Comment admettre les convictions inavouables de ses parents ?

C’est avec grande prudence que je m’approche de Nicolas, dont les parents ont, selon ses dires, « des convictions inavouables ». Pour des raisons évidentes de respect de sa vie privée, son nom a été modifié. Un entretien réalisé par Virginie Vanos

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©Virginie Vanos

Entretien avec Nicolas : « A 45 ans, j’ai commencé à admettre qu’on n’était pas responsable des péchés de ses parents »

 

Virginie Vanos : Bonjour Nicolas, merci d’avoir accepté de parler de ta famille. Peux-tu évoquer ce schéma généalogique dont tu as eu honte pendant si longtemps ?

Nicolas : En très résumé, mes parents sont néonazis, même s’ils ne se l’avouent pas dans ces termes-là. En tout cas, c’est ainsi que je les qualifie.

 

VV : Néonazis, c’est un qualificatif vraiment très dur, terriblement extrême…

Nicolas : Bien sûr, mais c’est celui qui me semble le plus approprié. Ils ne se sont pas « simplement » d’extrême-droite, tout leur mode de vie est axé dans cette direction. De plus, ils ne parlent et n’agissent que par et pour leurs convictions, allant parfois à nuire sciemment à des gens qu’ils connaissent à peine, mais que mes parents considèrent comme des êtres qui méritent d’être recadrés dans cette société ultra permissive.

S’ils n’avaient eu que des mots blessants ou qu’ils se contentaient de s’exciter en privé, je crois que je ne me sentirais pas aussi mal. Mais ils ont fait du tort à trop de gens. Et avec moi, rien n’est jamais très clair, tout semble comme sur une espèce de frontière.

Quand j’étais gamin, je ne voyais même pas les drapeaux et les photos qui décoraient la maison. Je n’ai rien trouvé d’anormal jusqu’à mes 12-13 ans. C‘est quand j’ai pu identifier les personnages figurant sur les photos ainsi que la signification des drapeaux que j’ai commencé à éprouver une espèce de malaise. Avant de mettre un mot sur tout ça, je n’arrêtais pas de penser que c’était bizarre car j’avais eu une enfance heureuse, choyée, protégée et que ce n’était pas compatible avec l’environnement idéologique de mes parents.

Pour moi, être à ce point raciste, anticommuniste, antiféministe, antisémite, homophobe, eugéniste, anticlérical, anti « tout ce qui n’est pas blanc et athée », etc… n’était pas compatible avec un père et une mère aimants. Je croyais que d’office, les gens de l’extrême de l’extrême-droite ne pouvaient être que des bourreaux d’enfants.

 

VV : Tu me dis que tu as commences à ne plus te sentir, je te cite, « coupable de leurs péchés » depuis quelques années. Mais que s’est-il passé avant ?

Nicolas : Je poursuis… A l’adolescence, j’ai commencé à subir la censure de mes parents. Je me souviens que ma mère avait été voir mon prof de français qui avait inscrit au programme la lecture de « Un sac de billes ».

Elle a été furieuse de ne pas avoir obtenu gain de cause. Elle tonnait et mon père lui emboitait le pas, en disant que c’était une honte de tenter de m’enjuiver, qu’on ne respectait plus rien, que les profs étaient des vendus au socialisme et j’en passe.

A la maison, il y avait aussi les films et les musiques interdits. Pêle-mêle, tout ce qui parlait de l’Occupation, de la décolonisation, des droits civiques était prohibé. Par exemple, Brel n’avait pas le droit de cité chez nous à cause de sa chanson sur les flamingants. Gainsbourg non plus, parce qu’il était juif. Plus étrangement, Sylvie Vartan était aussi conspuée car ce n’était « qu’une de ces sales petites profiteuses d’immigrées de l’Est », à cause de ses origines bulgares.

Le disco était intégralement prohibé. Parce que c’était, disaient-ils, une musique de bougnoules et de pédés. Ils haïssaient aussi tout particulièrement Dalida, Coluche et Enrico Macias. Je crois que les raisons sont évidentes…

Par cette censure culturelle, mes parents voulaient faire mon apprentissage, en dépit de toutes les « saletés que j’entendais à l’école ». Le jour où j’ai dû demander à mon père de signer l’autorisation pour aller visiter avec la classe le fort de Breendonk, il a appelé un ami médecin sur le champ, afin de me faire un certificat médical. Il m’a fait recopier 50 fois « Je n’ai pas pu aller à Breendonk car j’avais une angine ». Il voulait que ça rentre bien dans ma tête pour que dans un moment de distraction, je ne trahisse pas les raisons de mon absence.

