L’Histoire de la miraculeuse conception de Fabrice Ferdyduk

Fabrice en apprit ainsi beaucoup plus sur sa mère morte que vivante. Il sut gré à son père de lui restituer Mme Ferdyduk dans toute sa pureté… La saga Ferdyduk une nouvelle signé Yves Carchon.

famille canard canne

 

La saga Ferdyduk

Sa mère était morte quand son père mourut. Dix ans séparaient la mort de ses parents. Ne restait que lui au monde. Comme il revenait du cimetière, il pensa à ces dix ans vécus avec son père dans la plus parfaite harmonie. Pas une ride, pas un nuage pendant tout ce temps. A croire que sa mère avait été un obstacle dans leur relation père fils.

Pourtant, quand Fabrice songeait à sa mère tant aimée, c’était toujours avec admiration et tendresse. De son côté, sa mère l’avait passionnément chéri au point de délaisser Mr Ferdyduk et surtout la peinture qui était la passion de sa vie. Sans un remords, elle avait dit adieu aux paysages impressionnistes qu’elle aimait tant pour s’adonner à la procréation naturaliste.

– Vois-tu, confiait parfois Mme Ferdyduk à son fils, tu es mon œuvre la plus accomplie. Un jour, j’ai pris avec ton père la palette la plus riche en couleurs, le pinceau le plus fin et je t’ai donné vie !

C’était quand il avait six ans et qu’il passait des heures à rêvasser, assis près d’elle dans la salle à manger contiguë à l’alcôve où sa mère travaillait. Penchée sur une antique Singer, elle lui parlait tout en cousant. Et Fabrice écoutait sans jamais se lasser l’Histoire de sa miraculeuse conception.

Sa mère avait fini par créer une histoire fantastique, toute auréolée de mystères bien que fourmillant de dates, de repères, de mille précisions, lesquelles étaient souvent fausses et donc vraies quelquefois.

Très tôt, le jeune Fabrice avait eu une vision fantaisiste de la vérité. Où était le plus vrai : dans ce qui s’était réellement passé ou dans ce que sa mère inventait ? Elle mettait tant de véracité dans ses affabulations !

Ce qui le séduisait surtout était la facilité avec laquelle Mme Ferdyduk refondait perpétuellement la propre genèse de sa conception. Quand il faisait beau, sa mère lui disait l’avoir conçu sur un banc de square au cœur du printemps. Elle avait bien sûr usé de tous ses charmes pour convaincre le futur père d’accomplir la chose.

– Ton père était si timide à cette époque ! Sans moi, tu serais resté dans l’œuf, mon pauvre Fabrice !

Quand il avait plu toute la journée, Mme Ferdyduk déclarait sincèrement avoir été prise sur le divan antique que sa mère lui avait donné pour son mariage. Elle était à même de dire qu’il devait être minuit et que tout s’était passé dans le noir.

Fabrice, lui, s’émerveillait d’avoir été tant désiré par Mme Ferdyduk. Et il en voulait obscurément à son père d’avoir montré si peu d’empressement à le concevoir. Mais ceci n’était qu’une version !

Pour tout dire, il lui arrivait de ne plus s’y reconnaître. Il se demandait alors si tout cela avait une réelle importance. L’essentiel n’était-il pas qu’il fût au monde ? Le comment était subsidiaire.

Ce ne fut que vers huit ans qu’il s’interrogea sur la pertinence à être au monde. Cette question l’angoissa longtemps. Il harcela jour et nuit Mme Ferdyduk. Mme Ferdyduk n’en dormait plus. Elle pleurait, sanglotait contre sa poitrine de gamin, l’assurant de son ingratitude et le suppliant de ne plus s’enquérir sur le pourquoi de l’existence. Fabrice s’en émut et garda dès lors ses questions pour lui.

Alors débuta une longue période où Mme Ferdyduk et son fils n’échangèrent que des silences. A dix ans, Fabrice était prêt à nouveau à se confier à son imprévisible mère mais il la sentait si nerveuse qu’il en fut découragé. Il est vrai que maintenant il était un petit homme et qu’il lui fallait songer sérieusement à bâtir son avenir. Il se rapprocha naturellement de Mr Ferdyduk en qui il trouva un exemple d’intégrité.

