C’est avec une joie infinie que j’entame cette rentrée littéraire. Car j’ai décidé d’aller à la rencontre de femmes, artistes, créatrices, complexes, fascinantes. Ma première interview est une entrevue avec Amélie Diack, auteure et chroniqueuse que j’estime particulièrement. Née au Sénégal, d'une mère martiniquaise et d'un père sénégalais, elle vit actuellement en France.
Entretien avec Amélie Diack
VV : « Bonjour Amélie, vous êtes auteure, chroniqueuse et, à mes yeux, une grande humaniste. Commençons alors par vos livres. Comment résumerez-vous votre travail et votre approche personnelle ? »
Amélie Diack : « Bonjour Virginie. Humaniste est un bien grand mot. J’ai du respect pour tout ce qui vit. Tout simplement. En ce qui concerne mon écriture, il n’est pas facile d’en parler. Écrire, pour moi, représente une façon de vivre.
L’écriture c’est ma vie, mes maux, mes mots, mes tripes.
Mes cris muets à la face du monde. L’écriture est une seconde nature. Je pose les mots comme ils me viennent. Je les laisse prendre vie et me guider dans l’histoire qu’ils racontent. Je ne suis que la messagère. Je n’ai pas d’organisation particulière.
J’écris partout où je me trouve. Mon petit carnet ne me quitte pas et recèle des trésors de mots, de phrases, d’idées. Ces bouts de quelque chose qui prendront vie et deviendront une histoire. Un roman. J’adore emporter les gens dans un univers parallèle où se mêlent le réel et l’irréel.
Le tout bercé par mes origines, les histoires que nous nos racontions pour nous faire peur ou pour nous faire rire.
J’écris la vie. Les souvenirs bons ou mauvais. Les rêves. Écrire permet à la grande timide que je suis, de m’exprimer. De bavarder. Tout simplement »
VV : « Vous m’avez un jour dit qu’il n’y avait pas de mauvais livre… Pouvez-vous préciser votre pensée à ce sujet ? Vous parlez si souvent d’émotions… »
Amélie Diack : « Un proverbe sénégalais dit que « l’homme est le remède de l’homme ». Quel lien avec les émotions ?
Tout simplement que les émotions nous rapprochent de l’autre sans qui nous n’existons pas. Je suis une femme pour qui les sens, les émotions sont très importants.
Qu’est-ce qu’un bon ou un mauvais livre ?
Sur quels critères peut-on se baser pour encenser ou descendre en flammes un livre ?
D’ailleurs qui sommes-nous pour nous octroyer ce droit ?
Un livre, c’est avant tout l’imaginaire de quelqu’un. Ses mots. Son histoire. Son imagination. On peut comprendre un livre car il nous parle ou touche une partie de notre vie, de nos souvenirs. Nous comprenons l’histoire et la portons dans notre cœur.
Nous comprenons l’auteur.
D’autre part, ce même livre peut nous déranger. Ses mots, son histoire nous sont hermétiques. Peu importe les raisons qui peuvent être personnelles, émotionnelles. Cela dépendra toujours de la personne qui le lira. Les émotions sont importantes pour moi. Elles sont l’essence même de l’Humain, de l’animal.
Ces émotions nous aident à construire notre histoire, notre vie. Elles en font l’unicité, la particularité. Je suis une écorchée vive. Ce qui m’a permis d’exercer des métiers où je devais prendre en charge les émotions des autres.
De les comprendre.
D’être humble face à l’évidence. Face au destin. L’émotion nous rend notre humanité. Cette humanité, je l’ai mise au service de la souffrance des autres. Face à leur désespoir. L’Humain sans émotions, n’est tout simplement pas. »
VV : « Y a-t-il des livres que vous refuseriez de chroniquer ? Il y a un an de cela, j’ai pour ma part refusé de publier l’interview d’un auteur dont les propos prosélytes touchaient à l’extrémisme fascisant… Pensez-vous que parfois, d’expression notre conscience morale et citoyenne puisse primer face à notre sens de la liberté d’expression ? »
Amélie Diack : « Selon moi, la liberté d’expression a des limites. Nous avons le droit de dire ce que nous voulons tant que nous ne blessons pas les autres.
Tant que nous ne les stigmatisons pas. Tant que nous ne les rabaissons pas. Tant que nous ne portons pas atteinte à l’Humain. C’est cette philosophie de vie qui me fera refuser de chroniquer un livre. Et même de le lire, malgré ma curiosité intellectuelle.
Donc oui, je refuserai de chroniquer des livres qui seront ouvertement racistes, antisémites, anti blancs…
La liberté d’expression de ces auteurs touche l’Humain au plus profond de lui, par rapport à sa religion, sa couleur de peau, son rang social ou autres. C’est juste un devoir qu’a toute personne pour la postérité. Malheureusement, la Mémoire humaine est très courte et l’histoire du Monde est un éternel recommencement. C’est dommage. »
VV : « Vous m’avez récemment confié être profondément touchée par tout ce qui concerne l’atteinte à la dignité humaine. Pouvez-vous définir votre conception de la dignité humaine ? Quels sont les moyens que vous mettez en œuvre pour combattre ces atteintes ? »
Amélie Diack : « La dignité humaine… Si simple et si difficile à définir. La dignité humaine est tout ce qui permet à l’Humain de vivre décemment.
Tout ce qui lui permet d’accéder au minimum vital pour avoir une vie. C’est le respect, l’accès à la nourriture, au logement…
Tout ce qui lui permettra de marcher la tête haute, d’agir comme il le souhaite tant que cela ne porte pas atteint à l’intégrité d’autrui. Oui, je suis profondément touchée par ces hommes, ces femmes qui quittent leur terre, leur famille pour affronter la mort, dans l’espoir de jours meilleurs.
