Du 19 mars au 7 mai 2017, la Galerie municipale Jean-Collet à Vitry-sur-Seine présente une double exposition d’envergure réunissant deux générations d’artistes autour de la question des outils et des langages audiovisuels contemporains. Elle regroupe des œuvres de différents médiums d’Alain Fleischer, et de Shirley Bruno, Junkai Chen, Noé Grenier, Mathilde Lavenne, et Baptiste Rabichon.
Double exposition Galerie municipale Jean-Collet à Vitry
Mouvements secrets des images fixes d’Alain Fleischer
La Nuit des visages
La série La Nuit des visages expérimente la nuit comme espace où les images d’êtres disparus peuvent trouver des surfaces d’apparition, de revenance, offertes au regard des vivants, grâce à la projection lumineuse propre à la photographie. Il y a d’abord une collecte, en fait une ressaisie de la photographie par elle-même: comme pour l’installation À la recherche de Stella, des photographies en médaillon dans les sépultures de cimetières italiens – véritables albums photographiques – ont été rephotographiées en vue d’un recyclage, d’une réintroduction dans le cycle de vie et de mort des images, de l’éternel retour des visages.
Une deuxième chance est donnée aux images de la photographie par la photographie. Il s’agit de femmes, isparues il y a longtemps, mais photographiées bien avant leur mort, alors qu’elles étaient jeunes, belles, des femmes que l’on aurait aimé connaître, photographier, que l’on aurait peut-être aimées, tout simplement.
Elles sont là, arrêtées dans le temps au-delà de leur mort, par la photographie. Dans sa capacité à se reproduire elle-même, à récupérer ses propres images, à leur redonner vie, la photographie peut à nouveau appeler à elle les visages, choisir le lieu où une surface du monde réel – vieux murs, écorce d’un arbre, sable d’une plage…-, deviendra l’écran d’apparition où les fantômes lumineux seront de retour. Alors, dans la douceur de la nuit, un visage apparaît, et c’est l’image projetée qui éclaire le site de ce rendez-vous secret.
À la recherche de Stella
L’installation À la recherche de Stella fut montrée pour la première fois dans la chapelle du Méjean à Arles pour les Rencontres internationales de la photographie, en 1995, puis elle fut souvent présentée en France et dans divers pays (Corée, Canada, Belgique, Allemagne, Brésil).
Cette œuvre met en jeu une forme primitive d’interactivité, puisque c’est le visiteur qui fait apparaître les images, en attente et invisibles jusqu’à son arrivée. Pénétrant dans un espace sombre, il perçoit, face à lui, les points lumineux aveuglants de trois ou quatre projecteurs, et les rayons qui traversent l’espace pour aboutir sur une tenture noire, surface de nuit sans fond où déjà la lumière s’épuise, où ne subsistent que de vagues ruines d’images.
À l’aide de petits miroirs, le visiteur est invité à capter les faisceaux lumineux en se déplaçant dans l’espace, et à les détourner vers les murs, le plafond ou le sol, pour faire apparaître les
images ainsi convoquées, sauvées de leur trajectoire fatale. Ce sont les visages de plusieurs dizaines de femmes, reproduites des médaillons sur les tombes de cimetières italiens (à Rome et à Venise), et remontant aux années 1930.
Avant l’arrivée d’un visiteur, cette population de fantômes est en attente d’être appelée à réapparaître, à revenir dans le monde visible, sorte de revenance que permet cette propriété de l’image photographique d’être projetable, et de se matérialiser ainsi sur toute surface susceptible de faire écran.
En fait, c’est une double apparition et une double exploration qui se produisent : non seulement celle de cette multitude de visages d’êtres aujourd’hui disparus, mais celle de l’espace lui-même, éclairé par les images qu’il fait apparaître. Alors, le petit miroir fonctionne aussi comme une lampe de poche, dont la lumière n’est pas blanche et vide, mais déjà chargée d’images et de mémoire.
En explorant l’espace traversé par les spectres qu’il intercepte, le visiteur procède à une sorte d’appel, d’ailleurs, des sources sonores assez discrètes pour que leur localisation reste incertaine, qui égrainent une litanie de noms et de prénoms, monotone et indifférente à la réponse des images, à la juste coïncidence des visages et des identités. Les sonorités, les consonances donnent alors, à ce qui semble venu de nulle part, l’origine lointaine d’un ailleurs qui a pourtant existé sur terre.
Le Regard des morts
Une première version d’une œuvre composée de tirages photographiques non fixés, intitulée
La chambre des disparus, fut présentée en 1994 à la galerie Michèle Chomette à Paris, puis l’année suivante au Centre National de la Photographie.
La version finalement intitulée Le Regard des morts
fut une réponse à une commande du ministère de la Culture et de la Communication, pour la célébration, en 1998, du 80ème anniversaire de l’Armistice de la Première Guerre mondiale. Elle fut présentée à Arras.
Dans cette installation, des photographies révélées mais non fixées baignent dans l’eau claire d’un bain d’arrêt, au fond de cuvettes, sous la lumière rouge qui les ménage et les préserve provisoirement d’une inéluctable disparition.
Cette ambiance typique d’un laboratoire de la photographie argentique devient celle d’une crypte, où des images survivent aux êtres disparus qu’elles représentent, elles-mêmes menacées de disparition. En pénétrant dans l’espace, le visiteur doit s’habituer à l’éclairage très faible, pour découvrir que les images en sursis, entre révélation et disparition, sont des visages d’hommes recadrés sur les yeux – soldats de la Grande Guerre, de toutes nationalités -, qui ne survivent que dans cet éclairage sépulcral, menacées par toute arrivée de lumière, puisque non protégées par la fixation, étape finale du processus photographique.
Mais il arrive un moment où, longtemps immergées dans le liquide, les images finissent par se désagréger, par quitter le support de leur matérialité, flottant au-dessus de la feuille de papier. Alors la fragilité des images devient extrême : chacune n’est plus qu’une pellicule de sels d’argent sur la surface de l’eau, configuration de particules à la merci du moindre souffle d’air qui rendrait méconnaissable le visage du disparu, avant que l’image disparaisse à son tour, se dissipant comme s’efface une empreinte sur le sable.
Alain Fleischer
Alain Fleischer est né en 1944 à Paris.Il est écrivain, cinéaste, artiste et photographe
Parcours dans l’exposition Incarnations
Avec Shirley Bruno, Junkai Chen, Noé Grenier, Mathilde Lavenne, et Baptiste Rabichon
Ces cinq artistes ont en commun d’être ou d’avoir été très récemment résidents au Fresnoy – Studio national des arts contemporains. Si cette institution a pour champ de référence la photographie et le cinéma, elle est très marquée par les arts numériques dans toute la diversité de leurs innovations. Mais au-delà de ce lieu de référence qui les a fait se côtoyer, ce qui les rassemble ici est une certaine approche de l’incarnation.
Informations pratiques
Mouvements secrets des images fixes d’Alain Fleischer
Incarnations Shirley Bruno, Junkai Chen, Noé Grenier, Mathilde Lavenne, et Baptiste Rabichon
Commissariat : Évelyne Artaud et Catherine Viollet
Exposition du 19 mars au 7 mai 2017
Du mardi au dimanche de 13h30 à 18h
Et le mercredi de 10h à 12h et de 13h30 à 18h
Entrée libre