Un banc dans le brouillard

Je me réveille avec cette curieuse sensation de ne percevoir ni le froid, ni le chaud. C’est comme si j’étais toute engourdie. D’ailleurs, je ne sens même plus la douleur : je me pince jusqu’au sang sans rien éprouver de particulier. Pourtant, mes autres sens sont loin d’être endormis, eux…

     J’entends le clapotis d’une rivière et malgré la chape de brouillard qui flotte sur le paysage, je distingue  au-dessus, les branches nues des arbres qui se tendent vers le ciel. Une odeur d’humus me parvient, si forte que j’en ai presque le goût sur le palais.

     Tout est imprécis autour de moi. Les contours s’effacent dans la brume et pourtant, cela m’est familier. Je suis déjà venue ici. Les souvenirs peinent à revenir, mais déjà, je suis bouleversée, en proie à une émotion très forte. J’avance, tenaillée par le désir de comprendre.

    Soudain, le banc apparaît là, près des arbres. La rivière est invisible, avalée par le brouillard, mais je la devine qui s’écoule tranquille devant moi. Et tout à coup, ma mémoire se réveille et s’abat sur mon esprit comme une vague déferlante.

     J’ai vingt ans. L’hiver est là et je suis assise sur ce banc, à me demander si je vais oui ou non me jeter dans le’au pour mettre fin à mes jours. Il fait si froids et mes habits sont si lourds que je suis sûre de ma noyer. Je n’ai plus de famille. Mon frère vient de décéder dans un pays lointain, pour une guerre qui n’était pas la sienne et j’ai envie de le rejoindre.

     Mais un jeune homme qui passe me sourit, s’arrête et me parle. L’homme de ma vie… celui qui va partager mon quotidien et fonder avec moi ce foyer dont j’ai tant besoin. A cet instant, la volonté de vivre a repris le pas…

     Je sais bien que je ne suis pas là-bas en réalité. Dans le monde réel, je suis alitée, reliée à des machines qui me maintiennent en vie. Elles font battre mon coeur, me font respirer. Mes enfants sont là qui me tiennent la main et leurs larmes coulent sur mon visage, même si je ne peux plus les sentir.

     Alors, de la même manière que j’avais su sur ce banc qu’il fallait que je m’accroche à la vie, l’évidence me frappe aujourd’hui : je dois lâcher prise, partir et libérer les miens…

Texte de Sandra inspéré par la photo de Belbe

 

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