Dans les méandres du cœur humain se cachent des désirs inavoués, des fantasmes inavouables et des vérités bouleversantes sur l’amour et l’intimité. C’est au détour d’une plume acérée et bienveillante que j’ai découvert les mots de Benoit Chavaneau, telle une lueur d’espoir dans la nuit de l’incompréhension. Sa lettre ouverte, rédigée en réponse aux propos cinglants d’un chroniqueur français, a su toucher les âmes sensibles et éveiller les consciences endormies.
Submergée par l’émotion, les yeux embués de larmes que je ne cherchais plus à retenir, j’ai puisé au plus profond de moi le courage de tendre la main vers cet homme dont les mots avaient su panser mes blessures invisibles. Tremblante mais déterminée, j’ai osé lui demander cet entretien, lui confessant dans un souffle l’impact profond que son texte avait eu sur mon être.
Échange avec Benoît Chavaneau, homme de lettres et homme de cœur
Virginie Vanos : Bonjour Benoît, je tiens une nouvelle fois à vous remercier de cette lettre ouverte. Sans vouloir faire dans la psycho de comptoir, que pensez-vous du fait que ce chroniqueur (dont je répugne à écrire le nom) soit versé dans les femmes de moins de 25 ans, par peur de la maladie, de la vieillesse et de la mort ?
Benoît Chavaneau. : Le jeunisme n’est pas nécessairement quelque chose de nouveau. Il correspond à un très ancien stéréotype de beauté qui associe la beauté à la jeunesse, à la symétrie des traits et (sauf dans la Grèce antique) au sexe opposé.
Ce qui me frappe davantage, aujourd’hui, c’est qu’on l’applique essentiellement à la femme.
Aujourd’hui, quand on parle d’un bel homme, on cite George Clooney, Brad Pitt, Antonio Banderas… qui ne sont plus précisément des jeunots.
Mais sitôt qu’on regarde la femme, le vieux stéréotype rejaillit : les mannequins des podiums sont des sylphides d’une minceur affolante, la publicité nous vend une femme toujours plus jeune, mince, joyeuse, sexy et gare à celles qui n’entrent pas ou plus dans les cases.
La femme dont on rêve, l’héroïne des romans et des contes de fées n’est pas une quinquagénaire avec mari et enfants, les sorcières, les vilaines reines sont mûres et girondes pas les princesses…
Or j’ai tendance à penser que de nombreux hommes ont l’intelligence émotive et affective des petits garçons qu’ils sont encore. À 40 ou 50 ans, ils voient leur ventre s’alourdir, leurs traits s’épaissir, leurs tempes grisonner et leurs performances sexuelles diminuer (parce qu’ils sont encore dans l’idée que le sexe est une performance comme à 25 ans).
Pour ces hommes le choc du vieillissement est dur à encaisser comme pour les femmes d’ailleurs. Mais souvent la réaction ne sera pas la même : la femme, instruite par la publicité et les magazines, va s’ingénier à gommer les effets du vieillissement sur le corps, elle va se teindre les cheveux, elle va se couvrir le visage de Q10, elle va entamer des régimes contraignants, courir dans les bois et s’acharner à rester « belle » pour plaire encore et toujours à celui qu’elle aime.
Quelques hommes vont aussi faire cet effort, surtout vestimentaire, et ils vont respectueusement accompagner le mûrissement corporel du couple. Pour d’autres, très nombreux, c’est plus difficile. Et pour eux la seule façon de rester jeunes sera de séduire une « belle » de 25 ou 30 ans. C’est le fameux « démon de midi ».
Et, il faut le reconnaître, depuis Zola ou Balzac, nous savons bien que le quinquagénaire est d’autant plus séduisant qu’il est riche, célèbre, talentueux ou puissant… et que la femme jeune est parfois vénale !
C’est un paradoxe, Louis XIV, Louis XV, Napoléon recherchaient la compagnie de femmes mûres et expérimentées tant au lit que dans leurs cabinets de travail pour leur maîtrise des choses du corps et du cœur. Les hommes du XX e et XXI e siècle (du moins beaucoup) par vanité, par orgueil, privilégient des relations désynchronisées où ils pourront dominer la femme corps, cœur et âmes.
