Covid-19 : Le Feuilleton | Episode 4

Confinement jour 25… « Covid-19 : Le Feuilleton », un feuilleton fiction, écrit par Yves Carchon, autour du coronavirus. A suivre tous les vendredis pendant la période de confinement.

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Journal en temps de coronavirus

La fin des temps

Tout ça pour dire qu’avec ce qui était tombé sur Pa et ce virus venu des confins du désert, tout avait été chamboulé dans notre maisonnée et qu’il avait fallu s’organiser. En une semaine, notre village avait vu sa population frappée de front par cette brutale épidémie. On n’avait pas tardé à s’orienter vers le confinement total.

Pas assez tôt selon certains.

— Oui, mais, qui aurait pu prévoir un tel malheur ? avait demandé Beth.

— Personne, avait lâché la voix de Ma.

Un mot terrible, aussi tranchant qu’un couperet, qui avait éveillé sur le visage de Pa un pathétique rictus.

Quand il avait encore sa tête, Pa faisait cette grimace quand il pestait contre le vent qui apportait chez nous mort et désolation. Pour lui, les premiers signes de ce qui allait advenir bientôt remontaient à cinq ans. Au début de l’été, — oui, ça faisait cinq ans, — plus d’eau dans les citernes ni dans les puits. Les nappes phréatiques étaient à sec. Les bêtes tiraient la langue, quand elles ne mouraient pas de faim ou de cette maladie qui atrophiait leurs membres. Pas beau à voir. Je me souviens avoir vomi quand Pa m’avait montré le cadavre d’un veau.

Il faut dire qu’alentour, le vent avait patiemment arasé la pierraille du désert, l’époussetant en des nuées pulvérulentes qui recouvraient les terres et le village, qu’on aurait même dit un village fantôme, figé sous un poussier tout blanc. Pa avait dit que ça nous réservait bien des malheurs. Il était bien le seul à s’en soucier !

Les autres, qui habitaient les terres lointaines, avaient encore de l’herbe et la rivière qui serpentait entre les touffes des bosquets, épais et vigoureux. Loin du désert, leurs bêtes paissaient encore et s’égaillaient en paix. Quand Pa, aux Rencontres de septembre, leur avait expliqué ce qui pendait au nez de tous, ils s’étaient bien marrés. Comme quoi, il voyait tout en noir quand eux se retrouvaient comme chaque année pour rire et se saouler.

Comme on rentrait chez nous dans sa vieille guimbarde, je m’en souviens encore, j’avais lancé à Pa :

— Y savent pas encore ce qui va leur tomber sur la tête, hein, Pa ?

Pa avait mâchouillé son papier maïs de mégot, juste pour rétorquer :

— Tu sais, mon gars, les idiots courent les rues ! Les dingues, les pleutres aussi ! Sans parler de tous ces ceux qui pointent aux bureaux du Comté ! Eux, c’est plus grave : ce sont des incapables !

Un an plus tard, quand les pluies avaient inondé nos champs et détruit nos cultures, certains avaient hoché la tête, se demandant si l’on n’assistait pas à d’étranges phénomènes. En voulant cultiver sur des hectares de terre, on avait coupé les bosquets et les haies, gavé la terre de pesticides et appauvri le sol. Mais peu étaient conscients du maelstrom qui adviendrait bientôt. Ils préféraient voir dans ces funestes humeurs de la nature le châtiment de Dieu.

Car ils allaient tous à la messe, chaque dimanche, pour écouter le Père Anselme. Un possédé de Dieu qui n’en finissait pas de ressasser que la fin des temps était proche. Un fou furieux, selon l’avis de Pa. Par ses prédications, ses mimiques de dément, — c’est Jim, le meilleur de mes potes, qui m’en avait parlé, il foutait les chocottes à tout le monde. Jim me disait que quand il écoutait son prêche, les poils de ses bras se hérissaient. Et la plupart des femmes étaient terrorisées, alors que leurs bonhommes regardaient leurs chapeaux.

— Il est vraiment jeté, ce pasteur de mes deux ! avait dit Jim, en crachant une glaire à mes pieds.

— Pas étonnant. Tu sais ce que dit Pa à son sujet ?

— Non, mais j’aimerais savoir ! 

— Que ce bâtard de fils de pute embrouille tout son monde ! Et tu sais quoi encore ? Que s’il chope c’te putain de cafard, il lui fera bouffer sa bible !

Je revois Jim encore se gondoler, la bouche hilare et des larmes plein les yeux.

Nous, il est vrai, — ce n’était un mystère pour personne, on n’avait jamais mis les pieds au temple. Ni Pa, ni Ma n’avait une once de religion. Ils étaient convaincus que Dieu les avait oubliés, eux et la race de leurs aïeux, et qu’Il se foutait bien du sort qui nous était échu, de toute éternité. Les pauvres, les marginaux et les dégénérés (ainsi nous appelaient certains), n’avaient jamais été dans les papiers de Dieu. Enfin leur Dieu.

Jim m’avait dit un jour avoir appris d’un vieil Indien qu’il y avait mille fois plus fort que Dieu, et c’étaient les Esprits. Des forces portant le monde à bout de bras. Même qu’ils étaient souvent présents, là, parmi nous, sans que personne ne pût les voir. Une légion d’Esprits, avait confié le vieil Indien à Jim, vivant à nos côtés et surveillant nos actes. Mais ça, c’était venu après, quand des événements bizarres s’étaient produits dans le village…

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Patville, un feuilleton signé Yves Carchon, écrivain, auteur de « Riquet m’a tuer« , de « Vieux démons« , de « Le Dali noir », et de son nouveau polar « Le sanctuaire des destins oubliés »

Retrouvez :

Covid-19 : Le Feuilleton | Episode 1

Covid-19 : Le Feuilleton | Episode 2

Covid-19 : Le Feuilleton | Episode 3

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Bernie
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16 commentaires

  1. Des signes avant coureurs d’une nature maltraitée , des personnes mises à l’encan parceque peut être trop visionnaires . Ce n’est pas sans me rappeler ce pauvre médecin chinois décédé qui avait alerté les autorités et que l’on a fait taire .

  2. Je veux bien croire aux esprits car je n’ai aucune affinité avec dieu qui va voir ses pâques perturbées cette année …
    Bonne fin de semaine avec des jours qui se suivent et se ressemblent pour la majorité d’entre nous.
    Une pensée pour tous ceux qui travaillent pour assurer notre sécurité et la continuité de notre vie.
    La solidarité doit rester notre première préoccupation !
    Je continue à avoir très mal au dos mais je pense à tous ceux qui luttent pour garder la vie.
    Beau papa a très mal supporté sa transfusion : il est très faible et a du mal à reprendre le dessus.
    Pendant que mon chéri fait le nettoyage de l’extérieur avec un parc, potager et verger qui n’auront jamais été aussi propres et beaux que cette année, surtout à cette saison !
    Gros bisoux, cher bernie.

  3. Les épidémies de pestes avaient ravagé le pays de Grasse et ses environs. Dans mon dernier articles je met un lien sur ces figons venus de la région d’Imperia, de Gênes et même de Vintimille pour repeupler un territoire ou la population fut décimé à 90%. C’est pour cela que cette partie de l’ouest du département n’a pas un dialecte provençal, mais un dialecte ligure comme celui de Monaco…Nice étant plus tourné vers le piémont..
    @+

  4. …. ils étaient convaincus que Dieu les avait oubliés, ça me replonge dans le reportage de hier soir, envoyé spécial… l’Inde et ses bidonvilles, entre autres, encore plus misérables avec Covid-19… merci, JB

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