Covid-19 : Le Feuilleton | Épisode 17

Déconfinement jour 61… « Journal en temps de coronavirus: Le Feuilleton », un feuilleton fiction, écrit par Yves Carchon, autour du coronavirus. A suivre tous les vendredis pendant la période de pandémie.

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Journal en temps de coronavirus

Chapitre 5 : Le bagne d’Oraculo (suite et fin)

La qualité était pourtant médiocre, la dope étant mêlée à de la méthadone. Qu’importe : son commerce était florissant. Surtout dans deux comtés où les autorités fermaient les yeux, moyennant un petit pourcentage en retour. Personne bien sûr n’aurait pensé parler de corruption à ce sujet : on préférait le mot business. Un mot qui recelait fortune et biens accumulés, argent, affaires, qu’elles soient douteuses ou non.

 

Mais pour Reno, là où les choses s’avéraient compliquées, c’était dans le comté d’Oraculo où tout trafic était banni. La loi y était inflexible avec les trafiquants et autres proxénètes, en grande partie parce que les gens qui y vivaient, confits en dévotion, exigeaient de la part de leurs propres édiles une morale et une conduite irréprochables.

Il y avait certes toujours moyen de s’arranger avec les autorités des comtés. L’ennui, c’est que dans celui-ci Reno ne connaissait personne qui, en haut lieu, eût pu le protéger.

Ç’avait été précisément la pierre d’achoppement, contre laquelle Murphy avait buté quand il s’était agi de convaincre Reno.

— Je voudrais pas d’ennuis, vous comprenez, avait argué Reno. Ça pourrait foutre mon business en l’air !

Mais Murphy l’avait assuré que Bloodstone, en lien avec les bureaux du comté, saurait trouver là-bas appuis et bienveillance.

« Une livraison une fois la semaine serait-elle suffisante », s’était enquis Reno. « Mais oui ! » avait grogné Murphy, qui avait ajouté : « Et pour les filles, ça peut se faire ? ».

— Moins évident… Un arrivage une fois par mois, ça irait-y ?

— Ma foi…

— Mais attention ! avait tenu à préciser Reno. Faudra les rendre en bon état !

Tous deux étaient tombés d’accord et ils l’avaient topé comme larrons en foire.

Murphy, ayant rendu compte à Bloostone de l’entretien qu’il avait eu avec Reno, avait obtenu son feu vert, sous réserve d’en savoir un peu plus sur ce type. Il avait donc fait son enquête, grâce au concours actif de la police des comtés, qui en savait déjà beaucoup sur Allan Reno. La plupart des rapports que Murphy s’était ingénié à croiser relataient tous à peu de choses près la même histoire qui aurait pu se résumer ainsi :

Reno avait été un petit gars du Sud, natif du Mississipi, qui avait connu la misère, comme tous les petits blancs qui y vivaient. Mais cette misère n’était pas celle des Noirs qui, elle, était profonde.

Sans évoquer l’impitoyable ségrégation et les crimes commis contre les gens de couleur, Reno avait connu les sombres années après la crise, quand toute l’économie avait été foutue par terre et qu’on avait parlé de nababs de Wall Street, totalement ruinés, qui n’avaient trouvé d’autres solutions que d’aller se jeter dans le vide, du haut de leur gratte-ciels.

 

Elevé par son père, — Reno ayant perdu sa mère à l’âge de trois ans, il s’était rapidement endurci et avait épaulé son père, autant qu’il le pouvait. Un homme de la terre, son paternel, élevant des poulets et qui, à l’occasion, distillait son alcool dans l’alambic hérité de son père, au fin fond de sa grange. Reno avait très vite compris tout le parti qu’ils pouvaient en tirer.

Revendant l’alcool de maïs à bas prix, ils s’étaient faits en peu de temps une sacrée clientèle. C’était Reno, déjà, qui livrait les commandes et qui bientôt, vu l’affluence éclair d’amateurs de gnole, dut changer leur antique camionnette et acheter un vrai camion de livraison. Avec l’alcool de maïs étaient livrés aussi poulets et œufs. Une affaire familiale qui, ma foi, tournait bien.

 

Faut-il dire pour autant que si Reno n’avait pas eu un bon physique, elle aurait moins marché ? Pas sûr. Il était grand, bâti comme un athlète, avec une gueule d’ange, des cheveux blonds crantés et un bagout d’enfer. Son allure de play-boy, sa gentillesse aussi étaient prisées. Les dames lui auraient pris sa cargaison d’œufs et poulets.

Et leurs maris son chargement de gnole, pour peu qu’il trinquât avec eux. — Un bon garçon, disaient certaines, le regard vaguement attendri. Les hommes, eux, parlaient d’un gars seul capable de vendre des lunettes à une armée d’aveugles.

 

A la mort de son père, Reno avait abandonné tout ce foutu commerce pour se lancer sérieusement dans la vente de chevaux et le trafic de carabines. Des Winchester, calibre 22L.R., modèle « Cheyenne ». Un business très lucratif qui lui avait permis de s’acheter un Ford F1, camion avec lequel il avait commencé à livrer de la bouffe aux hôpitaux et aux maisons d’arrêts du coin. Il avait dû très vite répondre à la demande d’autres besoins, tout aussi exigeants, même si certains n’étaient pas avouables.

 

Voilà ce que Murphy avait appris sur le passé dudit Allan Reno, passé correspondant assez à ce qu’il avait pu capter au cours de leur bref entretien.

C’est ainsi qu’avait commencé la collaboration entre Reno et le bagne d’Oraculo, association très fructueuse pour chacune des parties, puisque le pourvoyeur faisait son beurre et que Bloodstone, avec l’onction des huiles du comté, maintenait le couvercle sur la marmite brûlante d’Oraculo.

Cette coopération aurait pu perdurer, aussi longtemps que la came affluait et que des filles toujours nouvelles donnaient entière satisfaction aux insatiables brutes.

Seulement voilà : personne n’avait compté avec un grain de sable qui s’en viendrait gripper cette association idéale. Pourtant, dans ce fieffé désert, ce n’était pas le sable qui manquait ! On eût pu y penser. Mais non !

 

Ce grain de sable avait un nom ne payant pas de mine et que déjà nous connaissons pour l’avoir rencontré : celui de Jeff Collins.

Et c’est par lui qu’arriva le malheur pour nous autres.

Fin du chapitre 5

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Patville, un feuilleton signé Yves Carchon, écrivain, auteur de "Riquet m'a tuer", de "Vieux démons", de « Le Dali noir », et de son nouveau polar « Le sanctuaire des destins oubliés »

 

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Covid-19 : Le Feuilleton | Chapitre 4 | Le village de nous autres

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Bernie
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6 commentaires

  1. Un business bien rodé mais qui va connaitre des ratés à cause du grain de sable , j’ai hâte de connaitre la suite
    Bonne journée

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