Je connais Nathalie et sa famille depuis une grosse quinzaine d’années. Elle m’a plusieurs fois confié certains problèmes avec Rick, son fils aîné. C’est elle qui m’a demandé cette interview, me disant que si elle est lue et entendue, peut-être qu’elle se sentirait moins seule, malgré le risque d’être désapprouvée.

Entrevue avec Nathalie : « Je ne suis pas sûre d’aimer mon fils aîné »
Virginie Vanos (VV) : Bonjour Nath, merci de m’avoir demandé cette entrevue. Entrons directement dans le vif du sujet. Tu me dis avoir honte de tes sentiments à l’égard de Rick, ton fils aîné…
Nath : Bonjour Virginie.
Ma première réaction serait de te demander si en tant que parent, on doit d’office aveuglément aimer ses enfants.
Et la seconde serait : Est-ce normal de ne pas comprendre, accepter et pardonner son propre enfant ?
VV : Explique-nous ta situation familiale ainsi que ton parcours.
Nath : Je suis avec mon compagnon depuis presque 29 ans. Mon fils ainé, Rick, a à ce jour 27 ans, mon cadet, Will en a 24.
Depuis tout gamin, Rick a un comportement de petite brute autoritaire. Par exemple, il a giflé son grand-père quand ce dernier lui a appris à faire du vélo. Je l’ai évidemment vertement engueulé, Rick m’a répondu « Il m’a fait tomber, il est méchant ! ».
Aussi, quand Will était bébé, il a connu beaucoup de problèmes digestifs. Rick a décrété du haut de ses 3 ans et demi qu’un bébé, c’était moche et sale et peu de temps après, il a voulu lui donner un bain bouillant.
Il a mis Will dans la baignoire et a commencé à faire couler l’eau plus chaud possible. J’avais tourné la tête trente secondes, et aujourd’hui encore, je me sens coupable de ce moment d’inattention. Will n’a pas été blessé vu qu’il s’est mis à hurler très rapidement.
Quand j’ai demandé une explication à Rick, il m’a dit que le bébé devait être nettoyé, avec un petit rictus que j’ai trouvé cruel. Je crevais d’envie de le gifler, mais je m’en suis abstenue.
De nos jours, même dans ce genre de cas, on ne met plus la main sur un gosse mais « on engage le dialogue ».
Hors, il n’y a jamais eu de réel dialogue entre Rick et moi.
VV : Et à l’école ?
Nath : Rick mettait un point d’honneur à être le premier partout, quitte à tricher (mais ça, je ne l’ai su que plus tard). Ses instituteurs me disaient sans cesse qu’il était intelligent, mais arrogant et qu’il avait des tendances à la violence verbale.
Il avait 8 ans quand son vocabulaire d’insultes s’est fameusement développé. J’étais horrifiée, mon compagnon l’était encore plus.
Entre autres exemples, il a traité une petite fille d’origine congolaise de «sale pute nègre qui ne pense qu’à baiser », cogné un autre gamin car « les roux, ça pue, je n’en veux pas dans ma classe » et brisé je ne sais combien de paires de lunettes, à cause de sa haine des binoclards.
Je lui ai demandé des explications, il m’a répondu que c’était normal que les faibles ou les « puants » (c’était son mot de l’époque pour qualifier les gosses et même les adultes qu’il n’aimait pas) reçoive une bonne correction.
Un de ses instits lui a demandé devant moi pourquoi il se sentait supérieur à tout le monde et sans baisser le regard, Rick a répondu « Parce que c’est vrai et il n’y a que la vérité qui blesse ! ». Plus il grandissait, plus je craignais de voir arriver le temps de l’adolescence.
VV : Et avais-tu raison d’avoir peur ?
Nath : Mille fois oui ! Bon, il n’a jamais picolé, ne s’est jamais drogué (il a juste tenté le tabac vers 18-19 ans, sans grande conviction), a eu moins de gestes violents, mais en paroles…
Ses profs comme certains autres parents se sont plaints de ses insultes incessantes. Et du fait que chaque année, il se trouvait une poignée de condisciples à corriger. Au début, il s’en prenait surtout aux garçons.
