Covid-19 : Patville Le Feuilleton | Épisode 23

Déconfinement jour 110… « Patville, Journal en temps de coronavirus: Le Feuilleton », un feuilleton fiction, écrit par Yves Carchon, autour du coronavirus. A suivre tous les vendredis pendant la période de pandémie.

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Patville, Journal en temps de coronavirus

Chapitre 8 : Fils à papa

Après avoir remis son rapport à Cushing, Collins s’était déplacé jusqu’au chef-lieu du comté pour élucider cette histoire de matricule de la voiture accidentée. « Vous y allez mollo ! l’avait prévenu Joe Cushing. Je veux pas des histoires ! »

Au moins, s’était dit Jeff, ça avait le mérite d’être clair. Il ne désirait pas qu’on brassât trop ! Oui, mais voilà ! Quand lui, Collins, était sur une affaire, il lâchait rien, non, rien. A West Point, — il en avait gardé le souvenir comme si c’était hier, on l’avait nommé chef de chambrée. Eh bien, les choses tournaient du feu de Dieu ! Il savait se faire obéir, y compris par les fils à papa qui grouillaient à l’Ecole militaire. Des types qui le snobaient, avec une morgue pas croyable. Des gars nés le cul dans la soie. Pas comme lui !

Dès son jeune âge, Collins avait dû apprendre à se battre contre vents et marées pour sortir de l’ornière où l’avait laissé sa naissance. Père et mère alcooliques, sans famille, il avait été tôt placé dans un foyer où il avait appris à se défendre. Œil pour œil, dent pour dent. Pas question de baisser la garde face aux petits marlous peuplant cette maison de correction. Il avait fait très vite le coup de poing, quitte à en prendre plein la gueule aux tous débuts. Après ces escarmouches, les choses avaient changé. Il avait dû rejoindre un clan qui l’avait adoubé.

Collins, au souvenir de ces rudes années, savait que désormais il n’avait rien à craindre de personne. Il avait acquis la peau dure. Aucun n’était de taille à lui en imposer. Et il était buté, plus têtu qu’une mule. Emy le lui disait souvent, et elle avait raison. Il n’en poursuivait pas moins son chemin, sans se soucier des bavardages à son sujet, ni du qu’en-dira-t-on.

Au chef-lieu du comté, un gars qui s’occupait des immatriculations l’avait reçu. Et Jeff avait appris très vite à qui appartenait la Chevrolet. Un dénommé Jason Cooper. Un nom que personne ne pouvait ignorer à Patville car chacun savait peu ou prou qui était un tel homme.

« Un gros morceau, s’était dit Jeff Collins. Pas plus, pas moins que J. Cooper, le patriarche des Terres Hautes ! » Voilà qui risquait fort de contrarier Cushing. « Une enquête délicate à mener, » avait-il pensé, en remontant dans sa voiture. Mais il n’avait pas d’autre choix que de se rendre dans les Terres Hautes pour rencontrer le vieux Cooper. Et de lui demander l’identité du gars conduisant la voiture à son nom.

Une voiture en miettes, avec un coffre bourré de came, dont le conducteur mort s’était évaporé dans la nature. Oui, il semblait inévitable qu’il ait une saine explication avec le vieux des Terres Hautes.

Mais avant toutes choses, Jeff s’était demandé s’il ne lui faudrait pas passer d’abord par la case Cushing, au risque de perdre un temps précieux et en sachant que celui-ci voudrait en informer Cooper. Il n’avait pas hésité très longtemps, se décidant de ne rien dire au maire et à seule fin d’avoir toute latitude dans son enquête. En commençant par interroger J. Cooper et en ayant une discussion entre quatre-z-yeux, peut-être bien que son mort finirait bien par refaire surface afin de lui livrer ses plus petits secrets. « Sait-on jamais ! » avait-il maugréé, tout en s’engageant sur la route des Terres Hautes.

La route qui menait aux Terres Hautes avait été souvent aménagée, inondée maintes fois par des pluies torrentielles et défoncée par les mastodontes agricoles qui l’empruntaient régulièrement pour se rendre d’un champ à un autre. Grâce aux taxes payées par les propriétaires des Terres Hautes aux services du comté, Patville n’avait pas eu à mettre beaucoup de sa poche. Et c’était bien venu, car au village, côté infrastructures, il y avait beaucoup à dire. Cushing s’était déplacé combien de fois pour obtenir de l’aide ? « Oh, des paquets de fois, » avait pensé Collins, l’œil rivé sur la route.

Une route en rase campagne, courant en ligne droite entre des champs infinis de tabac et que baignait la pâle lumière d’un ciel fadasse. « Peut-être qu’il pleuvra ce soir, » s’était-il dit, tout en doublant une charrette ployant sous un volumineux chargement de maïs. Dans le rétroviseur, il avait aperçu la silhouette du gars qui guidait son cheval.