Je suis blessée de voir que l’esclavage existe encore sous toute ses formes.
De voir ces enfants des rues à travers le monde.
Ces femmes bafouées du fait de leur statut de femme, ces fillettes poussées vers le mariage précoce du fait de traditions obsolètes. Je suis indignée de voir un Humain tué du fait de sa religion, de la couleur de sa peau.
Durant une grande partie de ma vie, j’ai milité, j’ai battu le pavé pour les causes qui me tenaient à cœur.
Des causes qui me tiennent toujours à cœur.
Depuis mes dix ans.
Maintenant, je fais passer des messages. J’explique. Je viens en aide, humblement, à ceux qui en ont besoin. Dans la limite de mes capacités. »
VV : « Que vous ont appris vos recherches anthropologiques et ethnographiques sur le monde actuel ? »
Amélie Diack : « Beaucoup de choses. Chaque peuple a son histoire, ses codes, ses us et coutumes, ses traditions. Certaines traditions sont plus pérennes que d’autres.
Pour lutter contre une tradition obsolète, il ne faut pas la criminaliser, mais expliquer pour changer les mentalités. C’est long, difficile. Mais, c’est ce qui permettra de gagner le combat car cette bataille se gagne au long cours.
Aussi, il ne faut pas avoir des préjugés car l’interprétation de chaque geste peut prêter à confusion.
Par exemple, quand je suis arrivée en France, j’avais l’habitude de baisser les yeux en parlant aux personnes plus âgées. Ce qui pour moi, était signe de respect. Les gens trouvaient que j’étais fausse. Je ne comprenais pas et en souffrais beaucoup.
Il a fallu que ma sœur m’explique qu’en France on regardait les gens dans les yeux. J’y suis arrivée. Mais ce fut très difficile. La situation des femmes de ménages, par exemple, n’a guère évolué.
Les violences sont toujours présentes, malgré les syndicats, les lois. Les violences sont financières, verbales, psychologiques. Je suis métisse.
Mes parents m’ont toujours appris à respecter l’autre à travers son histoire, ses traditions, etc. Ils nous l’ont démontré en nous inculquant le meilleur des traditions, des coutumes, des histoires de chacun.
Une vraie richesse. Une leçon de tolérance. »
VV : « J’ai souvent l’impression que notre liberté d’expression est bien plus bridée que dans les années 80. Quel est votre sentiment à ce sujet ? »
Amélie Diack : « Je pense que le politiquement correct est à l’ordre du jour. On ne peut pas dire certains mots de peur de subir une chasse aux sorcières.
Cependant, je pense que dans les années 80, la liberté d’expression n’avait pas de limites. Ce n’était pas forcément la panacée. Le fait est que nous sommes passés d’une extrémité à une autre. Il n’y a pas de juste milieu. »
VV : « Avez-vous des héros personnels à qui vous souhaiteriez rendre hommage ? »
Amélie Diack : « Oh oui. Tout d’abord Winnie Mandela. Eh oui, contrairement à tous ceux qui l’ont diabolisée sans connaître son histoire, je trouve que cette femme est un exemple.
Elle a eu quelques déboires. Mais, sans la voix de Winnie, Nelson Mandela ne serait pas. Plutôt, il serait un illustre inconnu. Cette femme a élevé ses enfants seule, tout en restant active pour l’African National Congress (ANC).
Malgré les emprisonnements. Elle a crié à la face du monde la souffrance de son peuple. La lutte de son mari emprisonné. Elle a consacré toute sa vie, sa jeunesse à cette lutte, jusqu’à la libération de Nelson Mandela. Suprême sacrifice, elle a accepté de le quitter pour qu’il puisse politiquement faire son chemin.
La preuve est que son ex-mari l’a respectée jusqu’à son dernier souffle. La mémoire humaine a juste oublié que c’est une femme qui vivait dans un pays qui était d’une violence inouïe pour les non blancs.
Ensuite, j’ai aussi beaucoup de respect et d’admiration pour Simone Veil. Une femme qui a vécu l’horreur, de cette horreur qui n’a plus de nom. Elle en est sortie humble, digne, avec la force de se battre pour ses idées. Pour les femmes françaises. Elle leur a offert l’opportunité de jouir de leur corps comme elles le souhaitaient.
Puis, ma mère. Une femme forte. Digne. Une femme qui a quitté sa famille, son travail pour suivre l’homme qu’elle aime dans un pays, un continent qu’elle ne connaissait pas. Elle a été mise en quarantaine par sa communauté pour avoir fait ce choix.
Elle a tout subi par amour et a élevé ses enfants seule, après le décès de mon père. Une vraie battante. Sa vie en Afrique n’a pas été de tout repos. Mais elle a tenu et nous a donné une très bonne éducation et surtout cette force pour supporter le monde et ses vicissitudes, tout en restant droits dans nos bottes, en levant la tête et en avançant vers notre but.
Elle est mon héroïne bien avant les autres. »
* VV: Virginie Vanos
Découvrez le blog d’Amélie Diack où elle présente les auteurs et romans africains. Et ne vous privez pas de lire les chroniques d’Amélie Diack.
Entretien réalisé par Virginie Vanos
Une belle âme, qui abritent une richesse : l’intelligence du cœur….
l’intelligence du cœur… cela aurait pu être le tire de l’article.
Oui mais sans le ent !
Yes
Amélie nous expose avec beaucoup de modestie tout son talent littéraire.Bravo!!!
Merci, Amélie et Virginie ont utilisé des mots justes
si tout le monde pensait comme
elle, il n’ y aurait plus de guerre !
Bonne journée Bernie
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