Covid-19 : Le Feuilleton | Épisode 10

Déconfinement jour 12… « Covid-19 : Le Feuilleton », un feuilleton fiction, écrit par Yves Carchon, autour du coronavirus. A suivre tous les vendredis pendant la période de pandémie

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Journal en temps de coronavirus

Chapitre 3 : Le sang indien de Ma- suite

Une chose qui était sûre se rapportant à Ma, c’est qu’elle avait appris toute jeune à parler cherokee auprès de sa grand-mère. Mais elle avait fini par l’oublier le cherokee, sauf lorsque Pa la faisait sortir de ses gonds et qu’elle plongeait dans une fureur sans nom. Alors, elle lui criait de vrais jurons en cherokee. Pa la sommait d’abandonner son charabia. Mais Ma continuait, marmonnant dans sa barbe.

A y regarder de plus près, il était clair qu’avec sa taille, son teint très mat et son abondante chevelure, —qu’il lui arrivait de tresser quand elle prenait du temps pour elle, ce qui était ma foi chose rare, Ma ne ressemblait pas à toutes ces autres femmes qui peuplaient le village. Il aurait suffi de mettre côte à côte   Ma et Mme O’Hara pour voir la différence. Autant la mère de Jim avait le visage allongé et diaphane, autant celui de Ma était cuivré et large. Evidemment, Ma aurait préféré être aussi rousse que la mercière, Mme Holy, quitte à avoir les joues criblées de taches de rousseur.

Ce qu’elle ne savait pas — et ça, c’est Jim qui l’avait entendu de la bouche même de Mme O’Hara et qui, un jour, me l’avait dit, c’est qu’elle se désolait de n’avoir pas les cheveux noirs de Ma ! Aussi, j’étais content d’avoir hérité d’une tignasse aussi épaisse que celle de Ma. Ça, j’étais sûr que ça venait de mon côté indien, Pa étant blond comme les blés.

Par certains traits, je ressemblais à Ma ; par d’autres à Pa. J’avais hérité d’elle une infinie patience, un certain fatalisme et quelque chose qui ressemblait à un réel désir de vivre en paix avec les hommes, les bêtes, les plantes, jusqu’aux pierres du désert qui parfois me parlaient. J’adorais les histoires que Ma me racontait au sujet de son peuple. La paix qu’avaient connue mes arrière-grands-parents dans les verts pâturages d’un éden saccagé par l’arrivée des Blancs, la guerre qui s’en était suivie et l’élimination des siens ne laissaient pas de m’étonner. Les chants qu’elle fredonnait, le soir, pour m’endormir et les histoires qu’elle ressassait, pareils à des mantras et qui parlaient du grand Sachem, me ravissaient.

Pa, lui, m’avait légué son infinie révolte, sa force, cette insatisfaction perpétuelle que j’avais dans le sang et qui courait confusément en moi. Une sourde violence que je sentais parfois bouillonner dans mon corps et qui finirait bien par jaillir au grand jour.

J’incarnais donc en somme un mélange parfait de Pa et Ma. C’est en tout cas ce que me disait Ma quand je l’aidais à nettoyer l’auge aux cochons.

— Pas comme ta sœur, ça non !

Quand Janis était née, ç’avait été une autre histoire. Ça n’avait pas été tout seul, ah non ! Janis était noiraude, avec une peau bleutée quand elle était sortie des entrailles de Ma. Une véritable squaw. Quand elle avait poussé ses premiers cris, Pa avait décelé dans ses pleurs de bébé de « vrais cris de sauvage ». Il n’avait pas tout à fait tort.

En grandissant, Janis avait montré un sacré caractère, repoussant les risettes de Pa et rappelant à toute la maisonnée qu’il faudrait compter avec elle, quoique son être fût fragile et sans défense. Gamine, elle était comme un frère, voulant jouer avec mes camarades, jeux qui se clôturaient souvent par d’interminables bagarres. « Un vrai garçon manqué », répétait Pa. Très vite, il l’avait rejetée, la rabaissant telle une souillon, sans s’avouer que ce qu’il détestait en elle était ce qui l’avait séduit en Ma.

Sauf que depuis notre naissance, Pa ne décolérait pas, trouvant que nous étions deux charges dont il aurait pu se passer, s’il n’avait pas croisé la destinée de Ma. La violence était déjà là, tapie en lui dans son tréfonds, l’alcool n’ayant fait qu’aviver son irascible rage.

On faisait donc en sorte, Janis et moi, de faire comme si ni l’un ni l’autre n’habitions la maison. Nous vivions il est vrai la plupart du temps au dehors. Janis ne me lâchant pas d’une semelle, il m’avait donc fallu la faire admettre dans notre groupe. Le groupe avait tordu du nez, très réticent à accepter une fille Mais j’avais insisté. Finalement, on l’avait accueillie. Seulement voilà : vu son fort caractère, Janis avait tenté de faire sa loi avec nous autres. Elle n’était pas très haute, mais elle aurait voulu mener son monde à la baguette. Mais nous, nous n’allions pas nous laisser faire ! C’est ce qu’avait assuré Jo-le-Cinglé, le fils du charcutier. Aussi, quand elle avait voulu tenter une main mise sur notre groupe, l’avait-on rabrouée. Elle en avait voulu à tous, à commencer par moi. Mais nous ne pouvions pas l’entendre de cette oreille. C’était hors de question. Janis avait dû se résoudre à suivre le mouvement, au risque d’être ignorée.

Jo-le-Cinglé était alors en quelque sorte le chef des petits ploucs que nous étions. Il maniait le couteau, sorte d’opinel qui se fermait. Quand il sortait sa lame, pas un seul ne mouftait. Ça, c’était avant l’arrivée de Jim. Nous n’obéissions qu’à la loi du talion, et nos combats de coq étaient fréquents. Très souvent pour des riens, par ennui, par bêtise. Mais avec Jim, une page se fermerait, une ère nouvelle s’ouvrirait, comme qui dirait l’avènement de la démocratie. Mais on en était encore bien loin à l’époque dont je parle !

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Patville, un feuilleton signé Yves Carchon, écrivain, auteur de "Riquet m'a tuer", de "Vieux démons", de « Le Dali noir », et de son nouveau polar « Le sanctuaire des destins oubliés »

 

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Bernie
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18 commentaires

  1. C’est un blog très intéressant ! Merci pour la visite et le commentaire sur mon blog ! Je te souhaite de passer un agréable week-end . Cordiales amitiés & à +

  2. J’adore te lire chaque vendredi et les colères de ma me font penser aux miennes qui, lorsque je suis vraiment en rage s’expriment en patois, comme une vraie paysanne que je suis et qui trouve plus de poids aux mots dans la langue que j’ai pratiquée jusqu’à ma rentrée à l’école où il fallait parler français avec cet accent pointu que tous les paysans lui trouvent …
    Je reprenais mon patois dès mon retour à la maison …

    Juste un tit coucou rapide pour te souhaiter une bonne fin de semaine
    avec un vendredi dans la grisaille contrairement à hier où on a frisé les 30° !
    Gros problème de santé avec la suspicion d’une nouvelle éventration …
    Avec le dos en plus, je ne reste assise que très difficilement.
    Gros bisoux, cher bernie.

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