Approchez ! Voyez ce beau drap !

En cette période d'avant-fêtes, Yves Carchon  nous offre une série de contes merveilleux. Cette semaine "le drap d'or" : "Approchez ! Voyez ce beau drap !"

ciel étoilé nuit bleu foncé

 

Le drap d’or

En ce jour de foire, les marchands étaient nombreux sur les bords de Saône. Et le Pont du Change croulait sous les étalages. Epices, fruits, commerces de chanvre, étals d’encens, de myrrhe, de résine se côtoyaient. Des marchands venus d’Allemagne montraient leurs étoffes D’un commerce à l’autre, comédiens, jongleurs, bateleurs amusaient le peuple. Les badauds trouvaient leur compte à courir les foires, les marchands aussi au gré de leurs ventes.

Parmi ces marchands, il en était un arrivé de Flandre dont le drap tout scintillant soulevait l’admiration. C’était un gros homme vaniteux, heureux de sa condition, ne dédaignant pas graisser la patte d’un courtier à l’occasion.

— Va, lui criait-il. Et regarde autour de toi le prix de l’étoffe ! Si mon drap se vend plus cher, c’est parce qu’il n’a existé sur cette terre aucun autre drap qui ne le vaille !

De fait, aucun autre drap ne le valait. Le sien était le plus merveilleux des draps ! Il était tissé de fils d’or, d’argent et de soie. Tous s’entremêlaient et formaient un canevas moiré digne des plus fins tissus d’Orient.

— Approchez ! Voyez ce beau drap ! Aucun ne le vaut ! Il est tissé d’or, d’argent et de soie !

— Où vas-tu chercher cet or, lui criaient certains badauds.

— Et d’où vient l’argent, le taquinaient d’autres.

Le marchand ne daignait pas répondre aux moqueries, préférant faire son article.

— Approchez ! Voyez ce beau drap ! C’est le plus coûteux de Flandre !

Un homme s’arrêta plus longuement devant l’étal et considéra le drap.

— C’est peut-être le plus coûteux, dit l’étranger, mais il ne vaut pas le mien !

— Vraiment ? Et où est ton drap ? dit le marchand.

— Il n’est pas ici, répondit l’autre. Il ne se regarde que de nuit !

De dépit, le marchand cracha au sol.

— Le diable si un drap ne peut se voir de jour ! Te moques-tu de moi ? Aucun drap, je le répète, ne vaut celui-là !

La foule s’était amassée devant le négoce du drapier. Certains se réjouissaient de voir la mine déconfite du marchand. Tous savaient qui il était mais personne ne connaissait celui qui lui tenait tête.

— Je te dis, répéta l’étranger, que le mien vaut mille fois plus ! Aucun drap ne peut se comparer à lui ! Il brille mille fois plus que tous tes draps !

— Bon, dit le marchand. Montre-nous ton drap et nous verrons bien !

— Ce soir, à la nuit tombée, tu pourras le voir. Sois à cette même place et tu verras bien qui a raison !

— Entendu, dit le marchand. Je serai ici ce soir !

La journée passa. A la nuit tombée, le marchand revint à l’endroit de son commerce. L’homme se trouvait là, adossé au parapet du pont. Une lueur étrange brillait dans ses yeux.

— Eh bien, m’as-tu apporté ton drap ? dit le marchand.

— Oui, dit l’autre. Regarde au-dessus de toi et tu le verras !

La voûte des cieux, telle une mante bleue piquée de lueurs d’argent, formait un drap d’or constellé d’étoiles. Toutes scintillaient comme jamais encore elles n’avaient brillé ! Elles criblaient la nuit, la moirant d’une incommensurable paix.

— C’est, dit l’homme, le drap dont je t’ai parlé. Regarde-le bien ! Lui ne se vend pas et vaut mille fois plus que le tien !

Le marchand fixa le ciel. Puis, baissant la tête, il ne vit plus l’homme. Sans doute s’était-il fondu à la trame du drap d’or.

yves carchon ecrivain

 

Un conte signé Yves Carchon, écrivain, auteur de "Riquet m'a tuer", de "Vieux démonset de « Le Dali noir »

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Bernie
Bernie

Moi, c'est Bernie. Incubateur d'actualités pour vous informer autrement.

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22 commentaires

  1. Je me doutais de la chute …
    Un joli conte pour rêver un peu.
    Prenons le temps d’admirer la nature au lieu de chercher à en imposer aux yeux de tous.

     » Bonne fin de semaine avec un moral dans les chaussettes et un temps qui n’arrange rien pour les douleurs.
    Gros bisoux cher bernie « 

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