Conte de Noël : Le riche homme de Lyon

 

En cette période d'avant-fêtes, Yves Carchon  nous offre une série de contes merveilleux. Cette semaine « Le riche homme de Lyon », Tu es pauvre, sans ressources, et l’Homme de Lyon est riche, respecté de tous

 

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Le riche homme de Lyon

Il y a bien longtemps vivait à Lyon un homme riche et respecté de tous. Cet homme avait fait fortune en comptant les années d’autrui. Quand quelqu’un voulait connaître son âge, il allait cogner à la porte du bonhomme.

— Assieds-toi et bois de mon vin ! Tu seras bien plus joyeux quand tu connaîtras ton âge, lui disait l’Homme de Lyon.

Et l’homme s’asseyait, buvait de son vin tout en se laissant griser par le nectar.

— Eh bien, riait-il. Peux-tu dire mon âge maintenant ?

— Je le peux, assurait l’Homme de Lyon, mais tu as le temps ! Reprends donc un verre ! On est toujours assez vieux pour connaître son grand âge !

— C’est juste, convenait son visiteur.

Et il s’enivrait encore.

A chaque fois, le riche Homme de Lyon demandait une pièce d’or à son visiteur puis il murmurait à son oreille un âge fictif.

— Quoi, je suis donc si jeune ? S’étonnait l’homme.

— Oui. Et tu vivras vieux, très vieux, assurait l’autre.

Ainsi fait-on fortune ou à peu près. Là où la crédulité est reine, il y a toujours un malfaiteur. Mais le riche Homme de Lyon était aimé de tous. Personne ne discutait son grand renom. Chacun voulait le convier à sa table, lui offrir les plus belles étoffes, une fille à marier, des souliers luxueux mais d’aucuns il n’était l’ami. En un mot grands comme miséreux étaient abusés par ce filou. A chaque fois que l’un le visitait, la magie de son nectar faisait le reste.

— Reprends donc un verre ! disait le fieffé coquin. Que t’importe de connaître l’âge de tes os ! N’es-tu pas bien plus heureux dans l’ignorance ?

— En sachant mon âge, répondait l’autre, je pourrais savoir combien il me reste de jours à vivre !

— Sauras-tu en profiter ? Eviter de te lancer dans de folles aventures ?

Le crédule visiteur était prêt à tout promettre. Il songeait aux pièces d’or qui bientôt iraient emplir ses caisses, aux maisons dont il deviendrait propriétaire.

— Bon, approche, lui disait l’Homme de Lyon.

Et tout en soufflant un chiffre à l’oreille du visiteur, il tendait sa longue main pour cueillir le fruit de son mensonge. Plus le visiteur était naïf, plus l’Homme de Lyon tirait sur sa bourse. Et quand un vieillard pleurait sa jeunesse perdue, il s’entendait dire suavement : « Allons, ne geins pas ! Il te reste encore cent ans à vivre ! »

— Cent ans, s’ébahissait l’autre. Es-tu sûr ? Ma peau se craquelle, mes os s’effritent et mon cœur est un pendule ! Je ne tiens même plus debout !

— J’en suis sûr, assurait le bandit.

Et il lui versait une nouvelle rasade de vin.

Le vieux s’en allait en titubant, répétant sur tous les toits qu’il avait encore cent ans à vivre. Il rentrait chez lui, reprenait l’ouvrage, montrant tout autant d’allant qu’au temps de son plus jeune âge. Et s’il mourait, le riche Homme de Lyon invoquait le Ciel et sa Toute-puissance. Sans le Ciel, on eût découvert sa tromperie, mais avec son aide, tout était possible !

Il advint pourtant un jour que le Ciel, lassé d’être un alibi, se vengea de cet usurpateur. Le riche Homme de Lyon avait trop tiré profit de son commerce. Il était grand temps qu’il paie.

Et voici comment :

Dans la bonne ville de Lyon vivait à la même époque un homme simple et sans manières. Ce pauvre homme, tonnelier de son état, connaissait mieux que personne les effets du vin. Il savait par expérience que l’Esprit du Vin se niche dans son arôme, que, dès qu’on le hume, il monte au cerveau. Inutile de dire alors ce qui s’ensuit : les idées se brouillent, l’oreille se fait plus distraite ; on entend tout de travers et on voit danser le monde devant soi !

Le bon tonnelier l’avait appris à ses dépens. Il se doutait bien que l’Homme de Lyon était un voleur. Mais il se disait : « Tu es pauvre, sans ressources, et l’Homme de Lyon est riche, respecté de tous. A lui, on est prêt à tout offrir. Mais que t’offre-t-on à toi ? A peine de quoi manger ! Tu vois bien que tu n’es rien ! A quoi bon tenter le Diable ? »

— En tous points tu as raison, dit le Ciel au tonnelier un soir qu’il dormait sur l’un de ses tonneaux. Mais toi, tu possèdes la Vérité. Pourquoi ne pas la servir ?

