Covid-19 : Le Feuilleton | Épisode 18

Déconfinement jour 75… « Journal en temps de coronavirus: Le Feuilleton », un feuilleton fiction, écrit par Yves Carchon, autour du coronavirus. A suivre tous les vendredis pendant la période de pandémie.

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Journal en temps de coronavirus

Chapitre 6 : Collins contre tous (suite)

Resté seul, Collins avait fini par s’approcher de ce qui avait été une Chevrolet. Flambant neuve, sortie tout droit de l’usine de montage et désormais a chase. Pliée, s’était-il dit.

Alors qu’il regardait à l’intérieur, il découvrit le corps d’un homme jeune, encastré derrière le volant. Pas trace de sang dans l’habitacle. Pas de bouteille d’alcool non plus qu’il aurait pu trouver sur le siège dit du mort. Le gars avait dû perdre les pédales. Pourquoi, comment ? Ça, ce serait à lui de faire toute la lumière sur tout ce qui s’était passé vraiment. Comme il finirait par apprendre, avec le matricule de la voiture, le nom de son propriétaire.

Passant un bras à l’intérieur du véhicule, il avait glissé une main dans le veston du mort, à seule fin d’y trouver des papiers dans la poche intérieur. Mais rien, pas trace de papiers.

Il avait fait le tour de la voiture, l’examinant de près, avant de décoincer le coffre. Et là, il avait découvert le pot aux roses. Un coffre plein de sacs de cocaïne.

Levant la tête, il avait eu un fin sourire. Il y avait des chances, comme l’avait dit l’Indien, que cette cargaison provienne des Terres Hautes. Un secteur, justement, qu’il comptait mettre au pas. Ç’avait tout l’air d’être le moment.

En pensant à tout ça, ses yeux avaient suivi les nuages de sable que soulevait le vent. Le ciel s’était comme assombri. Il y aurait de la pluie vers le soir. Souvent, à cette saison, des tempêtes se levaient, écrasant tout sur leur passage. Trois ans plus tôt, il y avait eu des morts avec ce vent violent : il se souvenait d’une famille, prise dans les sables, qui y était restée. Non, mieux valait encore rester chez soi quand de pareilles tempêtes soufflaient !

Ayant noté sur son calepin le matricule de la Chevrolet en carafe et transporté dans son coffre de voiture le chargement de came, Collins était retourné à Patville, bien décidé à enquêter du côté des Terres Hautes.

Tout en roulant, il s’était dit qu’arrivé au bureau, il dirait à Emy de donner le feu vert à l’Indien pour qu’il récupère le corps du jeune gars. Le doc enverrait une voiture pour le porter jusqu’à la morgue de l’hôpital. Enfin, on l’appelait ainsi. En fait c’était plutôt un dispensaire qu’on avait au village. L’hôpital, le vrai, avait été construit au cœur des Terres Hautes, pour soigner le haut du pavé. Nous autres, les péquenots, on était tout compte fait à la ramasse. On l’avait certes toujours été ; ça n’allait pas changer.

En l’occurrence, là, oui et non. Sans l’insistance de l’Indien, qui avait bataillé auprès des huiles du comté pour qu’on ait au village de quoi être soigné, Jim était sûr qu’on nous aurait laissé crever, nous tous ici. La maladie, c’était bon pour les riches. Nous autres, on était juste bon à s’échiner. Par chance Mr O’Hara, qu’on écoutait comme un oracle quand il lâchait un mot, avait plus qu’épaulé le doc en convaincant Cushing. En tant que maire, il avait pu peser de tout son poids pour qu’on ait gain de cause. Et on avait fini par obtenir ce qu’on voulait.

C’est ainsi que le dispensaire avait peu à peu vu le jour à Patville ; des soins avaient été organisés. L’Indien, en plus de ses visites à domicile, tenait à assurer une permanence dans ce local tout flambant neuf. Une permanence quotidienne, chaque jour que Dieu faisait, comme aurait dit Mme Holy. Et c’était lui, qui accouchait les mères, soignait et vaccinait les mioches et réduisaient les luxations. Lui qui cautérisait les plaies, posait des attelles sur les jambes cassées… C’était enfin entre ses mains que passaient tous les morts. Un sacré doc, l’Indien, que chacun respectait.

Collins, ayant aperçu les premières maisons du village, avait pensé qu’Emy devrait taper son tout premier rapport. Et ça, ce n’était pas gagné d’avance. Il l’avait maintes fois incité à s’exercer sur le clavier. Mais Emy n’avait mis qu’un entrain relatif à s’approprier la machine à écrire. Peut-être bien que lui devrait s’y mettre, à la frappe des dossiers, et qu’il n’exigerait d’Emy que deux ou trois bricoles, comme de répondre au téléphone et lui préparer le café. 

Oui, tout ça, il verrait. Pas sûr non plus que l’embaucher eût été la meilleure des idées. Mais Collins se disait qu’on devait s’entraider, même si parfois ceux qu’on aidait n’étaient pas trop au rendez-vous. Il ne se voyait pas non plus la laisser choir, Emy. Ça n’était pas dans sa morale de revenir sur sa parole donnée. Emy était tout bonnement mal dégrossie. A lui de la former.

En garant sa voiture, il jeta un coup d’œil du côté du Cactus bar. En ce matin tout gris, un air d’Elvis Presley s’échappait du jukebox du bistrot. Il s’en venait bercer l’oreille de Mme Samuel qui, sur son pas de porte, parlait à une cliente. Putain de voix, s’était dit Jeff. D’où sortait-il cet incroyable blues : du fond de sa cambrousse ? C’est vrai qu’en l’écoutant, on en avait la chair de poule. Enfin, les femmes surtout. Collins, lui, préférait de loin la poignante Holiday. Rien qu’à l’entendre, il sentait son échine lardée de longs frissons. Une des plus grandes, Billie.

Moteur coupé, il avait pensé à son coffre plein de came qu’il devrait décharger pour la mettre en lieu sûr. Il faudrait y penser. De toute façon, dès le début d’après-midi, il en parlerait à Cushing.  Même si Collins n’était pas sous les ordres du maire, il se savait tenu de l’informer. N’était-il pas le premier magistrat de Patville ?

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Patville, un feuilleton signé Yves Carchon, écrivain, auteur de « Riquet m’a tuer« , de « Vieux démons« , de « Le Dali noir », et de son nouveau polar « Le sanctuaire des destins oubliés »

 

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Bernie
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12 commentaires

  1. Je me demande s’il ne va pas arriver quelque chose à sa cargaison et pourquoi elle n’a pas été embarquée apres le règlement de compte .
    Bonne journée

  2. Je découvre cette histoire !
    Extraite d’un livre ou écrite pour le blog uniquement ?
    Relisant, en ce moment, le futur livre d’une amie, je suis en plein « dedans » …
    Je te souhaite une bonne fin de semaine avec des températures plus raisonnables.
    Cette chaleur me ramollit le corps et le cerveau !
    Gros bisoux, cher bernie.

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