Contrôler et dominer : une perversion de l’amour
VV : N’y a-t-il pas non plus un souci par rapport au contrôle de sa propre existence ? Je crois que de façon plus ou moins inconsciente, certains peuvent assimiler les femmes à peine sorties de l’adolescence à des êtres naïfs, influençables, inexpérimentés… donc plus faciles à contrôler, voire dominer…
B.C. : Bien sûr. C’est le cas de façon évidente dans de nombreux pays du monde où des hommes d’un âge respectable vont épouser des fillettes de 10 ou 12 ans à peine nubiles.
En Europe, au États Unis, au Japon, c’est plus ambigu. Tout d’abord, on ne recherche pas une épouse de douze ans. Bien souvent, l’épouse, on l’a déjà : c’est la mère de vos enfants, la maîtresse de votre foyer. En recherchant une jeune femme, c’est clairement une maîtresse, une amante que l’on vise.
La nature de la relation est très souvent sexuelle et souvent, tarifée, d’une manière ou d’une autre. Les jeunes américaines rêvent de se trouver un « Sugar daddy », les étudiantes japonaises pratiquent « l’enjo kosaï » (elles se font entretenir par un cadre ou un commercial aisé) et en France les exemples sont légion de ces jeunes femmes prêtes à tout pour réussir.
Pas sûr simplement que ce soit toujours l’homme qui domine le jeu: relisez la Carmen de Mérimée- Bizet, Lolita de Nabokov ou de nombreux romans de Balzac. De nombreux hommes mûrs qui « achètent » une jeune femme s’attachent à leur poupée et prennent le risque qu’un jour elle tombe amoureuse d’un garçon de son âge, plus viril, plus sexy, tout simplement plus jeune. Ou d’un vieux plus riche que l’autre.
Et c’est le retour de bâton !
Voir Maria Callas ou Elizabeth Taylor. En fait dans ces relations trompeuses entre un homme mûr et une jeune femme, je ne suis pas sûr que ce soit l’homme qui domine le jeu… Tant que la femme est jeune et sait gérer le désir du mâle !
VV : A mon sens, ce genre de personnage souffre d’éphébophilie que l’on pourrait qualifier de perversion, voire de névrose. Quelle est votre opinion à ce sujet ?
B.C. : Cette fascination pour la jeunesse est une perversion dans la mesure où elle bouleverse cette règle tacite qui voudrait qu’on désire une personne de son âge, qu’on se marie avec une personne de son âge, qu’on ait des enfants avec une personne de son âge et qu’on mûrisse avec une personne qui vous ressemble.
Mais vous savez comme moi que de tous temps les hommes ont épousé des femmes plus jeunes qu’eux. Dans « la belle au bois dormant » le prince Philippe est promis à douze ans à Aurore qui est un bébé !
Dans de nombreux pays des vieillards épousent des enfants et la différence d’âge entre l’homme et la jeune fille est couramment admise. En France, il n’est pas rare de voir des sexagénaires ou septuagénaires épouser des femmes de 25 ou trente ans. Et l’on trouvera plutôt cela valorisant.
Peu importe que François Hollande quitte la mère de ses quatre enfants (une femme au demeurant superbe et très intelligente) pour une jeune journaliste de Paris Match, puis qu’il abandonne cette dernière pour une blonde actrice plus jeune encore. On trouve cela touchant, romantique.
Après tout Sarkozy n’a pas fait autre chose, mais il est passé devant monsieur le maire, et il a fait de Carla Bruni la mère de sa fille. En revanche quand c’est la femme qui est plus âgée que l’homme, comme dans le couple Macron, c’est là qu’on va crier à la perversion.
On parle de couguar, les quolibets volent bas. Très bas. Surtout si la femme en question est pleine de style et d’intelligence. Que Louis XIV ait recherché une mère chez Mme de Maintenon autant qu’une amante, une initiatrice, une confidente. C’est probable.
