Le traducteur est un auteur aussi

Edith Soonckindt est notamment la traductrice d’ OLIVER ou la Fabrique d’un Manipulateur, un suspense écrit par Liz Nugent publié aux éditions Denoël. Aujourd’hui elle prend la parole dans cette tribune pour défendre son métier « Le traducteur est un auteur aussi »

Edith Soonckindt

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Le traducteur est un auteur aussi

Edith Soonckindt

A propos des qualités nécessaires à l’exercice de ce métier, il convient d’accepter que le traducteur est un auteur à part (presque) entière. Les journalistes peinent à l’admettre qui omettent son nom une fois sur deux en moyenne, comme si le texte s’était traduit tout seul par l’opération du Saint-esprit, et certains éditeurs (pas parmi les meilleurs, cela étant) n’en font aucun cas et traitent leurs traducteurs comme la dernière roue du carrosse.

Un éditeur furieux ne s’est-il pas exclamé un jour – où je bataillais pour faire réintégrer du texte qui avait été abusivement supprimé ! – « Mais de quoi vous mêlez-vous, vous n’êtes jamais que la traductrice ! »

Un site d’éditeur sur deux ne nomme pas le traducteur lors de la présentation d’un livre étranger non plus. Il existe même une maison d’édition qui ne les paye carrément pas – pas plus que ses auteurs, d’ailleurs – si j’en crois un article du Monde lu récemment !

A côté de cela, des éditeurs sérieux et respectueux comme Rivages ou le Mercure de France font apparaître le nom du traducteur sur la couverture de leurs ouvrages traduits d’une langue étrangère, au même titre que celui de l’auteur. L’un d’entre eux, nouveau venu dans la profession (Piranha), offre même au traducteur de se présenter en quelques lignes sur le rabat intérieur de la couverture, ce qui est suffisamment rare pour être signalé !

Mieux encore, il convie ses traducteurs aux réunions éditoriales, du jamais vu dans ce milieu ! L’on ne traduit pas pour être mis dans la lumière, mais la juste reconnaissance du travail accompli est toujours agréable à savourer, l’espace d’un fragment de temps. Quant aux journalistes, s’ils prenaient conscience de l’impact de leurs commentaires ès traduction, quand ils sont positifs, sur une carrière, ils s’y adonneraient plus souvent. C’est grâce à un article élogieux de Pierre Lepape (Le Monde des livres) sur deux traductions d’Aidan Mathews effectuées par mes soins que mon premier roman(Le Bûcher des anges, Hors commerce 2002, Paris – Prix SGDL du Premier roman ) a été publié !

Mais revenons-en à mon argument premier, qui est que le traducteur est un auteur aussi. Outre le fait qu’il est l’auteur à part entière du texte français – pourquoi sinon serait-il payé en droits d’auteur ? – il doit par ailleurs posséder les qualités de ce qui constitue un (bon) auteur : à savoir une maîtrise du style tout en sachant s’adapter à celui de l’auteur qu’il traduit ; un bon vocabulaire, ou alors un bon dictionnaire des synonymes ; une palette de différents lexiques – la littérature peut vous emmener vers les rivages de la peinture ou de la musique, mais aussi vers ceux des drogues, du droit ou des sciences – et une bonne connaissance de la grammaire (ah, ces concordances de temps !).

Il ne devra pas faire montre d’imagination ou de créativité au niveau des idées ou de la trame narrative, cela c’est certain, mais il lui faudra en déployer pour choisir telle solution plutôt qu’une autre, ou encore pour en trouver une tout court face à une traduction en apparence « impossible ». Tout est traduisible, au bout du compte, c’est un mythe de prétendre le contraire, il convient juste de se donner la peine, parfois, de beaucoup réfléchir et de réinventer. Il y a toujours moyen de glisser une explication culturelle  entre deux mots. Paradoxalement, l’imperfection et l’inexactitude nous guettent à chaque coin de page (elles sont si nombreuses) si l’on est honnête, mais cela fait partie des risques et frustrations du métier.