Enfin, je n’ai pas pu aller à l’université. Mes parents vivaient dans la crainte d’un nouveau mai 68, et j’ai dû faire la première haute école venue, simplement car elle n’était qu’à dix minutes du domicile familial. Tant pis, je ne suis alors pas devenu ce que j’aurais voulu…

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©Virginie Vanos

 

VV : Tu as fini par partir de la maison familiale…

Nicolas : Oui, j’avais trouvé un boulot rapidement, j’avais aussi économisé sur ce que j’avais gagné dans mes jobs d’étudiants, j’ai pu me louer un petit appartement sympa. Mes parents ne m’ont donné leur accord que parce que mon appart n’était pas loin de chez eux et que parce que j’y emménageais seul.

Ma récente indépendance leur avait collé une nouvelle peur : celle que je me mette en couple avec une fille « pas comme il faut ». Et c’est exactement ce que j’ai fait. Je n’avais pas en tête de me rebeller sciemment, mais j’ai vécu pendant deux ans avec une Grecque. J’étais très amoureux, elle aussi, tout simplement !

Mais elle a fini par me quitter quand j’ai dû finir par lui expliquer pourquoi je ne pouvais pas la présenter à mes parents. Je crois qu’elle a aussi cru que j’allais tôt ou tard finir par devenir comme eux. J’ai ainsi tenu ma vie amoureuse complètement secrète. Ma mère se doutait un peu que je ne m’étais pas fait moine. Je m’en tirais toujours en disant que la fille que je fréquentais à tel moment, ce n’était pas très sérieux et que je ne leur présenterai que celle que je m’épouserais. Ce mensonge a bien arrangé tout le monde.

Quand j’ai rencontré dix ans plus tard celle qui allait devenir ma femme, je l’ai prévenue d’emblée qu’elle devrait prétendre être ce qu’elle n’est pas. Elle a été scandalisée, mais a fini par comprendre tout en mettant deux conditions : ne fréquenter mes parents que ce qu’elle appelait « le minimum syndical ». Et qu’ils ne se mêlent jamais de l’éducation qu’on donnerait à nos enfants. Notre fils est venu après 7 mois de mariage…

J’aurais bien aimé prétendre qu’il était prématuré, mais c’était un peu dur vu qu’il est né avec 56 cm et 3 kilos 950 ! Ma mère a dit qu’elle espérait que je ne m’étais pas fait piéger par une arriviste. Je m’attendais à un grand clash, mais c’en est resté là.

 

VV : Tu as parlé d’un sentiment de honte…

Nicolas : J’ai honte de ne pas m’être révolté ou au moins de ne pas avoir coupé les ponts avec eux avant ce que j’appelle « la double révélation ». Quand ils ont été retraités, ils ont fait un voyage aux États-Unis. Là, ils ont découvert le Ku Klux Klan dont ils sont littéralement tombés amoureux ! La même année, ils ont déménagé dans un appartement confortable dans un bâtiment assez grand. Mon père a commencé à prendre des notes sur chacun des occupants, principalement les propriétaires.

Ma mère faisait copain-copain avec tout le monde afin de soutirer des renseignements que mon père consignait soigneusement. Ils ne s’en cachaient même pas. Quand j’allais les voir, ils avaient toujours quelque chose à me raconter : « Tu sais que l’informaticien du 2ème sort avec une sale Arabe ? », « Tu sais que la femme divorcée du 7ème avec le petit chien boit comme une grosse clodo? », « Je suis sûre que l’Italien du 3ème n’est pas médecin comme il le dit, la preuve, on a vu rentrer chez lui des étrangers. »

Tous ces ragots tournaient toujours autour de 4 pôles : la situation professionnelle, l’origine ethnique, les mœurs et la consommation de drogue ou d’alcool. Ma femme et moi avions de plus en plus de mal à le supporter.