Et chez Louis XV c’est plus flagrant encore. Que de nombreuses jeunes amantes recherchent un père chez leur amant d’âge mûr c’est fort possible. C’est un Œdipe presque banal au regard des écrits de Freud. De là à parler de névrose…
Et puis il y a ce mystère de l’Amour entre un vieux clown fatigué et une jeune ballerine, dans les « Feux de la rampe », de Chaplin. L’amour de l’élève pour son professeur (dans le cas Macron). Edith Piaf qui entretenait des relations presque amoureuses avec les jeunes chanteurs de son entourage alors qu’elle était plus âgée qu’eux et mariée…
Lewis Caroll, éminent professeur de Mathématiques, a fait d’une enfant de dix ans, Alice Liddell, sa muse, pour « Alice au Pays des Merveilles », sans jamais chercher à abuser d’elle ou avoir des relations ambiguës. Aujourd’hui, on le qualifierait sans doute de pervers névrosé…
Le fanstasme des femmes asiatiques
VV : Cette préférence fièrement clamée pour les femmes asiatiques comporte déjà pour moi une grossière erreur : l’Asie va, après tout, d’Istamboul à Hô-Chi-Min-ville en passant par Téhéran et New Delhi ! Croyez-vous qu’une petite leçon de géographie élémentaire soit utile dans le débat qui nous préoccupe ?
B.C. : Dans le cas de Yann Moix, la préférence va je crois vers les femmes asiatiques d’extrême orient : Japonaises, Coréennes (Chinoises peut-être). Et pourquoi pas !
J’ai partagé le même fantasme il y a quelques années au point d’écrire deux romans érotiques sous un pseudo de femme japonaise. En fait l’attrait pour l’exotisme apparaît clairement au XIXe siècle. On le trouve partout chez Hugo, Loti, Ingres ou Baudelaire.
Bien souvent c’est un orientalisme de pacotille où les femmes des harems attendent lascivement que l’amant les honore. C’est aussi un exotisme très érotisé où la liberté du corps et la liberté sexuelle qu’on pratique ailleurs fait rêver. Aujourd’hui nous sommes très choqués par la pédophilie coloniale de Paul Gauguin mais les références à la jeune Tehamana dans « Oviri ou les mémoires d’un sauvage » (le journal de Gauguin) sont merveilleuses de tendresse et d’admiration.
Et à l’époque de Gauguin cela ne choquait personne qu’un blanc de cinquante ans, barbu, vaguement anarchiste, très anti colonial, qui a abandonné femme et enfants en métropole, couche avec une jeune vahiné de 15 ans et qu’il la peigne nue. Je ne peux m’empêcher de trouver une très grande beauté dans ces toiles.
Et de l’amour. Les orientales de Baudelaire, dont il fera souvent ses compagnes charnelles, sont plus âgées. Ce sont des prostituées ou des femmes mûres dont le corps sensuel inspire le poète. Au XXe siècle, il y a aussi un érotisme indochinois, très colonial mais plus timide. Sauf chez Duras, dans « l’Amant » dont l’auteur renverse subtilement les stéréotypes puisque la jeune fille est Française et l’homme, plus âgé, un chinois riche. Le livre est d’une beauté rare dans cette manière de célébrer la fusion des corps avec le tact et la discrétion du non-dit.
À partir d’un thème classique, l’initiation amoureuse d’une jeune femme par un homme plus âgé, l’auteur, une femme mûre, a esquissé un chef d’œuvre où l’Orient n’est pas juste un décor mais une atmosphère.
Chez les Anglais, l’érotisme exotique se déplace volontiers en Inde, avec des best sellers comme « Venus indienne » ou « Mes amours sous les déodars ». Les thèmes sont toujours les mêmes ou presque, une jeune femme Anglaise, plutôt prude (comme le sont nécessairement toutes les jeunes femmes anglaises !), se retrouve dans l’Inde Coloniale où elle découvre les plaisirs de la chair avec de fringants militaires, de mystérieux princes hindous adeptes de l’amour tantrique, et des fillettes très délurées. Ces romans avaient énormément de succès auprès des messieurs très respectables de la City ou de Buckingham.
