Souvent je marche en pensant au malheur d’être né

On me dira fort justement : ne marche pas, Marcher une micro-fiction signée Yves Carchon, écrivain, auteur de « Riquet m’a tuer » et de « Vieux démons ».

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Courtesy © Bernieshoot

MARCHER

Souvent je marche en pensant au malheur d’être né. La marche m’ouvre l’esprit mais me rend tout chagrin.

J’ai beau tenter de ne penser à rien, si par malheur je marche, je me mets à penser. Le reste de mon temps, je le passe à rêver. Donc si je dois par extraordinaire penser, eh bien, je dois marcher !

On me dira fort justement : ne marche pas.

J’ai essayé : les fourmis me montent à la tête.

J’ai pourtant plus d’un tour dans mon sac : je sais être un idiot.

Disons que je le suis à 90 %.

Ainsi je crois ce qu’on me dit, je ne vois pas malice quand on s’apprête à me gruger.

Je dirais même que je suis un gogo et l’idéale victime des aigrefins.

Il me suffit de longer un canal, de promener mon chien, de faire d’un pas tranquille ma randonnée du soir pour qu’alors tout s’éclaire.

D’abord, je pense à ce destin d’humain qui est le mien, à ma mort qui un jour finira bien par arriver, au désespoir qu’on pourrait en tirer – mais à la joie aussi de se savoir au fond simplement de passage.

La gaîté pourrait bien m’envahir si je ne pensais pas à ceux qui souffrent, je veux dire dans leur chair, à ceux qui aimeraient tant être morts.

Aux assassins aussi qui rôdent de par le monde.

A la famine, au cynisme des Grands.

Aux catastrophes qui trop souvent touchent les pauvres.

Ah, il faut voir combien bouillonne mon cerveau et où me mènent mes maudits pas ! Je sens qu’une imminente nuit blanche m’ouvre ses bras.

Il est tard : je ne fais plus qu’errer, alors que je devrais rentrer. Si j’arrête de marcher, je baille et me languis, imagine un bon lit où je pourrais poser ma tête – ma tête de linotte – et où je trouverais le sommeil de plomb qui sied aux imbéciles.

En rentrant en taxi, je sais que je dodinerai sur la banquette arrière mi somnolant avant de m’affaisser dans mon divan, défait, vaincu, ravi d’entendre bourdonner mon écran de télé.

Je ne penserai plus.

Et je me coulerai dans la peau idéale du cloporte encarté, soumis, désincarné, attendant sans y croire qu’une pensée traverse mon esprit, – quand j’aurais fait un pas de plus vers la mort.

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Marcher, une micro-fiction signée Yves Carchon, écrivain, auteur de « Riquet m’a tuer » et de « Vieux démons« .

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Bernie
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10 commentaires

  1. Waouh, quelle belle introspection et quelle lucidité ! Bon, je vais me planquer sur mon canapé au lieu de marcher, j’ai trop peur de me mettre à penser.

  2. Vraiment bien écrit, j’aime beaucoup.
    Bonne fin de semaine, avec un temps qui se dégrade … et moi aussi !
    En plus de ma thyroïde, une saloperie de sciatique est venue s’ajouter à mes problèmes.
    Bisoux découragés.

    PS : désolée de toujours me plaindre, je sais que certains en ont marre …

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