Covid-19 : Le Feuilleton | Épisode 14

Déconfinement jour 40… « Journal en temps de coronavirus: Le Feuilleton », un feuilleton fiction, écrit par Yves Carchon, autour du coronavirus. A suivre tous les vendredis pendant la période de pandémie.

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Journal en temps de coronavirus

Chapitre 4 : Le village de nous autres (suite et fin)

Du coup, j’étais un peu jaloux. Jim, sans être très beau, avait du swing dans la voix. Une putain de voix tranquille et veloutée qui en aurait charmé plus d’une, et qui en charmerait plus tard toute une armée, quand il serait plus grand. Ça c’était prévisible.

Pas besoin de connaître les lois de la gravitation, ni si la Terre tournait vraiment. Jim aurait toutes les femmes pour lui. Toutes, sans exception. A ce sujet, quand je parle de gravitation et tout ce saint frusquin, le révérend disait que ces lois étaient fausses et impies, que Galilée, Newton et quelques autres étaient des mécréants.

Moi, je savais pas trop. Une chose me semblait claire : Jim, avec ses antennes branchées sur le canal Emy, savait ce que Collins ferait sur telle ou telle affaire à débrouiller, comment il s’y prendrait, tout ça grâce à sa dactylo d’amie, plus bavarde qu’une pie.

 

C’est ainsi qu’il avait appris ce qui préoccupait le plus Collins. C’était Reno et ses obscurs trafics avec le bagne d’Oraculo. Une obsession qui lui mettait les nerfs à vif. D’apprendre qu’un type comme Reno puisse même narguer l’autorité qu’il incarnait le rendait fou.

 

Le coincer, le jeter en prison était pour lui la priorité absolue. Avec Reno, il comptait bien inaugurer son futur tableau de chasse. Il se disait aussi, s’il parvenait à le coffrer, qu’avec un tel coup d’éclat, il assoirait une belle autorité sur les ploucs du village.

A commencer par Joe Cushing, le maire, qui n’était pas de ses amis. D’emblée, Cushing l’avait snobé, le regardant comme un raté. Mais il n’avait personne d’autre sous la main pour remplacer le vieux shérif mort. Donc Cushing avait dû faire avec, bon gré, mal gré, laissant faire le col blanc, arrivé du comté, qui convaincrait Collins d’accepter le poste.

 

Tout ça, c’étaient des bribes que Jeff avait lâchées à une Emy nouvellement conquise. En se rengorgeant comme un paon, Jeff lui avait narré comment il avait négocié son poste auprès des huiles. Elle s’était extasiée. Voilà un gars qui ne s’en laissait pas compter, qu’elle s’était dit. C’est vrai aussi qu’elle devait être tout feu tout flamme en l’écoutant.

 

Au début de leur relation, elle n’avait pas été vraiment surprise que Jeff lui fasse du gringue. D’autres bouseux l’avaient tenté. C’était un brin de fille plutôt charnu et avenant. Sans malices, comme on dit. Avec un cœur plus gros que ça, ça oui.

Personne ici n’aurait prétendu le contraire. Mais qu’une telle fille s’entichât d’un gros lard comme Collins, ça, c’était resté en travers de la gorge de pas mal de bouseux. A commencer par le couple O’Hara, Mme Holy et Sarah Samuel, notre épicière ayant recruté Jérémy. Oui, cette histoire, ces deux-là abouchés, avait comme libéré d’un coup les langues de vipère !

Autant Emy était une belle, rieuse, accommodante personne, autant Jeff était gros, grossier et taciturne. Un drôle de couple, « dépareillé » avait noté le pourtant sage Don O’Hara. Si lui trouvait à y redire, c’est qu’il y avait vraiment erreur dans le casting. Et M.O’Hara n’était pas médisant. Non, il voyait toujours les choses de haut. De très haut même.

 

Jim s’était étonné aussi d’une telle chose. Il m’en avait parlé avec dépit, comme si Emy avait été mille fois trop loin avec Collins.

 

— Quand tu penses que ce porc fait des choses avec elle !

 

J’avais hoché la tête, devinant vaguement de quoi il retournait. Mais Jim, rien qu’à la moue qui lui tirait la bouche vers le bas, m’avait tout l’air d’être dégoûté.

 

Selon les confidences d’Emy — et qui expliquait bien des choses, Collins n’avait jamais pu avaler le fait d’avoir été contraint de lâcher ses études à West Point. Tout ça pour cause de problèmes de santé : un souffle au cœur qu’on lui avait trouvé.

Du coup, il avait dû abandonner sa formation. Militaire il aurait voulu devenir, Jeff Collins, pour servir le pays et endosser qui sait l’étoffe d’un héros. Un rêve de gamin, très vite brisé devant cette satanée commission de réforme. C’est de cette déception qu’étaient nés ses problèmes, enfin, selon Emy. Dès son retour de l’école militaire, il s’était mis à picoler comme un perdu et avait pris vingt bons kilos en quelques mois.

Du fait de la bière, qu’il éclusait sans soif, d’autres kilos s’étaient ajoutés aux premiers, et d’autres encore…Un vrai cercle vicieux.

— Vicieux ? Ah ça, c’est bien le mot, avait remarqué Jim, quand la naïve Emy s’était confiée à lui.

— Oh, Jim, ne dis pas ça ! C’est pas du tout chrétien ce que tu dis de lui !

— Mais je suis pas chrétien ! avait répliqué Jim.

Emy avait pouffé.

— Tu sais, Jeff est quand même un brave type !

 

De fait, on pouvait le penser, si l’on considérait que Jeff Collins était bien décidé à remettre un peu d’ordre, non seulement dans notre foutu patelin, puisque les Terres hautes échappaient à la loi, mais pour ce qui concernait aussi Oraculo. Un brave type, au sens où il avait tout lieu de détenir un brin de morale et une idée du bien public.

 

Pour nous, Oraculo dont quelquefois Mr O’Hara nous parlait, était comme une grenade dégoupillée, toute prête à éclater, quelle que soit l’heure du jour ou de la nuit. Abandonné au milieu du désert, vivant en quasi-autarcie et bouillonnant probablement de haines et de colères recuites (ça, c’était Jeff qui l’avait confié à Emy), un tel enfer, grillé par le soleil, ne pouvait rien donner qui vaille.

On ne pouvait qu’en attendre le pire. D’autant si on jugeait sain et utile de mettre des bâtons dans les roues aux trafics de Reno.

 

Pour s’assurer qu’il avait bien l’aval du comté, Jeff avait joint les pontes de là-bas qui n’avaient pas tardé à lui accorder leur appui. Ils avaient même promis un éventuel renfort, au cas où il aurait du mal à résoudre les choses.

Même Joe Cushing lui avait donné son feu vert. Et tous ceux et toutes celles qui donnaient leur avis ici ou là, dans le village, et que Don O’Hara nommait vox populi. Une expression latine, qui remontait aux temps antiques, que Jim avait traduit par : langue de pute.

 

Quand j’y repense, tout semblait bien en place pour que Patville implose. C’est ce qui arriva, mais bien après que Jeff ait mis la main sur l’incroyable et fascinant Reno.

Fin du chapitre4

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Patville, un feuilleton signé Yves Carchon, écrivain, auteur de "Riquet m'a tuer", de "Vieux démons", de « Le Dali noir », et de son nouveau polar « Le sanctuaire des destins oubliés »

 

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14 commentaires

  1. souhaitons tout simplement que ce virus ne reviendra pas, mais hélas la certitude n’est pas de rigueur quand on voit dans d’autres pays….passe un bien doux vendredi

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