Un bon traducteur a le respect du travail bien fait (c’est sa carte de visite), et il se doit d’être auteur pour produire des phrases non seulement stylistiquement correctes mais également écrites dans un bon français, une langue qui coule sans heurts ni lourdeurs d’expression, et surtout sans contamination de la langue source, d’où l’importance de la lecture d’ouvrages français comme guide préalable, afin de s’imprégner de ce qui sonne français, et d’être vigilant sur ces traductions trop fidèles qui n’offriraient aucun son particulier à part celui du calque.

Or, pour pouvoir se fondre dans le style d’un autre auteur, il faut une âme, donc une sensibilité, ce n’est pas possible autrement, la difficulté étant que l’on n’a pas forcément la même que celle de l’auteur que l’on traduit. Mais, en un sens, c’est là que l’exercice présente un défi stimulant. Il faut par ailleurs savoir se comporter en ombre car c’est le style et les mots de l’auteur traduit qui doivent apparaître, pas vraiment les nôtres.

Néanmoins, il faut posséder une âme pour pouvoir percevoir celle de l’autre et la traduire, au sens littéral du terme, au mieux. Donc le traducteur est un auteur, un auteur de l’ombre, certes, dont les mots sont les siens tout en ne lui appartenant pas tout à fait, mais c’est un auteur tout de même. C’est lui qui choisit les mots, agence les phrases, leur imprime le rythme qu’elles doivent posséder, celui du texte d’origine.

Certes c’est un auteur en liberté très surveillée, un jongleur intime devant à la fois respecter et créer, voire innover, mais c’est un auteur, qui doit juste savoir s’effacer quand c’est nécessaire, c’est-à-dire en permanence, antithèse par essence du travail d’auteur, ce qui n’est pas le moindre paradoxe de ce métier !

Bref, c’est tout le contraire de Baudelaire ou Yourcenar ne traduisant pas de Quincey ou Woolf en sachant se fondre dans le décor, mais en faisant du Baudelaire ou du Yourcenar tout en traduisant, ce qui est du pur sacrilège et pas vraiment la marque d’une bonne traduction.

Je ne risque rien à les dénoncer, ça l’a déjà été maintes fois et tous deux sont morts et enterrés. Cela prouve simplement, une nouvelle fois, que n’est pas traducteur qui veut, un auteur moins que quiconque, et que bien posséder une langue source et sa langue maternelle n’offre aucune garantie que l’on saura bien traduire, autrement dit se muer en ombre intelligente ; un peu comme un musicien ou un danseur qui s’expriment, certes, mais expriment surtout le talent de celui ou celle qu’ils sont payés pour interpréter

Un traducteur n’a pas d’ego, c’est une maxime à adopter d’office. Puissent ces quelques lignes avoir fait la preuve des difficultés d’un métier qui, par ailleurs, a tout du sacerdoce tant il est difficile d’écrire en s’oubliant…

Edith Soonckindt

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Après l’article sur la journée internationale de la traduction j’ai poursuivi ma démarche pour la réelle prise en compte de ce métier sans lequel nous n’aurions pas accès à la littérature étrangère en donnant la parole à Edith Soonckindt. Sa tribune nous montre combien un traducteur est un auteur aussi.

Votre traduction

  • Le traducteur est-il un auteur aussi pour vous ?
  • Comment mettre ce métier de l’ombre en lumière ?
  • Le blogueur est-il un auteur ?

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44 commentaires

  1. Oui je pense aussi que le traducteur est un auteur. On s’en rend surtout compte lorsqu’un livre est mal traduit et que le style n’est pas fluide, ou lorsqu’on lit ensuite en VO et qu’on découvre des nuances qui ont été éludées…
    Il me semble que certains bloggeurs sont des auteurs, du moins ceux qui ont un style, et là aussi on s’en rend compte lorsqu’on a envie de découvrir chaque jour ce qu’il vont nous raconter et surtout comment ils vont le faire. Quand on a envie d’aller voir le dernier article de Bernie par exemple. Ou d’aller explorer ce qu’il a écrit avant qu’on ne découvre son blog, pour ne rien louper…
    Amitiés

  2. Oui un traducteur est aussi un auteur. Il fait ressortir le climat dans lequel l’auteur a cadré son livre, mais pas que. Il a aussi en charge l’atmosphère du roman, le langage des intervenants, la poésie des mots ou leur brutalité. Oui, gros respect pour les traducteurs, auteurs de l’ombre.

