Covid-19 : Le Feuilleton | Episode 8

Confinement jour 53… « Covid-19 : Le Feuilleton », un feuilleton fiction, écrit par Yves Carchon, autour du coronavirus. A suivre tous les vendredis pendant la période de confinement.

feuilleton covid 19 yves carchon

Journal en temps de coronavirus

Chapitre 2 : Les culs-terreux (suite et fin)

Tout ça, c’est Jim qui me le racontait et c’est ainsi qu’un jour, il avait évoqué le bagne d’Oraculo.

Ce jour-là, nous étions assis à cheval sur l’enclos aux cochons, à bavarder de choses et d’autres. Des vaguelettes de sable cernaient de toutes part l’arrière de la maison. Un vent mauvais soufflait en cinglantes rafales. Le ciel s’était teinté d’une couleur crayeuse, porteuse de pluie qui viendrait du désert. Un désert que nous fixions souvent, quand on parlait, nous plongeant tous les deux dans une transe hypnotique. Des yeux, nous suivions les colonnes de sable qui s’élevaient du sol et qui semblaient évoluer en une danse folle.

C’est à ce moment-là, — au moment même où un nuage de sable était monté, monté pour se tordre jusqu’au ciel, que Jim m’avait parlé du mystérieux Reno. Un chauffeur de bahut qui, une fois la semaine, traversait le village et s’en allait livrer le bagne.

— Le bagne ?

— Enfin, on devrait dire : pénitencier, avait grimacé Jim. Mais nous, là, on dit bagne ! C’est du pareil au même ! Pour ne rien te cacher, Reno, il ne charge pas que de la bouffe dans son bahut…Parfois, il est accompagné de deux-trois filles qui, elles, sont destinées aux détenus d’Oraculo…

— Oraculo ?

— Attends, tu connais pas le bagne d’Oraculo ?

Non, je connaissais pas Oraculo. Ni Pa, ni Ma, d’ailleurs. Personne chez nous ne l’avait jamais évoqué. Je débarquais, c’est vrai. J’imaginais que tout le monde ici savait qu’il y avait un bagne dans le désert. Pas moi, ça oui. C’était la première fois qu’on m’en parlait.

Mais Jim avait hoché la tête, d’un air très pénétré.

— Tu sais, vaut mieux ne pas connaître un tel endroit ! C’est un enfer à ce qu’on dit. Même Mr O’Hara, n’est pas très rassuré quand il en parle !

— Et Reno dans tout ça ?

— Reno, il fait son beurre ! Il leur livre des filles que se partagent matons et détenus ! Sans compter de la came : là-bas, il a de vrais clients !

— Comment tu sais tout ça ?

— Collins, le chef de la police, qui l’a jacté à Mr O’Hara ! J’étais planqué derrière la porte quand ils en ont parlé… Collins a dit qu’il avait pas de preuves pour stopper le commerce de Reno… Et Mr O’Hara a lancé à Collins : « Pas de preuves ? Eh bien, il vous faut en trouver ! »

Jim s’était tu. La peau de son visage avait bruni depuis son arrivée. Le vent, le sable, m’étais-je dit. Ses cheveux étaient gris, mais comme tout un chacun ici, coiffé qu’on était tous par le vent du désert. Ses petits yeux étaient perçants comme deux lames. Il était sec comme un coucou : pas un gramme de graisse. Pourtant, il bafrait tout son compte chez Mr et Mme O’Hara. Surtout avec une cuisinière comme elle. Elle préparait le gibier comme personne. Je le sais, pour avoir été invité à manger certains jours chez les O’Hara.

Parfois, quand on se retrouvait pour traîner aux abords du désert, Jim m’apportait une part de tarte aux pommes, pliée dans une serviette, qu’il avait fourrée dans l’une des larges poches de son short. — Tiens, c’est Mme O’Hara qui m’a dit de te donner ça, mentait-il. Mais je savais qu’elle n’avait rien à voir dans toute cette histoire et que ça venait de lui, uniquement de lui. C’est pour cela que j’adorais Jim : il faisait de ces choses simples sans jamais, non jamais, tirer la couverture à lui.

