Luc Doyelle, auteur de « L’ennui du mort-vivant », nous parle, avec sa plume pleine d’humour, du jour où il a rencontré Virginie Vanos, c’était au cours de l’hiver 54 ou 36…
Vous ai-je parlé du jour où j’ai rencontré Virginie ?
Non ? Quel étourdi je fais ! Laissez-moi rattraper cela.
C’était au cours de l’hiver 54. Ou 36. J’avais crashé mon A380 au beau milieu d’une vaste plaine désertique, en Arizona, à moins que ce ne fût dans la Brie. Mon GPS m’avait subitement lâché après m’avoir enjoint de tourner à gauche après le troisième nuage. Autant dire que j’étais à mille miles de toute civilisation.
Ma mule avait rendu l’âme après trois jours de chevauchée ventre à terre. Là, je vous vois tiquer. Comment ? Que vient faire cette mule à ce stade de l’aventure ?
Sachez que j’avais toujours une mule dans mon zinc. Beaucoup plus utile qu’un parachute, qui lui, ne sert qu’une fois. Le plus délicat avait été de lui apprendre à boucler sa ceinture, mais pour le reste, elle m’avait rendu de fiers services.
Bref, harassé, les pieds en feu, n’ayant ingurgité depuis trois jours qu’un quart de bouteille de génépi et une cuisse de mule, je m’apprêtais à rendre l’âme dont je n’aurais bientôt plus l’usage, lorsque je la vis. Elle rayonnait dans son paréo taillé dans une vieille chambre à air, dansant le charleston, et s’aidant, pour toute musique, de ses doigts qu’elle faisait claquer dans le silence du désert. Derrière elle, un panneau indiquait : Brie-Comte-Robert 3,5km.
Soudain elle me vit, stoppa sa danse endiablée (une danse de sauvageonne est toujours endiablée, l’avez-vous remarqué ?) et vint vers moi.
— S’il vous plait…
Je tendis ma paume ouverte, style « parle à ma main », cela la figea net.
— Je t’arrête tout de suite, je ne sais pas dessiner les moutons.
— Mais je…
— Et les boites à mouton non plus. Donne-moi juste la route pour El Paso, et si tu pouvais me dépanner d’une cannette de Fanta citron…
Je lus la déception sur son visage. En un éclair, j’avais vu au fond de ses yeux tant d’espoir, un mariage pluvieux, un deux pièces à la Courneuve, une mobylette pour aller à l’usine le matin, un pan bagnat dans la poche d’un trench coat élimé.
D’un geste fataliste, elle m’indiqua le nord-est.
— C’est par là, me dit-elle, vous tournez à gauche après Chalautre La Petite, et ensuite c’est tout droit.
Je partis, le cœur lourd. Je marchai trois cents mètres et me retournai. Elle avait repris sa danse lascive (avez-vous remarqué, les danses de sauvageonnes sont toujours lascives, je n’ai jamais compris pourquoi), et m’avait déjà oublié.
J’atteignis El Paso à la tombée de la nuit. Ou peut-être était-ce Soisy-Bouy. J’entrai dans le premier saloon et m’enfilai une demi-bouteille de bourbon afin de faire passer le goût du génépi.
Je ne l’ai jamais revue. Oh, elle avait bien essayé de m’envoyer un ou deux textos, mais la magie n’était plus là. Je préférais garder d’elle cette image de sauvageonne exécutant à merveille cette danse aérienne (avez-vous remarqué… euh, non, rien).
Luc Doyelle
Que cette photo est belle
Luc a autant de talent en tant qu’écrivain que photographe
Joli texte !
Tout à fait d’accord, et qu’on puisse parler d’une rencontre ainsi est assez magique
J’ ai dans l’ idée qu’ on doit prendre plaisir à lire ce récit loufoque
oui la plume est très intéressante