« Cette nuit, j’ai rêvé à l’homme qu’on appelait Papa à la Havane. Pas le macho du Ritz, ayant bouté l’Allemand et libéré Paris. » Une micro-fiction signée Yves Carchon qui évoque la grande figure d'Hemingway à Cuba.
La chasse aux Gros
Cette nuit, j’ai rêvé à l’homme qu’on appelait Papa à la Havane. Pas le macho du Ritz, ayant bouté l’Allemand et libéré Paris. Mais le fier matamore-pêcheur harponnant le tarpon, tout en narguant la CIA qui le traquait pour collusion avec Castro.
Oui, l’Hemingway qui écumait les bars et palabrait avec les filles du coin. Qui s’abreuvait aussi de daïkiris jusqu’à plus soif. Papa, créchant à l’historique hôtel Ambos Mundos, buvant toujours en bas un dernier verre au bar, avant d’aller dormir
C’est là que lui et moi avions fini la nuit. Papa parlait de Nick Adams, son héros de papier, une sorte d’alter ego d’un Ernest encore jeune, pêchant la truite dans les rivières et lacs du Michigan. Moi, je le laissais dire.
A mon avis, Papa était d’abord un nouvelliste hors pair qui resterait dans l’histoire littéraire. Car, à part Le vieil homme et la mer, je présumais que ses romans ne tiendraient pas longtemps la route. Vingt, trente ans tout au plus ?
Mais le vieux Hem soliloquait :
— C’est dans le Michigan qu’est née ma vocation d’écrire. Ce fut mon paternel qui m’initia à cette foutue passion de ferrer le poisson ! On partait le matin, juste avant que l’aurore…
Mais je n’écoutais plus Papa. Je repensais à Nick Adams, au plaisir de le suivre dans les méandres d’une rivière qui glissait avec fougue sur un lit de pierraille. La rivière au cœur double ! C’était une sacrée nouvelle, quand même !
Mais Papa marmonnait. Tout paraissait se bousculer dans sa mémoire. Où était-ce moi qui rêvais mal ?
Je l’ai vu déglinguer son ultime daïkiri, avant de raconter ses prises des tout premiers tarpons qui remontaient à l’époque de Key West.
L’époque où Dos Passos faisait ami-ami avec Papa. Après, tout s’était délité entre eux deux. — Un enculé, disait parfois de lui Papa. Key West ! La riche période su Soleil se lève aussi ? C’est là aussi qu’il avait acheté sa maison, une maison à l’allure coloniale, transformée en musée aujourd’hui.
Mon rêve s’arrêtait là. Ou enfin presque.
Hemingway avait pris la tangente et retrouver sa chambre, la chambre 551. Je déambulais désormais entre des rues aux maisons colorées, dans des ruelles sales et délabrées où restaient en carafe d’obèses et bigarrées voitures américaines.
J’étais donc à Cuba.
Et El Comandante, depuis un an, avait rejoint Papa, pour une mémorable et intraitable chasse aux Gros.
Une micro-fiction signée Yves Carchon écrivain, auteur de "Riquet m'a tuer" et de "Vieux démons"
la pêche à la truite c’ est bien, celle au tarpon c’ est tout autre chose !
un passionné cet Hemingway
Un très grand passionné.