Et puis il y a la découverte de l’Érotisme Japonais avec l’ouverture progressive du Japon au monde. L’érotisme nippon est un érotisme complexe. Le plaisir, dans les estampes Sunga, de l’Epoque Edo (1600-1868) est fait d’étreintes explicites et de toutes les formes de pénétrations possibles mais ces estampes, très recherchées à l’époque, sont avant tout destinées à l’excitation du mâle samouraï.
La société japonaise est une société éminemment phallocratique en matière amoureuse où la femme est traditionnellement soumise, silencieuse et consentante. Et totalement dédiée au plaisir de l’homme.
Pour autant, le Japonais n’est pas un séducteur, dans cette culture faite de non-dits, on ne montre pas son désir ou son intérêt. Après le travail les hommes se retrouvent entre eux pour boire ou pour sortir. D’où l’essor des maisons de thé où les geishas distrayaient des hommes inhibés en leur chantant des chansons ou en jouant du shamisen. Il y avait aussi toutes sortes de prostituées, les oïrans, qui satisfaisaient les désirs sexuels de ces messieurs et personne n’y trouvait rien à redire.
Aujourd’hui, avec l’essor des mangas, les désirs des japonais ont emprunté au jeunisme : on fantasme sur des nymphettes en habit d’écolières ou habillées en héroïnes de mangas et il n’est pas rare de croiser dans les rues de Tokyo des jeunes femmes qui cultivent cette image au maximum au risque des ressembler à des enfants. Ces femmes-enfants étant exclusivement dédiées au plaisir de l’homme, elles sont souvent présentées comme des poupées sexy, excessivement délurées, qui ne pensent qu’à copuler ou comme des fausses farouches qui n’attendent qu’un viol libérateur.
L’homme japonais étant très peu entreprenant, à Tokyo, ce sont souvent les femmes qui font le premier pas. Et particulièrement vers le Gaijin, l’étranger, dont les codes de séduction sont différents.
Pour une Japonaise, au Japon, rencontrer un Français ou un Italien c’est la garantie d’une aventure amoureuse facile et libérée où l’homme va prendre des initiatives, même au lit. Et c’est ce plaisir d’être enfin séduite qui va tromper beaucoup d’européens : on ne les recherche pas parce qu’ils sont des amants exceptionnels mais juste parce qu’ils sont des amants plus entreprenants que leurs collègues nippons obsédés par le travail et le bien être de l’entreprise.
VV : Mais aussi, cette préférence ne tient-elle pas d’une certaine forme de racisme ? Le mythe de la geisha souriante et asservie a la peau dure. Et cela tient à mes yeux du ségrégationnisme. Qu’en pensez-vous ?
B.C. : Tout d’abord une petite nuance, la geisha, contrairement aux idées reçues, n’est pas une prostituée ni une femme dédiée aux plaisirs de la chair. C’est une jeune femme qui reçoit une formation longue et très contraignante dans l’art du chant, de la danse, de la poésie, de la conversation.
Elle ne couchait jamais avec ses clients et travaillait dans des Maisons de thé. Ses services coûtaient excessivement cher, par conséquent, elle offrait un « plaisir » tarifé mais très intellectuel et artistique. Les oïrans, pour faire simple les prostituées, vivaient elles aussi en maison closes, et il y en avait pour tous les budgets.
Dans l’Indochine française, il y avait de nombreuses oïrans japonaises qui vendaient leurs charmes à Saïgon mais elles avaient une assez mauvaise réputation en matière d’hygiène aussi les riches bourgeois avaient-ils leur congaï à domicile, une très jeune indigène, très « propre », et exclusive, pour entretenir la maison et le plaisir du maître. C’était des mœurs sexuelles très coloniales et couramment admises en Asie comme en Afrique.
Il faut dire que très souvent les hommes travaillaient seuls aux colonies, et laissant épouses et enfants en métropole. Quand ces dames venaient rejoindre leurs époux à Delhi, Saïgon ou Mombasa, elles restaient souvent entre colons, dans les clubs et magasins dédiés aux européens.
