Supermarché La Louve, le dernier né de la conso alternative

credit photo Compte FB la Louve

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Aurélien Acquier, ESCP Europe and Alban Ouahab, ESCP Europe

C’est une première en France : La Louve, un supermarché coopératif et participatif détenu par ses clients, ouvrira ses portes dans le XVIIIe arrondissement de Paris à l’automne 2016.

Ce projet coopératif peut-il apporter des réponses aux enjeux de l’économie collaborative, souvent accusée de distribuer inéquitablement la valeur entre les plateformes d’intermédiation et leurs utilisateurs ?

L’économie collaborative : après les promesses, le temps des critiques

Dans le champ hétérogène de l’économie collaborative, certaines plateformes, qui incarnaient il y a peu des modes de consommation alternative, sont désormais l’objet de critiques de plus en plus vives.

Airbnb, Uber ou BlaBlaCar sont sans doute les exemples les plus emblématiques de ces structures qui ne possèdent pas leurs actifs, mais se contentent de mettre en contact offreurs et demandeurs pour organiser une prestation de service (ici logement ou transport) entre particuliers.

Les critiques sont multiples : en externalisant presque tous leurs actifs, elles se défaussent sur leurs utilisateurs de toute forme de responsabilité en cas de problème, elles précarisent la relation de travail, et accaparent une part disproportionnée de la valeur économique au détriment de leurs utilisateurs, tout ceci sous fond d’optimisation fiscale.

Pour ses détracteurs, cette économie de plateforme incarne une logique de prédation et une forme de supercapitalisme libéral, aux antipodes de l’idéal de collaboration promu par les chantres de l’économie collaborative.

Face à ces enjeux, l’économie collaborative est à la recherche de schémas de gouvernance alternatifs.

Lors de la dernière édition du Ouishare Fest, le coopérativisme de plateforme était ainsi évoqué comme une voie possible pour donner son plein potentiel réformiste à l’économie collaborative. Le coopérativisme peut-il vraiment servir de base réformiste ? Éléments d’analyse à travers le projet de La Louve.

Le coopérativisme de plateforme en discussion au Ouishare Fest 2016.

Un projet aux origines new-yorkaises

La Louve, se présente comme « le premier supermarché coopératif ET participatif de France ». Il existe dans hexagone des supermarchés coopératifs depuis de nombreuses années et les premières coopératives apparaissent dès le XIXᵉ.

Toutefois, les coopératives en général, et les supermarchés coopératifs en particulier, effectuent une distinction claire entre travailleurs coopérateurs et les clients/consommateurs, qui sont externes à l’initiative.

C’est sur ce point que La Louve innove. Son principe est relativement simple : seuls les membres-coopérateurs peuvent y faire leurs courses et bénéficier ainsi de prix estimés inférieurs de 20 à 40 % à ceux pratiqués par la grande distribution. En contrepartie, ils s’engagent dans la gestion du magasin, à hauteur de 3 heures par mois.

Ce projet, en maturation à Paris depuis 2011, s’inspire du modèle de la Park Slope Food Co-op lancé en 1973 à Brooklyn.

Recherchant des produits sains et une alternative au système de distribution traditionnel, des habitants du quartier, mus par les idéaux communautaires de la contre-culture hippie, décident de créer une coopérative alimentaire.

L’idée était que les habitants du quartier travaillent librement et collectivement pour faire fonctionner la coopérative. Quarante ans plus tard, la coopérative compte plus de 16 500 membres. Victime de son succès, elle est aujourd’hui contrainte de recruter ses nouveaux adhérents sur liste d’attente. Le temps d’attente en caisse dépasse parfois la demi-heure le week-end.

Une idée qui traverse l’Atlantique

En France, l’histoire démarre en 2010, quand deux New-Yorkais vivant à Paris – Tom Boothe et Brian Horihan – souhaitent dupliquer le modèle pour disposer de produits de qualité à des prix raisonnables.

Mais compte tenu de la complexité du projet et du montant des investissements nécessaires (notamment en termes de locaux dans cette zone parisienne où la pression immobilière est très forte), la naissance de La Louve est le fruit de plusieurs années de maturation.