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©Virginie Vanos

 

VV : Et peu après, il y a eu la rupture définitive…

Nicolas : Qui a eu lieu 20 ans trop tard. Mais là, ils avaient commis le truc de trop. Je savais bien qu’ils dénonçaient à deux de leurs copains flics tout ce qui leur semblait louche. De mémoire, ils ont signalé des soupçons de sous-location à des clandestins (alors que le gars en question était espagnol et quand il était en vacances, il faisait garder son chien par son père… qui était trop basané au goût de mes parents !), du trafic de drogue (l’homme soupçonné n’avait qu’un seul tort, il était infirmier de nuit !

Mais ces horaires inhabituels étaient aux yeux de mon père la preuve incontestable qu’il était trafiquant), de violences sous l’effet de l’alcool.

Les « violences » en question, c’est presque ridicule vu de l’extérieur. Une vieille dame avait perdu son chat. On l’a vue errer en larmes dans le square en face de l’immeuble. Ma mère a été vers elle et lui a demandé ce qu’il se passait. L’autre dame lui a dit de la laisser tranquille. Et c’est tout !

Mais ce qui m’a définitivement poussé à rejeter mes géniteurs est la fausse plainte qu’ils ont déposée à l’encontre d’une jeune femme. La plainte, évidemment, a été reçue par un de leurs damnés copains de la police. Ils avaient cette femme de 28 ans dans le collimateur depuis son installation. Elle était « suspecte » pour un cumul de raisons : c’était anormal qu’elle soit propriétaire à son âge et qu’elle travaille à domicile.

Dès qu’elle recevait des copains, mes parents étaient au courant (normal, ils surveillaient tout et tout le monde) et prétendaient d’elle organisait des orgies avec sa bande de junkies. 4 ans durant, la jeune voisine n’a pas cessé d’entendre les pires choses. Et personne n’osait la défendre par peur de mes parents.

Un jour, la jeune femme en a eu marre et s’apprêtait à déménager. Elle a croisé quelques semaines avant son départ ma mère dans les sous-sols et lui a demandé si elle arrivait à se regarder dans une glace. Ma mère est remontée en 4ème vitesse et a demandé à mon père de l’aider à porter plainte pour agression physique. Ça a été très vite.

La jeune femme a été arrêtée. Sa garde-à-vue s’est mal passé. Elle a fait un AVC au commissariat. C’est ainsi qu’elle s’est retrouvée hémiplégique à 33 ans. Elle a été blanchie, mais les dégâts étaient faits. J’ai été au courant de cette sale histoire car ma femme était au même club de gym mais aussi parce que mes parents s’en sont vantés.

J’ai parlé à mon père. Il m’a répondu « Une petite pute droguée pleine de maladies vénériennes n’a jamais que ce qu’elle mérite. Il n’y a pas de fumée sans feu ! Si elle avait été une fille bien, elle aurait été respectée. Maintenant, elle ne nuira plus jamais aux gens bien. ». Je n’ai pas été capable de répondre mais ma décision était prise. Mes parents étaient alors morts pour moi.

 

VV : Pour conclure, peux-tu nous dire pourquoi tu as opté pour ces trois photos en particulier parmi le choix que je t’ai soumis ?

Nicolas : Parce qu’elles illustrent tout ce que mes parents détestent : l’humanité dans la diversité.

Virginie Vanos © Marc Naesen
Virginie Vanos © Marc Naesen

 

Une rencontre signée Virginie Vanos

(Re) découvrez l’interview de Virginie Vanos qui nous parle de son dernier roman Anna Plurielle

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Bernie
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8 commentaires

  1. Quelle horreur, pour cet homme, d’avoir de tels parents.
    Il a été bien patient avant de couper les ponts définitivement …
    Et dire que des gens comme ça vivent en toute impunité !
    Ce doivent être les pires qui puissent exister.
    Bon jeudi, cher bernie
    Avec le mauvais temps prévu.

  2. j’ ai toujours refusé le péché originel, et refuse de toutes façons d’ être coupable pour qui que ce soit !
    Bon là c’ est un cas extrême , et je doute que ce soit récurrent, et j’ aurais fait une croix sur mes parents !
    Bonne journée Bernie

  3. Il y a des familles plus difficiles à assumer que d’autres, un fardeau lourd à porter. La pire des hontes, est de porter une honte qui ne nous appartient pas. Avoir honte de ses parents est pour un enfant quelque chose de très douloureux. L’essentiel est de ne pas prendre en charge leurs erreurs sous peine d’inverser névrotiquement les rôles. Personne n’est responsables du péché d’Adam et Ève…

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