En cette fin d’année 2018, comme à mon habitude, c’est l’heure des bilans sur ma propre vie. J’ai longtemps hésité à dévoiler ce texte en public, mais voici le monologue, écrit et interprété sur scène en juin 1999, dans le cadre de mes examens de première année à la Kleine Academie de Bruxelles.
Maître inconnu- Fin du 14ème Siècle
Un vieux souvenir, resté dans un tiroir durant 20 ans….
Il y a dix ans de cela, je l’aurais trouvé personnel, immature et petit-bourgeois.
A ce jour, c’est moi-même que j’y retrouve, malgré cette violence que j’ai intériorisée et définitivement enterrée depuis bien des années…
Ma mère est généalogiste.
Monologue, écrit et interprété sur scène en juin 1999, à la Kleine Academie de Bruxelles
Il paraît que j’ai des ancêtres fameux et que c’est d’eux que je tiens ma grâce, ma classe, mon intelligence, mon esprit d’à-propos et mes nombreux dons. Aux dernières nouvelles, il y en aurait même un encore plus fameux que les autres. Un grand maître, dont je tiens sans doute mes talents plastiques, et inconnu…C’est pourquoi il est fameux ! La gloire d’être inconnu !
On ne sait rien de lui. Ni son rang- que j’imagine noble, ni sa naissance, qu’on situe approximativement vers 1310, juste son nom : Lucien Roger Marcel Gérard Vanos. Et son œuvre : un seul et unique seul tableau, magnifiquement précurseur « La mort de Tristan et Iseult ». Et c’est ça toute la gloire de son nom.
Du Maître, l’on peut croire qu’il était familier des Ducs de Bourgogne ou qu’il n’était qu’un malheureux clochard parmi tant d’autres. Soit. Le tableau, c’est autre chose. Tristan et Iseult, c’est connu, reconnu, rabâché. Deux être qui s’aiment et qui ne peuvent être heureux. Le maître, lui, s’en fout de cet amour. La seule chose qui lui importe, c’est le malheur voluptueux de ne pouvoir mourir ensemble. La mort… Drôle de concept…
Donc, Tristan est arraché à Iseult, doit en épouser une autre et se ramasse un pieu empoisonné dans une de ces légendaires batailles médiévales.
Tristan va mourir, Tristan souffre, Tristan pleure comme une gonzesse.
Il fait mander sa légitime épouse, à qui il confie son secret et sa vie : qu’Iseult la Blonde vienne avec ses remèdes et il sera sauvé.
Avec son fidèle second, il convient d’un code : si Iseult est à bord du bateau qui doit venir la chercher de Cornouailles jusqu’à son chevet, la voile sera blanche. Si elle n’y est pas, la voile sera noire.
Et c’est là que le drame se noue, laissant libre cours à l’imagination du maître qui, déjà, prépare ses pinceaux. Une tempête empêche le bateau d’accoster. Iseult doit elle aussi mourir un peu, à l’ombre de sa voile blanche… Tristan est au bout. Iseult chante « So what happens now ? Where am I going to?”
Enfin arrive le bateau.Le légitime femme de Tristan a vu la voile blanche, elle sait que même si lui est sauvé, son honneur à elle est à jamais perdu. Elle murmure à son oreille, perfide : « La voile est noire ». Et il meurt en un sanglot…
Iseult vient juste à temps pour ne plus voir qu’un cadavre et elle meurt à son tour sur le corps déjà froid de son amant.
Voilà l’œuvre du maître inconnu, et tout son talent.
Ça vous a plu, hein, la belle histoire ?
Vous avez été bien émus comme la bande de cons que vous êtes ? Regardez-moi, vous me faites pitié : tremblant comme des moutons, bê bê bê, retenant mal vos pensées « Oh que c’est joli la jolie histoire d’amour… ! ».
Vous êtes pathétiques, vous pleurez sur du vent tandis que les vrais malheurs, les vraies souffrances qui courent autour de vous, vous ne les voyez même pas !
Vivez vos histoires de cul !
Profitez donc de la détresse des autres !
Vous êtes cruels, mais vous ne me faites même pas peur. Vous avez beau croire que vous êtes là les gens les plus heureux, vous ne le saurez jamais tant que vous n’aurez pas vu tout ce qui s’écroule autour de vous, pas au Moyen Orient, pas en Amérique Latine, ici, là, maintenant !
Moi, je n’ai jamais eu d’amour dans ma vie, rien, ni avec le beau tableau, ni sans, ni aujourd’hui, ni hier, ni demain !
Et la vérité, c’est que je me fous des maîtres inconnus, comme je me fous du quatorzième siècle ! Alors, la croûte minable du clochard moyenâgeux, voilà ce que j’en fais !
Un rencontre signé Virginie Vanos
(Re) découvrez l’interview de Virginie Vanos qui nous parle de son dernier roman Anna Plurielle
Intéressant et déroutant, on se demande si c’est du lard ou du cochon !
Qui pourrait nous le dire ?
je dois dire que j’ adore la conclusion !
Bonne journée Bernie
la chute est aussi importante que le pitch