À Saïgon, il était rare qu’une dame blanche chasse la congaï de son époux, tout au contraire, il y avait une forme de consentement mutuel dans de nombreux couples, et il n’était pas rare que madame, de son côté, prenne un jeune amant européen fringant ou un gigolo annamite.
Alors racisme, certes, mais très imprégné d’une morale sexuelle coloniale où le jeunisme a son importance : car en Inde, en Indochine ou au Kenya ce ne sont pas des femmes mûres que l’homme blanc met dans son lit, mais des adolescente « achetées » ou des enfants plus ou moins consentantes.
Aujourd’hui cette fascination pour la nymphette asiatique, en France, ou pour la jeune hindoue délurée en Grande Bretagne, est un héritage de cette histoire coloniale où la jeune fille est un objet sexuel facile dédié à tous les plaisirs sexuels du maître. À ce stéréotype vient se superposer celui de la nymphette japonaise, avide de tous les plaisirs charnels, et excessivement délurée par rapport à la jeune femme européenne : il y a ainsi toute une culture sado masochiste nippone, qui fascine de nombreux européens et où la soumission de la femme est menée à son paroxysme. Tout cela fait fantasmer surtout à un âge où la sexualité n’est plus aussi flamboyante.
Inégalité morale entre femme et homme
VV : J’ai aussi l’impression que si une femme proclame qu’elle préfère des partenaires plus jeunes et/ou d’une autre ethnie que le type caucasien, elle risque de passer pour une immonde cochonne. Estimez-vous mes propos exagérés ? Et pensez-vous qu’en Europe de l’Ouest, l’inégalité « morale » entre hommes et femmes se marque aussi de la sorte ?
B.C. : » Immonde cochonne « , C’est peut-être exagéré, mais c’est vrai qu’un couple désynchronisé à la faveur d’une femme plus mûre interpelle toujours. On parle de Couguar, de prédatrice, les quolibets volent bas.
Or au XVIII e siècle c’était monnaie courante dans la noblesse et même dans la haute bourgeoisie. C’était la figure de la courtisane expérimentée et experte en jeux de l’amour. Quant au couple mixte avec un homme d’une autre ethnie, il est évident qu’il inverse le stéréotype colonial et, en effet, c’est en secret moralement désapprouvé.
Même si, me semble-t-il, on regarde d’un œil plus sévère l’amant noir ou maghrébin qu’asiatique, ce vieux stéréotype de l’amant africain qui recherche une maîtresse blanche pour faire un mariage avantageux (voir le sketch de Muriel Robin « le noir » à ce propos).
Au XVII e, XVIIIe et XIXe siècles, de nombreuses estampes (ou photo plus tard) montrent des esclaves noirs, tellement exotiques et magnifiquement membrés chevauchant de riches femmes blanches. Mais cela est clairement perçu comme une perversion dont on rit sous cape.
Et dans ce cas, on ne parle jamais d’amour ou d’étreinte mutuelle. D’ailleurs, à ma connaissance il n’existe aucun roman érotique, français dont le héros soit un homme de couleur à l’exception notable de celui de Duras dont l’amant est asiatique.
En Europe de l’Ouest, mais c’est aussi vrai à peu près partout dans le monde, il y a une certaine inégalité morale entre les sexes en défaveur des femmes. Mais cette dernière est bien plus pesante dans les pays où la religion, quelle qu’elle soit, est très prégnante dans la vie publique. Il me semble que dans les pays où la morale religieuse s’est affaiblie, les femmes ont gagné en liberté sur ce point (libre contraception, liberté sexuelle, droit à la différence…).
En Irlande, le 13 décembre dernier, le parlement a enfin légalisé l’avortement ce qui était encore impensable il y a dix ans tant le poids de l’église catholique était fort.
Et, aux Pays Bas ou en Scandinavie, l’inégalité morale entre hommes et femmes s’est totalement amuïe. En fait, il me semble l’inégalité la plus flagrante et la plus choquante entre les deux sexes se trouve plutôt dans le monde du travail où à compétences égales et avec la même ancienneté une femme gagne systématiquement 10% de moins qu’un homme.