Ce jour-là, il avait scruté l’horizon, voilé par la poussière et gondolant sous un soleil impitoyable. J’avais alors perçu la vie qui palpitait en lui, comme elle battait d’une même force en moi, et c’était peut-être bien pourquoi on partageait tous ces moments ensemble.

Mais l’histoire de Collins, ne pouvant arrêter le commerce de Reno, m’avait turlupiné.

— Mais avant, dis-moi voir, ça se passait comment ? avais-je demandé, l’œil aimanté par une mini-tornade qui venait juste de se former.

— Avant quoi ? 

— Avant que Collins ne débarque !

— Y’avait probablement pas de police ! Enfin, d’après ce que j’ai su de Mr O’Hara ! Il répète souvent qu’à une époque, le comté refusait de payer un flic pour la région ! On préférait fermer les yeux sur les trafics entre le monde et le pénitencier et ça coûtait moins cher ! Tout le monde, paraît-il, semblait trouver son compte et menait tranquillement ses affaires…

— A commencer par les bagnards…

Jim m’avait regardé d’un drôle d’air.

— Tu crois pas si bien dire ! Il y a dix ans, les bagnards se sont bel et bien révoltés. On a dû mettre le paquet pour y rétablir l’ordre… Un vrai camp retranché que c’était devenu ! Des matons ont été massacrés et pas mal de bagnards ont été abattus par les flics ! Un putain de carnage ! Donc, depuis, les autorités ont tiré la leçon : on charge un max en drogue les détenus, puis on les garde en manque… « La seule façon de tenir ces bâtards par les couilles », avait dit Jo Cushing quand ce bazar avait été réglé.

— En somme, avais-je conclu, Reno fourgue maintenant sa drogue en toute tranquillité ? 

— On peut dire ça comme ça…Sauf si Collins finit par s’en mêler !

Mais Collins voudrait-il s’en mêler, avais-je demandé à Jim. D’après les dires de Mr O’Hara, Collins ne faisait pas le poids. Il n’avait pas la poigne, encore moins l’envergure pour faire cesser tous les trafics. Mais pour autant, ce n’était pas un corrompu. Non, simplement, il n’était pas à hauteur. Mais Jim était d’un autre avis. Pour lui, Collins pouvait très bien faire le ménage si un beau jour ça lui chantait. Ça tenait même à pas grand-chose pour qu’il soit en pétard. Un grain de sable venu gripper notre ambiante apathie pouvait tout bonnement suffire. Et ce grain-là pouvait à tout instant pointé son nez.

Jim avait ajouté :

— Tu sais quoi ? Collins est comme ces pétards qui tardent à éclater. Quand il pètera, il vaudra mieux ne pas traîner dans les parages !

Le vent s’étant levé et la pluie arrivant, portée par des besaces de gros nuages noirs qui emplissaient le ciel, nous nous étions quittés, copains comme cochons. J’avais gagné notre maison quand les premières gouttes cloquaient déjà le sol sableux. Avant d’entrer, un lézard chuckwalla fila entre mes pieds. En d’autres temps, je l’aurais poursuivi en le visant avec ma fronde. Mais ce jour-là, j’avais encore en tête l’histoire du bagne d’Oraculo. Le lézard était déjà loin quand je poussais la porte.

— C’est toi, Lenny ? avait crié Ma.

— Oui, Ma, c’est moi !

— Oublie pas de quitter tes chaussures ! J’en ai plus que ma claque de tout ce maudit sable !

 

yves carchon auteur romancier ecrivain

Patville, un feuilleton signé Yves Carchon, écrivain, auteur de "Riquet m'a tuer", de "Vieux démons", de « Le Dali noir », et de son nouveau polar « Le sanctuaire des destins oubliés »

 

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Bernie
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Moi, c'est Bernie. Incubateur d'actualités pour vous informer autrement.

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12 commentaires

  1. Il s’en passe des choses dans ce pays, la loi on s’arrange plutôt avec on dirait pour que la paix perdure .
    Merci pour ce feuilleton.
    Bon week – end

  2. Un bien étrange pénitencier …bel exemple de confinement mais avec de belles compensations que tout le monde n’a pas !
    Bonne fin de semaine, du beau temps et du confinement !
    Gros bisoux, cher bernie.

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