Tous les samedis, Yves Carchon, écrivain, nous ouvre son univers littéraire, en nous offrant le plaisir de la lecture d'une nouvelle ou d'une micro-fiction.

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Comment devient-on écrivain

C’est un matin, en prenant son petit-déjeuner, que pour la première fois elle m’a lancé : « Toi, t’as une tête d’écrivain ! » Ah, oui ? Parce que ça a une tête, un écrivain ?

En fait, j’étais livreur à cette époque. Je gagnais donc modestement ma croûte. Mais peut-être plus qu’un écrivain obscur.

Ce matin-là, elle avait commandé des croissants. Je pose ma vespa au bas de son immeuble, monte quatre à quatre l’escalier avant de sonner à sa porte. Elle vient ouvrir, nageant dans son peignoir. Je lui tends ses croissants. « Entrez ! dit-elle. Je cherche la monnaie ! »

Quand elle revient, elle n’est plus en peignoir. Elle porte chemisier à carreaux, ouvert quand même sur le devant, pantalon mi mollet et turban sur la tête, noué coquettement, soulignant une houppe malicieuse, façon Audrey Hepburn. Années 50, en somme.

Justement, on y est !

Ses bras nus me fascinent. Elle est pieds nus aussi. « Voulez-vous un café ? ». — Mais… je dois y aller. « Z’avez bien une minute ? » Et voilà qu’elle me sert une tasse fumante. « Un croissant ? » — Non, merci. Elle boit en me matant.

Ses yeux verts — pers, nous dirait Homère — me scrutent sans ciller. Je m’enfile le café. « Toi, t’as une tête d’écrivain ! T’écrirais pas, des fois ? » — Pas que je sache ! « Alors, tu écriras un jour ! » Elle m’a réglé, m’a raccompagné à la porte.

Sur le palier, j’avais déjà un pied dehors, elle a voulu savoir mon petit nom. — Franck, pourquoi ? « Pour rien ! » — Et vous ? « Moi, c’est Viviane. » — Ah ouais, comme la fée ! « C’est ça ! »

Puis elle a refermé sa porte. Les jours suivants, j’ai eu droit au même scénario. Elle a voulu en savoir plus sur ma vie, mais je n’avais pas de vie. Encore moins de biographie ! Pourquoi diable me tannait-elle avec ses histoires d’écrivain ?

Un beau matin, je lui ai apporté une page, — une minuscule page où s’alignaient mes premiers mots. Elle les a lus, relus, s’est réellement extasiée. « Il faut continuer, Francky ! Vous permettez, n’est-ce pas, ce diminutif vous va bien ! » — Va pour Francky ! j’ai dit.

On peut aussi se tutoyer ! « Approche ! » m’a dit Viviane. Le reste m’a coûté pas mal de lignes, gorgés de mots, au point d’en faire une nouvelle qui, ma foi, se tenait. « Quand je disais que t’étais écrivain ! » a dit Viviane en m’attirant à elle.

 Au fond, il n’y a bien qu’elle qui le pensait. Même encore aujourd’hui, je pense que Viviane exaltait mes écrits

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Une micro-fiction signée Yves Carchon, écrivain, auteur de "Riquet m'a tuer", de "Vieux démons", de « Le Dali noir », et de son nouveau polar « Le sanctuaire des destins oubliés »