— Je le voudrais bien, mais comment pourrai-je ?

— Tiens, lui dit le Ciel. Voilà bien plus d’or qu’il ne te faut pour te présenter à ce voleur !

Et le Ciel emplit de pièces d’or la cave où dormait le tonnelier.

Dès le lendemain, le tonnelier chargea sur son âne deux tonnelets bourrés de pièces d’or et se mit en route. A midi, il sauta à terre devant la munificente demeure de l’Homme de Lyon et cogna trois coups à sa porte.

— Qui es-tu et que viens-tu faire ? demanda le riche Homme de Lyon.

— Je suis tonnelier, déclara notre envoyé du Ciel. Je voudrais savoir combien il me reste à vivre !

— Entre, lui dit l’autre.

— Je t’ai apporté deux tonnelets, dit alors le tonnelier. Puis-je te les offrir ?

— Volontiers, dit le coquin.

L’envoyé du Ciel pénétra dans la demeure, un petit tonneau sous chaque bras. Le riche Homme de Lyon le fit asseoir tout en lui servant de son nectar.

— Bois de mon bon vin ! Tu seras bien plus joyeux quand tu connaîtras ton âge !

— Attends ! dit le tonnelier en posant ses tonnelets. Je t’offre un marché ! Tu vois ces tonneaux ! Eh bien, à chaque goutte de ton nectar que tu m’offriras, je ferai tourner un robinet. A chaque fois, il en sortira une pièce d’or. Et cette pièce te reviendra ! Que penses-tu d’un tel marché ?

Le riche Homme de Lyon crut bon s’offusquer.

— Mais, dit-il, c’est à moi d’offrir à boire ! Tu n’as pas à me payer à chaque goutte de mon nectar !

— Ah, vraiment ! Tu peux refuser et je m’en irai !

Et disant cela, le fin tonnelier feignit d’embarquer ses tonnelets.

— Non, non. Nous ferons comme tu veux, dit l’infâme coquin en lui agrippant la manche.

— Soit, sourit le tonnelier. Si nous commencions !

— Ne voulais-tu pas savoir ton âge ? demanda l’autre.

— A quoi bon ? Je préfère savoir le tien ! Sers-moi donc à boire mais seulement goutte après goutte !

Le riche Homme de Lyon ne protesta pas. A peine avait-il servi une goutte de son nectar que l’autre la but tout aussitôt et tourna son robinet d’où tomba une pièce d’or.

— Te voilà bien jeune, riait l’envoyé du Ciel. Tu as juste un an !

— Non, non, répondait le riche Homme de Lyon. Je suis bien plus vieux !

Et il présentait un nouveau verre au tonnelier empli d’une goutte de son vin. L’autre la buvait, et à chaque fois tombait dans la main avide de l’Homme de Lyon une pièce d’or étincelante.

— Oh, tu n’as que deux ans, se gaussait le tonnelier. Tu es bien petit !

— Non, non, suppliait le riche Homme de Lyon. Je suis un vieillard !

Pour chaque goutte de nectar versée tombait une nouvelle pièce. Le brave et bon tonnelier riait de plus belle. Le riche Homme de Lyon ne voulait plus s’arrêter !

— Je suis donc si vieux, pleurait-il de joie voyant la centième pièce d’or briller dans sa main.

— Oh, plus vieux encore, se moquait le tonnelier. Il te reste encore beaucoup d’années à vivre !

Mais quand la millième pièce d’or s’en alla rouler à terre, le riche Homme de Lyon étouffait sous un tas d’or.

— Arrête ! cria-t-il au tonnelier.

La mille et unième pièce fut pour lui fatale. Elle jaillit du tonnelet, bondit dans la bouche de l’Homme de Lyon et cloua le bec au malheureux. Il mourut sur l’heure. Jamais on ne sut la cause de sa mort mais dans un registre paroissial il est rapporté que le brave tonnelier mourut lui à l’âge de cent vingt ans.

 

yves carchon ecrivain

 

 

Un conte signé Yves Carchon, écrivain, auteur de "Riquet m'a tuer", de "Vieux démonset de « Le Dali noir »

 

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Bernie
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12 commentaires

  1. Et voilà une belle histoire où le méchant profiteur est puni …
     » Bien que toujours en semi-pause, je passe te faire un petit coucou
    et te souhaite une bonne fin de semaine quasi hivernale.
    Gros bisoux cher bernie « 

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