Cela fait un peu plus de deux mois que mon ancien téléphone portable, un modèle des plus basiques, est passé de vie à trépas lors d’une malencontreuse chute dans une baignoire. C’est l’unique raison qui me poussa à acheter un smartphone, étant donné que les trois seules choses que je demande à un GSM est de pouvoir passer des appels, recevoir des textos… et avoir une alarme faisant office de réveil-matin. Ce jour-là, j’acquis à bas prix, et en promotion, en plus) un Nokia qui me semblait des plus basiques.
Lors de la configuration de mon nouvel appareil, je pris conscience qu’il y avait un appareil photo intégré. Au départ, je me souviens avoir bêtement pensé « Chouette ! Plus besoin de sortir le gros Reflex pour de simples photos souvenirs ! ».
Mais c’était sans compter sur ma passion pour l’infographie, qui me prit bien avant que je devienne moi-même photographe.
Tout a commencé vers les années 2003-2004 où, étant jeune modèle, on me fit découvrir des programmes de retouche. Un de mes plus grands regrets est que je peins et dessine comme un manche, c’est donc tout naturellement que je demandai à certains des artistes avec qui je bossais d’assister, après chaque séance, à une heure ou deux de travail de postproduction.
Bien entendu, je me tournais vers ceux qui dépeignaient des univers totalement fantasmagoriques, à mille lieues de toute réalité. Il me fallait de gros virages colorimétriques, des décors baroques, des déformations étrangement oniriques.
C’est ainsi que, poussée par un collègue photographe, j’en vins aux selfies. Il était déjà pour moi clairement entendu que je ne ferai pas des autoportraits « mode-beauté » avec quatorze filtres qui auraient transformé mon arrière-grand-mère en bimbo de vingt ans.
De plus, cette manie de se prendre en selfie avec des airs de pimbêche décervelée, la bouche en cul de poule et les nibards en avant est plus en plus considérée comme une addiction malsaine.
Moi, je n’y perçois qu’une foutue mode qui sous-entend que si on ne joue pas à la bombasse super chaude, l’on est à peine digne du titre de « Home Sapiens de sexe féminin ». Et franchement, ce genre de nana, leur smartphone, je leur ferai bien bouffer après leur avoir ligoté les mains dans le dos.
J’ai donc téléchargé quatre ou cinq applis. Je dis souvent qu’il me faut 15 secondes pour me prendre en photo, mais ensuite un minimum de trois quarts d’heure pour les retravailler. Chacun de ces autoportraits peut faire allégrement quatre allers-retours entre mon smart et mon ordinateur, vu que je fignole chaque détail avec des programmes très différents.
Ce qui m’importe sont d’abord les couleurs. Tout l’arc-en-ciel y passe. Seules les colorimétries proches de la réalité ne m’intéressent pas. C’est aussi la raison pour laquelle je choisis toujours de poser devant des décors forts chargés, voire encombrés, afin de rajouter plus de corps, de matière et d’atmosphère.
Ensuite, les déformations. Je peux soit prendre chaque partie de l’image et lui faire faire le grand huit à ma guise, soit y aller à la louche avec un petit programme automatique qui me permet de grosses distorsions dont ressortent de manière complètement surréalistes les tons et les formes.
Sans doute y a-t-il un peu de narcissisme dans ma démarche, mais celui-ci ne concerne pas les traits de mon visage. J’essaie de transmettre des humeurs, des sentiments…
Bref, un peu de mon âme dans des allégories tarabiscotées, dans des images où le fond prévaut mille fois sur la forme. Et je dois avouer que si cela me passionne, c’est parce durant ces moments, je me sens pousser des ailes de dessinatrice un peu loufdingue.
Je sais que ce nouveau dada est loin de faire l’unanimité, j’ai déjà essuyé des remarques acerbes et très ironiques… Mais quelle importance ?
Mes autoportraits ne sont pas certes ni vrais, ni réalistes, mais ils demeurent rigoureusement authentiques.
Car c’est mon cœur et mon esprit que je dépeins…