Un léger surpoids, le fait d’avoir de l’acné (ce dont Rick lui-même n’a pas été dépourvu !), être roux, ne pas être 100% blanc, être d’une famille moins aisée, ne pas être sportif…
C’étaient de véritables tares à ses yeux.
Et puis, il a commencé avec les filles. Dans son esprit, et il ne s’en cachait pas, il y avait 3 types de filles :
- les « thons » (à qui il réservait le même traitement qu’aux garçons que je viens de mentionner),
- les « salopes » (il a commencé à mettre des mains au cul, ou à la poitrine ou bien à s’amuser à filer des collants en Nylon ou à faire claquer des soutiens dans le dos vers 14 ans, sans parler des insultes)
- les « baisables » (des jeunes filles plus effacées, qui devaient être obligatoirement jolies, timides et complexées). Peu après, il a commencé sa « carrière de Dom Juan ». Ce qui veut dire que dès ses 16 ans, il a cumulé les conquêtes qu’il « faisait dégager » après maximum deux ou trois semaines.
VV : Son père ou toi êtes intervenus ?
Nath : Oui, on a tenté de lui faire comprendre que faire du mal aux autres et surtout briser le cœur ou la réputation d’une fille étaient des actes malveillants. Il s’est contenté de nous adresser son petit rictus « Cause toujours, je suis tellement mieux que vous ».
On en a parlé à ses profs. Presque personne n’a bougé car c’était un élève brillant dans presque toutes les matières. Seule une de ses profs de français l’a cerné très rapidement. Elle ne l’a jamais convoqué de façon officielle, mais a tenté de le recadrer par le biais des cours et des devoirs.
S’il rendait une dissertation où son propos était raciste, sexiste, violent ou marquait son complexe de supériorité, elle lui collait une note inférieure à 10/20 et mettait en marge « orthographe et syntaxe parfaites mais postulats de base et argumentation totalement creux et dénués de bon sens ».
Elle l’appelait souvent au tableau, aussi. Là, il a commencé à perdre patience. Et il a été se plaindre à la direction pour harcèlement sexuel de la part de cette enseignante.
Heureusement qu’on ne l’a pas pris au sérieux. Sans doute à cause de la personnalité et de la réputation de sa prof, qu’on savait juste, humaine et dure envers… « les petits durs ».
Elle était aussi très active dans le domaine du harcèlement scolaire.
VV : Et son frère, Will ?
Nath : Il n’a jamais eu un comportement similaire à Rick. Je ne dis pas que mon cadet est sans défaut, mais il n’a fait que des conneries sans jamais être méchant, agressif ou inhumain. Leur seul point commun était le sarcasme.
Un jour où Rick (il avait 21 ou 22 ans et était en école supérieure), s’était vanté d’avoir baisé deux thons en même temps pendant qu’une troisième fille les matait, je lui ai demandé pour la millième fois ce qu’il en retirait. Il a répondu « Le plaisir et le pouvoir ».
Son père a tenté une approche en biais en lui demandant ce qu’était la fille idéale à ses yeux, il a répondu : « Jolie sans être canon, discrète et bien habillée, instruite mais qui ne la ramène pas, qu’elle ait du pognon et qu’elle lui témoigne le plus grand respect ».
Will a répondu » : « Et elle devra aussi te cirer les pompes à 17h pétantes et te tailler une pipe juste après ? ». J’ai été offusquée par son langage mais j’ai dû aussi m’empêcher de sourire car il n’avait pas tort dans le fond.
Rick n’a pas répondu.
Il snobe depuis près de 10 ans son frère qu’il trouve faible, ridicule et minable. Will s’en fout, il a toujours su, presque instinctivement, que ce serait une grande perte que de chercher l’affection de son frère.
VV : Pour conclure, tu dis ne pas être sûre d’aimer Rick. Mais es-tu sûre que ce n’est pas de la peur ou de la tristesse ?
Nath : Rick a un fond méchant, je ne connais pas une seule personne à qui il n’a pas lancé un jour une pique vénéneuse. Il m’a déjà traitée de « parasite » (car je ne bosse qu’à mi-temps), de « sale bonniche » et de « vieille poule ».