Où est l’amour ?
VV : Pour conclure, j’ai envie de dire Et l’amour, dans tout cela… ? Où est-il ? Qu’en reste-t-il ?
B.C. : Vaste question ! Il me paraît très important de différencier le désir, le plaisir, le couple et l’amour.
Le désir c’est le début de tout. Et je ne crois pas que ce soit l’étape la plus simple ou la plus banale de la rencontre. C’est au contraire la plus complexe et la plus merveilleuse à la fois, merveilleuse en ce qu’elle échappe totalement à la raison.
On peut désirer quelqu’un qui vous ressemble (« qui s’assemble se ressemble ») ou tout au contraire quelqu’un qui est à votre opposé (« les opposés s’attirent »).
Souvent quand on croise un couple on se demande : « mais qu’est ce qu’elle a bien pu lui trouver ? « . Et c’est cette magie là qui me fascine. Pourquoi elle plutôt qu’une autre ? les biologistes nous suggèrent que, comme dans le règne animal, tout est question de phéromones, d’imperceptibles odeurs corporelles (d’où l’expression : « je ne peux pas le sentir »).
Et je me souviens en effet, qu’étudiant, j’étais tombé sous le charme d’une jeune fille avant même de la voir, totalement subjugué par ce parfum qu’elle traînait dans son sillage et qui l’annonçait, partout où elle allait, avec une incroyable aura.
Mais le charme, étymologiquement, ce peut être la voix, le regard, un sourire, une paire de chaussure ou une manière qui ne tient qu’à elle de jouer avec une mèche de cheveux rebelles. Et puis il y a la séduction, cet art subtil d’exprimer ou de susciter le désir. Quand on est jeune, tout va souvent très vite, trop vite, pressé qu’on est d’en venir au plaisir.
À mesure qu’on vieillit, on apprend à cultiver cette douce lenteur de la séduction. Car le plus important ce n’est plus nécessairement le but à atteindre, c’est ce lent cheminement fait de petits pas, de petits gestes, de regards ambigus, d’allers et de retours, d’avancées et de reculs vers l’autre.
Et une fois que le but paraît atteint, le plus difficile commence, me semble-t-il : prolonger le désir au-delà de la possession, le recréer chaque jour, malgré la banalité et l’usure du quotidien. Avoir toujours envie d’apprendre quelque chose de l’autre, de son corps, de son cœur, de son âme. « Tout le tact dans l’audace, disait Cocteau, c’est de savoir jusqu’où on peut aller trop loin ».
La grande ennemie du désir, c’est la passion, si paradoxal que cela puisse paraître. La passion, dans sa nature dévorante même, implique une totale fusion des corps, des cœurs, des êtres. On ne fait plus qu’un.
Mais, comme l’indique l’étymologie du mot la passion est nécessairement source de souffrance (« Patio » en latin : je souffre) : elle brûle, consume, détruit. Et la principale victime de la passion, c’est le désir. Le désir qui suggère que j’aie toujours quelque chose à deviner, à entrevoir, à caresser, à approcher en Vous. Ne jamais tout connaître de l’autre pour avoir toujours quelque chose à convoiter.
Pérenniser le mystère de la personne n’est pas chose simple, surtout dans une société où l’on cultive via les réseaux sociaux, la transparence de l’intimité. Et c’est là où l’on découvre que les hommes, même mûrs, sont beaucoup moins doués que les femmes à ce jeu. Cela ne veut pas dire qu’un homme soit moins séduisant, car beaucoup de femmes justement seront touchées par cette maladresse craquante, mais il me semble que nous les hommes font moins d’effort pour nous renouveler et séduire à 50 ans que les femmes.
