d’un cerf, pendus aux murs. De rares tableaux, représentant pour la plupart des scènes de chasse. Et, sur un mur très clair, le beau portrait en pied du fondateur de la lignée Cooper, James Archibald Cooper, inscrit en toutes lettres sur la dorure du cadre. Collins avait noté la fière allure des colonnades blanches qui ceignaient la maison, lui rappelant celles du Capitole qui figuraient sur les calendriers des Postes. Mais en les observant et en jetant un œil au portrait de l’illustre Cooper, il y avait trouvé l’écho feutré d’une splendeur passée, à jamais écornée par le train de ce monde.

Marchant devant, Cooper s’était tourné de trois-quarts vers Collins.

— Il est là-haut, avait-il dit, en ouvrant une porte et en montrant l’étage.

Ils s’étaient retrouvés dans une sorte de bureau assez sombre. Jeff avait deviné qu’une importante bibliothèque couvrait un pan de mur entier. Probablement, le saint des saints du maître des lieux. Au fond de ce petit bureau, un escalier en bois d’érable conduisait à l’étage.

En haut, J.Cooper se signa avant d’entrer dans une chambre faiblement éclairée. Jeff le suivit, en ôtant son chapeau. Etendu sur un lit bien trop grand gisait Alan que Jeff reconnut aussitôt. Visage cireux, traits soulagés : le fils Cooper avait trouvé l’apaisement.

On l’avait habillé de frais, il semblait tout propret et content, comme quand il se rendait au temple de son vivant. « Oui, le voilà fin prêt ! », s’était dit Jeff. C’est en tout cas ce qui lui avait traversé l’esprit. Ce genre de choses qui viennent souvent quand on se trouve en présence d’un mort. Bizarres et drolatiques.

Il s’était tourné vers Cooper.

— Navré, monsieur Cooper, de vous imposer cette corvée !

— Vous faites votre métier, Collins. Vous vouliez voir Alan. Eh bien, voilà ! C’est chose faite !

Il en avait vu d’autres, sans doute, le vieux Cooper. Mais perdre un fils aussi brutalement n’était pas chose facile. Non, ça, Collins pouvait l’entendre, même si Cooper tentait de jouer les farauds. D’autant un jeune garçon comme Alan Cooper qui n’avait pas trente ans.

Mais Jeff était resté sur la réponse du vieux qui parlait de « chose faite » et qui, de cette manière, l’éconduisait. Il s’était apprêté à sortir de la pièce et à mettre son chapeau, quand Cooper l’avait arrêté.

— Pour tout vous dire, j’aimerais vous parler de mon fils. Ça ne pourra pas manquer de vous servir dans votre enquête ! Je crois savoir pourquoi Alan se livrait au trafic de coke… Mais suivez-moi, je vais vous montrer mon haras ! Nous bavarderons en chemin !

Ils retrouvèrent le rez-de-chaussée, la grande pièce où flottaient les subtiles fragrances émanant du jardin, la clarté inondant toutes choses, tranchant avec l’ombre feutrée qui entourait le mort du haut. En attendant que le propriétaire des lieux demande une voiture, Collins eut un regain de sensuel plaisir. Mais le regard austère tombant du cadre où veillait Archibald lui gâcha son plaisir.

— Oui. La calèche suffira ! Dites à Pablo de nous récupérer au bas de la terrasse, lança Cooper au téléphone.

Jeff put noter que J. Cooper avait repris son ton autoritaire d’homme de pouvoir. Il n’était déjà plus le père portant le deuil de son fils, mais le royal potentat, éleveur de chevaux, sûr d’être dans son droit.

La calèche s’était rangée en bas des marches, tirée par un cheval bai à la crinière noire. Une magnifique bête conduite par un nabot au teint très mat et aux joues hautes.

— Cómo está, Pablo ? dit J. Cooper, sur un ton faussement amical.

— Muy bien, señor !

Pablo, d’un petit coup de rêne, lança son attelage à petits trots.

 

Patville, un feuilleton signé Yves Carchon, écrivain, auteur de "Riquet m'a tuer", de "Vieux démons", de « Le Dali noir », et de son nouveau polar « Le sanctuaire des destins oubliés »

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