Une association des « amis de La Louve » est d’abord créée en 2011 pour réfléchir au lancement du projet, puis un groupement d’achat pour tester des produits. Progressivement, des coopérateurs rejoignent le projet en investissant les 100 € de parts nécessaires pour devenir membre-coopérateur.

Malgré plus de 2000 inscriptions et une campagne de levée de fonds sur Kiss Kiss Bank Bank, les sommes collectées restent largement insuffisantes pour financer le lancement d’un tel projet.

Des négociations sont donc entreprises avec des banques ainsi que les pouvoirs publics (mairies de Paris et du XVIIIe arrondissement), et des programmes de financements tels que Paris Initiative Entreprise, France Active et le programme « Investissements d’avenir ».

En 2015, la coopérative réunit 1,5 million d’euros de capital et un local de 1450 m2 est trouvé, le bail signé et les travaux démarrent, parfois réalisés par les coopérateurs eux-mêmes. L’ouverture est aujourd’hui prévue à l’automne 2016.

Vidéo de présentation de La Louve (2013).

Réduire les coûts…

D’un point de vue économique, la structure de coût particulière doit permettre à La Louve de pratiquer des prix moins élevés que dans les circuits de distributions conventionnels.

Ainsi, les membres sont « captifs », ce qui limite les frais de marketing ou de publicité au recrutement de nouveaux sociétaires. De même, chaque sociétaire contribue à l’activité du magasin à hauteur de 3 heures par mois (cela peut consister à remplir les rayons, tenir une caisse, décharger un camion de livraison ou bien encore prédécouper une meule de fromage).

De ce fait, les frais de personnels sont fortement réduits (moins d’une dizaine de salariés sont toutefois nécessaires pour assurer certaines tâches comme la comptabilité).

… au service d’un modèle alternatif

Cet objectif économique ne s’inscrit pas dans une logique capitalistique classique. Tout d’abord, la marge brute réalisée sur les ventes ne sert qu’au remboursement des dettes, au paiement des quelques salaires et au réinvestissement, se distinguant ainsi de la logique de maximisation du profit qui caractérise les enseignes classiques de grande distribution.

Les mairies de Paris et du XVIIIe arrondissement sont sensibles à la dimension sociale voire sociétale du projet. Si le pari de La Louve est tenu, alors des familles modestes de l’arrondissement pourront elles aussi avoir accès à des produits de qualité à prix moindres.

À cela s’ajoute l’envie de recréer du lien entre les individus par l’appartenance commune et le travail collectif. Parmi les groupes de travail en cours, il y en a d’ailleurs un dédié à la « convivialité entre les membres ».

Il s’agit enfin, dans une perspective plus militante, de rendre du pouvoir aux consommateurs, de favoriser des produits sains et locaux et de promouvoir une logique d’engagement, en responsabilisant les membres au bon fonctionnement du supermarché par la mise en commun de cet outil de production.

Sur ce point, l’exemple de la Park Slope Food Co-op est instructif car dès son origine, ce projet se voulait politique. Ainsi, au fil des ans, des décisions fortes ont été prises comme, par exemple, le refus de commercialiser des produits du groupe Coca-Cola.

À Brooklyn, dans les coulisses de la Park Slope Food Co-op. Park Slope Food Co-op

Un supermarché d’un nouveau genre

Comme toute démarche d’innovation, les inconnues sont nombreuses. Parmi les nombreux enjeux managériaux de la démarche, on peut ici exposer quatre séries d’enjeux qui apparaissent saillants à l’heure du lancement du projet :

• Qui rejoindra le « club » ?

Les spécificités de La Louve tiennent à son modèle, à la fois fortement communautaire et très local.

Dans le contexte communautaire des années 1970 aux États-Unis, la question de la composition du réseau n’était peut-être pas centrale. Elle l’est sans doute plus dans le contexte français d’aujourd’hui, d’autant que La Louve est perçue par les acteurs publics comme un levier potentiel d’intégration et de mixité. Dans ce contexte, comment favoriser une réelle mixité sociale et culturelle chez les sociétaires de La Louve ?

• Quelle équation économique ?

D’un point de vue strictement économique, l’un des points sensibles tient au poids des immobilisations/frais-fixes, notamment liées aux locaux. Si les 2 300 coopérateurs se sont engagés à venir travailler tous les mois, il est encore difficile de prédire quel chiffre d’affaires ces derniers vont générer.

