Déconfinement jour 26… « Journal en temps de coronavirus: Le Feuilleton », un feuilleton fiction, écrit par Yves Carchon, autour du coronavirus. A suivre tous les vendredis pendant la période de pandémie.

Journal en temps de coronavirus
Chapitre 4 : Le village de nous autres
Patville, c’est le village où nous avons grandi, Janis et moi. C’est là que j’ai connu mon ami Jim et approché les O’Hara. Un village né il y a deux siècles, après la guerre entre les Blancs et les Indiens, quand on avait volé les terres indiennes pour s’y vautrer. C’était aussi le dernier bled du comté avant le grand désert. Un trou perdu, l’extrême pointe du monde connu, comme qui dirait le terminus, et le début d’un monde qui m’obsédait : le monde sauvage.
Avec le vent, la pluie portée par les nuages, le sable pénétrant l’intérieur des maisons, et l’infini désert, on sentait bien que ce monde-là recelait des dangers, et qu’il était sans fin. Est-ce qu’on en revenait seulement, si par malheur on s’y aventurait ? Pas sûr. Un seul semblait en réchapper à chaque fois : Reno. L’homme qui ravitaillait le bagne d’Oraculo et qui faisait son business avec les détenus. Mais ça, je vous en parlerai plus tard. Reno, c’est à lui seul tout un poème ! Revenons à Patville !
Ici, dans le village de nous autres, à part trimer aux champs comme bête de somme, il n’y avait rien à y foutre. La plupart d’entre nous avaient toujours vécu d’aides sociales, alliées à de minables trafics. Les gros propriétaires terriens, — les bonnets des Terres hautes, préféraient embaucher une main d’œuvre bon marché. Des traîne-savates venus d’autres comtés, des trimardeurs, de pauvres bougres prêts à dire oui à n’importe quel boulot, pourvu qu’ils puissent manger. C’est eux qui travaillaient, pas nous. C’est en tout cas ce que beaucoup disaient.
Du coup, certains crevant d’ennui, faisaient le coup de poing. Des rixes qui souvent tournaient mal. On avait eu un mort à la suite d’une bagarre. Jo Cushing, le maire, avait dû édicter un sacré couvre-feu qui avait duré un bon mois, le temps que la tension retombe. Mais le reste du temps, quand on avait seulement deux gars qui s’étaient écharpés, à qui revenait donc le sale boulot de mettre en tôle la viande saoule ? Je vous le donne en mille : Collins ! Celui qui, justement, ne voulait pas porter d’insigne de shérif et qui s’était juré de mettre un terme aux agissements de Reno.
Le lendemain de ces mises en cabane, faute de place, il se débarrassait de ces traîne-misère jusqu’au samedi suivant. Puis tout recommençait, avec les mêmes ou avec d’autres, et s’achevaient en d’homériques bagarres. Comme s’y attendait Collins, les soirs de bal apportaient leur lot de problèmes, car ils s’accompagnaient de sacrées beuveries. Allez savoir qui était responsable ! Du coup, Collins bouclait tout le monde, juste le temps d’une nuit.
Les vocations s’étant faites rares pour remplacer le vieux sergent qui était mort, Cushing avait désigné Jeff Collins comme responsable de la sécurité du bled. Jeff avait d’abord refusé, avant qu’un gars appartenant à la Police du Comté ne se déplace pour le convaincre de prendre ce foutu poste. Collins, après moult palabres, avait fini par accepter le maudit poste, mais à deux conditions : celle de ne pas avoir à émarger comme shérif et celle d’avoir bureau climatisé et dactylo pour taper ses rapports. Le gars représentant la Police du Comté avait hoché la tête et accepté très vite ces minables conditions. Evidemment, Collins serait rémunéré comme agent du comté, mais en restant simple civil.
Jim avait bien compris qu’il ne voulait pas endosser le boulot de shérif et qu’un bureau climatisé participait à son confort. « Mais exiger une dactylo, pourquoi, grand dieux ? » m’avait-il dit. Ce n’étaient pas les rares rapports qu’il aurait à taper qui risquaient de le déborder…Non, c’était autre chose, une chose qu’on avait fini par comprendre. Collins avait une petite amie, avec laquelle il fricotait de temps à autre. Elle s’appelait Emy. Il s’était dit qu’avec un salaire de bureau, Emy pourrait aider sa pauvre mère à se soigner.
Et il avait vu juste. Emy, pour qui la connaissait, n’était pas un cadeau. Son cerveau, selon Jim, n’excédait pas la grosseur d’un tête d’épingle. Mais elle était en droit de manger à sa faim et d’entourer sa mère. Elle avait été si contente d’apprendre qu’elle avait ce job. C’est un gars de la clique à Cushing, un employé chargé des clés pour ouvrir ce qui deviendrait le bureau de Collins, qui avait raconté le premier jour de l’arrivée d’Emy et de Collins. N’en ayant pas perdu une miette, il l’avait relaté en se tordant les côtes à un panel hilare de villageois, où Jim avait sa place.
— Quand je leur ai ouvert la porte, il est entré suivie d’Emy. J’ai montré son bureau à Collins et à côté, sur un rayonnage métallique, une machine à écrire. Collins a dit : « C’est bon ! » Puis il a montré à Emy la machine à écrire. « Ça, ce sera ton outil de travail ! » Et savez-vous ce qu’elle a déclaré à Jeff : « C’est pas vrai ! Je vais travailler avec toi ? » A quoi Jeff a alors répondu : « Ben, oui ! Mais tu peux encore refuser ! »
Alors Emy a fait ses yeux de chat et lui a répliqué : « Oh, Jeff ! Comment pourrais-je te refuser quoi que ce soit ? » Sur ce, elle a plaqué ses lèvres sur les siennes, en y mettant la langue. Et elle a murmuré : « Tu sais, tu peux me demander ce que tu veux » A la suite de quoi, Collins a dit en lui donnant une tape sur les fesses : « En attendant, faudrait peut-être qu’on s’installe ! »
Oui, ça s’était passé grosso modo comme ça. C’est Jim qui s’était fait l’écho de ce rapport circonstancié, en y mettant un peu du sien, car je le soupçonnais d’en avoir rajouté, notamment au sujet du baiser qu’Emy avait donné à Jeff, « avec la langue ». Ça, c’était le détail de trop qui en aurait trahi plus d’un, c’est sûr. La tape sur les fesses aussi, d’ailleurs.
Patville, un feuilleton signé Yves Carchon, écrivain, auteur de « Riquet m’a tuer« , de « Vieux démons« , de « Le Dali noir », et de son nouveau polar « Le sanctuaire des destins oubliés »
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J’aime bien le portrait de Collins fait par Jim , un anti trublions qui s’arrange pour avoir certains avantages .
exactement
merci beaucoup pour cette suite Bernie doux weekend
Avec plaisir
Bonjour
Toujours sympa de poursuivre l histoire à travers ton blog , c ‘est une superbe idée d ailleurs je trouve.
Bien que ça laisse le lecteur un peu en mode suspens…Tant il n ‘aura cas se procurer le livre.
J en profite pour te souhaiter un bon weekend!
http://helenamybeauty.over-blog.com/2020/06/vivre-avec-l-hyrestectomie-living-with-hyrestectomy.html
C’est un rendez-vous du vendredi qui est bien apprécié.
Janis Joplin et Jim Morisson….strange village !…with the fucking cop
Un village où il ferait bon s’y perdre…
De vendredi en vendredi… ah voler les terres indiennes pour s’y vautrer, je trouve l’expression fort à propos…. merci, JB
Yves a les mots justes.