Comme il roulait vitres baissées et que le temps était au gris, il montait de la terre une odeur végétale et comme un souffle chaud, qui ressemblait à une forte haleine, un remugle animal d’étable. Plus loin, paissaient des troupeaux de bovins. Plus il s’approchait des Terres Hautes, plus il voyait des hommes aux champs, courbés sur leur labeur.

Il ralentit, apercevant trois magnifiques Paint horse aux flancs tout tachetés, courant dans un enclos. Des chevaux qu’il aimait parce qu’ils avaient l’allure de ceux qui en avaient été les maîtres : les Indiens Pawnees, guerriers ayant bravement combattu à la fameuse bataille de Little Big Horn. A ce sujet, Collins avait appris que ces chevaux avaient eux-mêmes participé à ce carnage et que beaucoup avaient survécu au massacre. Des rescapés, en somme. « Mais dans toute guerre, il y a toujours des rescapés, » s’était-il dit en poursuivant sa route. Qu’il s’agît de chevaux le comblait néanmoins.

Quand on arrivait aux Terres Hautes, on tombait sur la rue principale, bordée de riches maisons blanches à colonnades, avec pour la plupart d’entre elles des vérandas fleuries qui donnaient sur la rue. Tout au long des trottoirs étaient garées de nombreuses calèches, stationnant devant des boutiques, et des charrettes à bras, chargées de sacs d’engrais. Une survivance, ces charrettes, mais qu’on utilisait encore et que tiraient des hommes de peine dans les champs de maïs.

A l’entrée des Terres Hautes, Collins avait noté un gros placard publicitaire qui vantait les vertus du maïs. Une sorte de bannière brandie avec fierté et destinée aux visiteurs. Il se souvint que trois gros épis jaunes, se découpant sur un cheval dressé, formaient le blason de la ville. Collins l’avait appris de la bouche de Cushing, un jour qu’ils parlaient des Terres Hautes.

A côté, — et ça, il ne put s’empêcher d’y penser, Patville tenait du bled, avec ses maisons en torchis, ses étables et ses auges à cochons, ses rues toutes bosselées, même sa mairie, qu’on aurait dit une grande halle aux murs tout décrépis. A part le temple, que le Révérend avait restauré grâce aux dons généreux de certains, rien ne semblait tenir debout à Patville. Ah si, peut-être : le Cactus’ Bar. Faut dire que les patrons avaient ripoliné l’endroit, et comment ça, dans des teintes pétards qu’on voyait même la nuit, quand la lune les lustrait gentiment de sa touche. A l’intérieur aussi, c’était nickel, avec le bar et le juke-box flambant neuf. Et ça pulsait toujours, grâce à la musique nègre, country et blues réunis.

Patville, un feuilleton signé Yves Carchon, écrivain, auteur de « Riquet m’a tuer« , de « Vieux démons« , de « Le Dali noir », et de son nouveau polar « Le sanctuaire des destins oubliés »

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Retrouvez

Covid-19 : Le Feuilleton | Chapitre 7 | Les Terres Hautes

Covid-19 : Le Feuilleton | Chapitre 6 | Collins contre tous

Covid-19 : Le Feuilleton | Chapitre 5 | Le bagne d’Oraculo

Covid-19 : Le Feuilleton | Chapitre 4 | Le village de nous autres

Covid-19 : Le Feuilleton | Chapitre 3 | Les culs terreux

Covid-19 : Le Feuilleton | Chapitre 2 | Les culs terreux

Covid-19 : Le Feuilleton | Chapitre 1 La fin des temps

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Bernie
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16 commentaires

  1. Ces chevaux paint horse sont superbes , j’en ai monté un et c’était un vrai plaisir .
    Je suis revenue en arrière j’avais raté cet épisode .

    • C’est pour cela que je mets les liens des épisodes ou chapitres précédents. Il peut arriver qu’on rate un épisode.

  2. Salut,
    J’ai lu mais pas la tête alors je repasserais.
    Le temps est variable voir pluvieux. La température est seulement de 20°.
    Si ca continue le chauffage va se mettre en route.
    Bon week-end

  3. Bonjour.
    Une bonne idée ce journal au coeur de la pandémie.
    Merci de tes passages et commentaires.
    Je suis toujours en normandie.
    Bonne fin de semaine
    Amitiés

  4. Un excellent descriptif des lieux qui met tout de suite dans l’ambiance.
    Le décor est planté !
    Je te souhaite une bonne fin de semaine avec l’arrivée du mauvais temps et le départ de nos amis … 🙁
    On reprend les bonnes vieilles habitudes alors qu’on n’a pas vu passer l’été !
    Enfin, perso, je n’ai pas l’impression d’avoir vraiment eu de belles et bonnes journées estivales, avec la canicule plus la covid dont on nous rebat les oreilles …
    Et l’actualité de plus en plus morbide.
    Gros bisoux, cher bernie.

  5. pas vraiment devenu un feuilleton mais une réalité dont on nous rabat les oreilles à chaque instant….un ordre quand il y a changement serait suffisant à condition que l’on s’y tienne….passe un bien doux vendredi annoncé pluvieux par chez nous

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