Certains coopérateurs, proches de l’esprit du projet, mais pas forcément de l’emplacement géographique du magasin, risquent de ne pas y faire leurs courses quotidiennes. Or, au vu des investissements initiaux et des prêts réalisés (environ 1,5 millions d’euros d’apport en capital), la capacité de La Louve à générer un chiffre d’affaires suffisant sera déterminant pour la survie du modèle.

• Comment faire vivre une gouvernance alternative ?

Avec un flux continu de nouveaux membres, il faudra regarder comment la coopérative réussit à organiser ou maintenir un fonctionnement démocratique. Au-delà du principe “une personne égale une voix”, quelles décisions seront mises au vote ? Comment les sociétaires y participeront ? Quelles relations s’établiront entre les sociétaires bénévoles et les salariés ? Et l’organisation du travail incarnera-t-elle cet idéal démocratique, ou se calquera-t-elle sur l’organisation classique et hiérarchique d’un supermarché ? Sur ce point, même si La Louve a prévu de s’inspirer de sa grande sœur new-yorkaise, beaucoup reste encore à écrire.

L’autogestion peut être une réelle opportunité, mais aussi une source de tensions entre des personnes qui n’attendent pas forcément toutes la même chose de ce supermarché. Les débats sont nécessaires et omniprésents parmi les membres de La Louve mais en cas de désaccord profond, le risque apparaît de voir des membres quitter le projet.

• Quel potentiel de diffusion ?

Le projet de La Louve semble attester d’une demande sociale forte pour ce type de projets. À Paris, alors même que le supermarché n’est pas ouvert, plus de 2000 personnes sont déjà inscrites en tant que coopérateurs.

À New-York, la Park Slope est arrivée depuis longtemps à saturation. Comment dès lors expliquer que le modèle ne se soit pas diffusé plus rapidement aux États-Unis ou à l’international, et qu’il ait fallu plus de 5 ans pour faire naître ce projet à Paris ?

Reportage à la Park Slope Food Co-op (Laura Flanders Show, 2013).

La diffusion ne semble pas constituer un objectif prioritaire pour les promoteurs de ces supermarchés alternatifs. La Louve est donc un projet totalement indépendant même si la Park Slope n’hésite pas à fournir de nombreux conseils aux porteurs du projet à Paris.

Des modèles alternatifs en quête de théorisation

C’est sans doute l’une des grandes limites de ces modèles alternatifs : ils sont réformistes, mais complexes, s’inscrivent dans des territoires, interagissent avec des acteurs locaux. De ce fait, ils peuvent avoir un impact fort mais local, avec un potentiel de diffusion plus limité.

La Park Slope n’a jamais vraiment pris le temps de théoriser son modèle. Les principes de fonctionnement continuent d’évoluer suivant un principe d’essais et d’adaptation permanent selon les votes des membres. Dès lors, chaque nouveau projet de supermarché participatif ne bénéficie que partiellement de l’expérience des précédents.

Si le modèle de La Louve fait ses preuves, il restera à penser des mécanismes de diffusion en dehors des murs du XVIIIe arrondissement parisien. D’autres mairies d’arrondissement auraient fait part de leur intérêt pour soutenir un projet similaire sur leur territoire. En faire la théorisation pourrait permettre d’accélérer le processus. C’est sans doute l’un des rôles sociétaux du mouvement coopératif, mais aussi de la recherche en management.

Aurélien Acquier, Professeur – Stratégie, Organisations et Société, ESCP Europe and Alban Ouahab, Doctorant en Sciences de Gestion, ESCP Europe

This article was originally published on The Conversation. Read the original article.

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8 commentaires

  1. Pourvu que cela prenne, retrouver le chemin du vrai!
    Beaucoup de producteurs de la région lyonnaises viennent sur les marchés, ils ont même leurs marché place Carnot.
    Des boutiques aussi en partenariat avec eux, c’est un peu le même esprit.
    Bonne soirée
    @mitié

  2. C’est super que tu en parles vu que j’ai une amie qui m’en avait parlé en juin dernier (je crois qu’ils avaient organisé un week end de présentation du projet ou quelque chose de ce genre) et j’avais vachement envie de me lancer dans cette aventure… Tu réveilles cette envie

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