Son père était moins bavard, moins disert que Mme Ferdyduk. Il ne voulait pourtant pas que Fabrice se fourvoie dans une voie qu’il n’aurait pas choisie. Aussi le laissait-il entrer librement dans sa bibliothèque pour qu’il choisît des livres à son goût et à sa convenance. Entre dix et quinze ans, Fabrice s’imprégna d’une multitude de lectures, aussi denses que riches. Plus tard il en fut reconnaissant à son père et le lui dit. Mme Ferdyduk en conçut une grande jalousie. Elle s’acharna à reconquérir un fils qu’elle croyait avoir perdu. Fabrice s’en gaussa cruellement et joua à cache-cache avec elle. Pendant quelque temps, Mme Ferdyduk retourna à sa peinture. Fabrice usa de ce peu de temps pour lire un peu plus. Puis un jour, comme sa mère achevait une aquarelle, il voulut peindre à son tour.

Mme Ferdyduk ne put contenir sa joie. Ce fut une période idyllique pour elle, une seconde lune de miel avec son fils. Elle l’emmenait avec elle à la campagne, dressait son chevalet en pleins champs ou au bord de l’eau, et lui apprenait la Nature. Fabrice se montra studieux, attentif à sa mère jusqu’au moment fatal où il tomba pour la première fois éperdument amoureux. Il lâcha tout : pinceaux, toiles, aquarelles pour ne se consacrer qu’à Elle. C’est ainsi du moins que Mme Ferdyduk appela l’inconnue, n’ayant pas le privilège de connaître son prénom.

Son fils à nouveau venait de lui crever le cœur. Elle ne s’en remit pas. Un beau matin, Mr Ferdyduk la trouva froide à son côté. Il n’eut pas même le courage de pleurer. Quant à Fabrice, il en éprouva une telle souffrance qu’il n’approcha plus aucune femme pendant longtemps.

La mort de Mme Ferdyduk devait rapprocher Mr Ferdyduk de son fils. Il lui parla souvent de la jeune femme qu’il avait connue avant qu’elle ne devienne tout à fait Mme Ferdyduk. Et Fabrice eut ainsi l’occasion de connaître une nouvelle version de l’Histoire de sa miraculeuse conception. Il resta sur sa faim. Son père lui avoua ne pas se souvenir quand Mme Ferdyduk et lui l’avaient conçu. Pour la mémoire de sa femme, il ne voulait pas, lui, affabuler ! Il préférait redonner vie à des souvenirs demeurés intacts dans sa mémoire.

Fabrice en apprit ainsi beaucoup plus sur sa mère morte que vivante. Il sut gré à son père de lui restituer Mme Ferdyduk dans toute sa pureté. Ce n’était plus sa mère que son père lui peignait mais une jeune fille pleine d’amour et de sève. Au bout du compte, il tomba follement amoureux de Mme Ferdyduk.

Dans les derniers temps, Mr Ferdyduk mélangeait à son tour les dates et les lieux. Il finissait par ressasser les mêmes histoires avec des variantes, pour ne pas dire des oublis. Fabrice s’en désolait sans pouvoir lui-même le guider.

Puis Mr Ferdyduk mourut.

Fabrice se jura d’aller le voir souvent au cimetière pour lui parler.

C’était maintenant son tour de raconter.

En revenant du cimetière et en dodinant du menton, Fabrice tenta de se remémorer la date exacte de la mort de sa mère.

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Une nouvelle signée Yves Carchon, écrivain, auteur de "Riquet m'a tuer", de "Vieux démonset de « Le Dali noir »

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Bernie
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6 commentaires

  1. Une belle histoire, enfin, nonobstant le mensonge qui semble régner sur cette famille, on ne sait plus très bien faire la part du vrai et du faux …
    Bonne fin de semaine, avec le froid qui arrive mais le soleil reste présent.
    Gros bisoux, cher bernie.

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