Lui écrire, seule façon de l’aborder

Dans son fameux Journal, mais aussi dans ses Lettres à Felice, Kafka parle de sa solitude, de cette solitude des auteurs de grands fonds qui nous parlent d’eux-mêmes, donc du monde…

kafka jeune

 

Kafka jeune

L’après-midi s’était écoulé dans la plus morne tristesse. Sur les carreaux, la pluie ruisselait en minces fils tristes. Il était assis à sa table de travail devant un cahier grand ouvert. Ses yeux fixaient un point perdu dans le déluge de pluie qui fouettait la fenêtre.

Il restait immobile, la tête envahie par un vertige étrange. Enfin, baissa les yeux sur le cahier, il lut ces quelques mots : ne pas lui parler, lui écrire.

Il pensa à Félice aperçue la veille au milieu d’un groupe de camarades.

A cette pensée, son cœur se serra. Lui écrire, seule façon de l’aborder. Il prit un stylo traînant sur sa table, écrivit une phrase qu’il biffa aussitôt.

Les mots imaginés, polis comme des joyaux au creux de sa mémoire, s’étaient comme envolés !

Il en fut dépité, se demandant si ce qu’il éprouvait avait un jour une chance d’être traduit en mots. Par là il entendait : en mots précis, fins, pénétrants.

Il lâcha son stylo, sentant qu’il n’arriverait à rien.

Ainsi parce que la langue lui échappait, rien ne pourrait donc exister entre Félice et lui ?

Le monde, cet écheveau bourré de signes abscons, obscurs, inexplicables, restait donc un rébus qu’il faudrait déchiffrer ?

Il était prêt à s’arrimer d’arrache-pied à cette tâche herculéenne et renoncer aux séductions faciles que ce monde recelait.

Du moins le croyait-il alors…

Ainsi pensait-il trouver son bonheur dans ce travail de Titan fait de constance, d’effort, d’abnégation…

Il pensa se fixer comme Hercule douze travaux.

Le premier serait essentiellement basé sur le renoncement à tout bien matériel, le deuxième sur le refus d’exercer tout pouvoir sur quiconque… Le troisième…

Mais il n’osa poursuivre car il ne savait pas s’il aurait la volonté, la foi, le cœur trempé pour mener une telle entreprise à son terme…

yves carchon auteur romancier polar

Une micro-fiction signée Yves Carchon, écrivain, auteur de "Riquet m'a tuer" et de "Vieux démons"

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Bernie
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Moi, c'est Bernie. Incubateur d'actualités pour vous informer autrement.

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17 commentaires

  1. L’écriture comme sésame à la rencontre peut s’avérer un sacré challenge .
    Merci pour ce partage , j’aime beaucoup .

  2. Bonjour
    Superbe partage.Dans ma convalescence je suis en train de traduire mon livre « Déracinée »en suédois ,ma langue maternelle puis en anglais ..
    Je vous souhaite une bonne fin de semaine!
    Helena

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