À 50 ou 60 ans, le rapport de chaque sexe au plaisir évolue également. Les hormones ne jouant plus pleinement leur rôle, les hommes ont moins de désir, de fréquentes pannes d’érection malgré l’envie de…
Du côté des femmes, c’est plus ambigu, comme l’est leur plaisir, d’ailleurs. La ménopause et son bouleversement hormonal est passée par là. Mais, pour beaucoup de femmes, le désir reste fort, et le besoin de plaisir tout autant. L’amante n’a plus cette crainte inconsciente de la maternité non voulue. Ses enfants sont devenus grands et elle ne se sent plus dans cette envie de faire l’amour pour enfanter.
Bref, elle a envie du plaisir pour le seul plaisir. Et elle va le cultiver avec un raffinement, un bonheur rares. L’amante de cinquante ans a appris la patience, la délicatesse, le corps de l’homme et son propre corps avec tact.
Et c’est probablement ce qui déconcerte beaucoup d’hommes qui continuent de raisonner en mâles dominants : ils découvrent qu’en matière de plaisir la femme mûre en sait souvent mille fois plus qu’eux. Et qu’elle connaît mieux leur corps, ses désirs, ses tensions, ses pulsions et ses faiblesses qu’eux-mêmes.
Pour beaucoup d’hommes c’est très intimidant voire contrariant et ils se rabattent aussitôt sur des petites jeunes plus faciles à dominer et impressionner. Sans même se rendre compte que ce faisant ils vont se priver d’une occasion rare d’explorer les plus belles dimensions du plaisir.
Alors bien sûr, toutes les femmes mûres n’ont pas nécessairement l’envie de devenir cette amante merveilleuse que je viens d’évoquer, beaucoup d’entre elles, après un veuvage, un divorce ou une séparation douloureuse, vont laisser le corps s’assoupir doucement et s’engourdir au profit des seules émotions du cœur.
Oublier le corps pour oublier la douleur au risque d’oublier le plaisir. Mais, parfois, comme dans les contes de fées, il suffit d’un baiser, d’un regard, d’un sourire pour tout réveiller. J’ai toujours envie de dire aux femmes qui négligent le plaisir : n’oubliez jamais que votre cœur et votre cerveau se trouvent dans votre corps et souvent pour réveiller l’un, il faut réveiller l’autre. Avec tendresse.
J’aime beaucoup cette phrase de Rilke parlant de l’amour : « Deux solitudes se protégeant, se complétant, se limitant, et s’inclinant l’une devant l’autre » …
L’amour n’est pas la négation de la solitude. C’est une solitude partagée, comblée, éclairée et parfois assombrie par la solitude de l’autre, disait Comte Sponville. Aimer c’est consentir à ce que l’autre vienne effleurer votre solitude comme vous effleurez la sienne.
C’est un approfondissement, un enrichissement intime et en cela ce n’est pas si éloigné que cela du plaisir et du désir dont je viens de parler. Maintenant, on peut désirer sans aimer, mais peut-on aimer sans désirer ?
VV : En vous remerciant du temps que vous m’avez consacré.
Une rencontre signée Virginie Vanos
(Re) découvrez l’interview de Virginie Vanos qui nous parle de son dernier roman Anna Plurielle
Un article intéressant et bien écrit, merci Bernie et bonne fin de soirée.
Merci
Moi aussi, j’ai lu le texte dans son intégralité. Effectivement, le désir né de la frustration…
Je me doutais que tu lirais le texte dans son intégralité, je suis d’accord avec toi
Une conversation passionnante que j’ai lue d’un trait, du début à la fin !
Très finement dit.
Avec ta permission, je me la recopie car c’est un sujet qui me passionne (Je ne peux pas t’expliquer pourquoi, … trop long …).
Bon Jeudi, que je dis, cher bernie ! Lolll
Merci beaucoup Dom, d’avoir pris le temps de lire l’intégralité, tu peux recopier le texte, et si tu l’utilises je sais que tu mentionneras Virginie Vanos qui a réalisé cet entretien avec Benoît Chavaneau
mais ne crois-tu pas que la beauté n’est pas que dans l’apparence physique, il y a des personnes âgées superbes, n’oublions que nous allons tous ou presque y passer…..je te souhaite un bien doux jeudi
je crois que c’est le sens des mots de cet entretien réalisé par Virginie Vanos