Mon compagnon a eu droit aux épithètes de « sale gaucho », « crétin pathétique » et de « caniche à sa mémère » (La mémère, c’est moi !).
Aujourd’hui, il vit en Grande-Bretagne où il fait, d’après ses dires, une grande carrière, mais il ne rentre pas dans les détails. Mon fils n’est pas capable d’amour, d’empathie et ne vit que dans la haine, l’esprit de compétition et la rancœur.
Oui, cela me fait mal.
Je ne lui trouve qu’une seule qualité, enfin deux, il est intelligent et débrouillard. Et je suis bien plus fière de Will qui est un grand paresseux et qui manque de courage et d’obstination mais qui lui, ne réclame que le droit d’être heureux et qui est capable de bonté gratuite.
Oui, Rick m’a fait peur depuis qu’il est en âge de faire une phrase complète et je n’ai jamais eu l’impression qu’il m’aimait même quand il était tout petit. Alors, évidemment, cela m’attriste.
Et je me demande tout le temps en quoi je suis fautive pour que mon fils soit aussi cruel. Moi et son père avons l’esprit ouvert…
Mais comment aimer de façon totale et absolue un enfant qui n’est que colère, haine et mépris ?

Une rencontre signée Virginie Vanos
(Re) découvrez l’interview de Virginie Vanos qui nous parle de son dernier roman Anna Plurielle
Ce témoignage me fait penser à un texte de Khalil Gibran dans son recueil « Le Prophète »:
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Et une femme qui portait un enfant dans les bras dit,
Parlez-nous des Enfants.
Et il dit :
Vos enfants ne sont pas vos enfants.
Ils sont les fils et les filles de l’appel de la Vie à elle-même,
Ils viennent à travers vous mais non de vous.
Et bien qu’ils soient avec vous, ils ne vous appartiennent pas.
Vous pouvez leur donner votre amour mais non point vos pensées,
Car ils ont leurs propres pensées.
Vous pouvez accueillir leurs corps mais pas leurs âmes,
Car leurs âmes habitent la maison de demain, que vous ne pouvez visiter,
pas même dans vos rêves.
Vous pouvez vous efforcer d’être comme eux,
mais ne tentez pas de les faire comme vous.
Car la vie ne va pas en arrière, ni ne s’attarde avec hier.
Vous êtes les arcs par qui vos enfants, comme des flèches vivantes, sont projetés.
L’Archer voit le but sur le chemin de l’infini, et Il vous tend de Sa puissance
pour que Ses flèches puissent voler vite et loin.
Que votre tension par la main de l’Archer soit pour la joie;
Car de même qu’Il aime la flèche qui vole, Il aime l’arc qui est stable.
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Je ne suis pas toujours d’accord avec cet auteur mais je prends ce qui me parle, je laisse le reste.
Ici, je vois des parents qui ont fait ce qu’ils ont pu pour lancer leur enfant dans la vie, le reste appartient à cet enfant. Doivent-ils culpabiliser si un vent défavorable a dévié la flèche? Si une plume a un défaut et déstabilise cette flèche?
… Ils ont fait ce qu’ils ont pu. Ils n’ont rien à se reprocher.
J’ai eu la chance d’avoir des enfants fantastiques et je peux comprendre la déception de parents dont le leur ne correspond pas à ce qu’ils avaient projeté et qui peut même provoquer de la souffrance autour de lui. En cela, ce témoignage terrible me touche profondément.
Merci pour votre très intéressant témoignage
Bonjour Bernie. Les parents ont quand même laissé déraper cet enfant, sans ;le cadrer. Je n’ai pas tout réussi avec mon fils aîné qui n’aimait pas l’école mais au moins il est respectueux et tendre. Bonne journée
Bonjour, et non justement, ils n’ont rien laissé déraper, c’est bien toute la question.
j’ ai cru un moment qu’ on parlait de jupiter !
Ce genre de prétentieux finit toujours par se retrouver seul !
Bonne journée Bernie
Tu penses trop à Jupiter…
mon dieu quelle aventure avec ce garçon…..que je n’aurai pas voulu avoir….on peut comprendre sa réaction de maman….mais peut-être est-ce dû à la naissance du second…????? passe un doux jeudi
je n’ai pas la réponse…