    • Tout à fait d’accord. Et il y a l’esprit d’une époque aussi qui compte. On ne peut plus traduire Shakespeare comme François-Victor Hugo, ni même Kafka comme Vialatte. Sur mon blog j’essaie de mettre presque toujours un lien sur le nom du traducteur (son site officiel, une référence, voire son compte FB).

  3. Bel article !
    Oui, il est un auteur. Les écrivains français très médiatisés ne parlent que de leur traducteur américain (slapétage oblige)… mais j’ai entendu des auteurs étrangers (Miloszewski, Rudis, et les poètes aussi) en parler. Pour les blogueurs, ça dépend des blogs.

  4. C’est un très bel article, très bien écrit… Rares effectivement sont les traducteurs qui savent s’effacer tout en ayant leur style ! Les meilleures traductions sont pour moi celles où je ne « vois » pas le traducteur à travers les lignes du livre. Le blogueur est aussi un auteur dans la mesure où il acquiert un style qui lui est propre. Bonne semaine, Bernie !

  5. Agrémenté de formules à retenir telles que « c’est un auteur en liberté très surveillée, un jongleur intime », « se muer en ombre intelligente » ainsi que d’une maxime à faire sienne impérativement « un traducteur n’a pas d’ego, » voilà un excellent article ponctué d’observations très justes qui se fondent sur une longue et riche expérience de la traduction et Le talent de traductrice d’Edith Soonckindt est impressionnant. Puisse-t-il inspirer et motiver celles et ceux qui, comme elle, se sont engagés dans ce métier « qui, par ailleurs, a tout du sacerdoce. » !

  6. Oh, Bernie, merci pour ce magnifique partage!! Tout ce qu’elle dit est tellement vrai!!! Ayant déjà travaillé dans la traduction, je ne peux qu’approuver et appuyer tout ce qu’elle affirme! Et puis en tant que lectrice passionnée de littérature étrangère (américaine surtout), je sais toujours apprécier le travail du traducteur: je remarque tout de suite si les mots sont bien choisis, les phrases bien tournées, l’ambiance retranscrite et le ton respecté.
    Merci encore mille fois pour ce post. A bientôt!

  7. J’aimerais que les auteurs mettent en valeur leurs traducteurs qui nous font aimer ou pas leurs livres. Cette phrase est très vraie : « Un traducteur n’a pas d’ego, c’est une maxime à adopter d’office. Puissent ces quelques lignes avoir fait la preuve des difficultés d’un métier qui, par ailleurs, a tout du sacerdoce tant il est difficile d’écrire en s’oubliant… »
    C’est pour cela que je mentionne toujours les traducteurs sur mon blogue

  8. Salut
    Je pense que les auteurs peuvent répondre sur la question des traducteur sont des auteurs mieux que moi.
    Pour ma part le blogueur est un auteur, du moins celui qui écrit.
    Bonne journée

  9. Since a blog is an online journal I think that the person doing it is an author of sorts. I used to do some translations from French to English in the 80’s when I worked as a receptionist. (written).

  10. J’ai toujours pensé que le traducteur était une personne aussi importante que l’auteur avec , en plus , un défi difficile , celui d’intégrer l’ esprit de l’auteur.
    Il faudrait que le nom de l’auteur soit toujours noté sur les livres.
    Un billet que j’aime beaucoup.
    Belle soirée Bernie

  11. Très belle tribune !
    Personnellement, je pense que je ne pourrais pas exercer le métier de traducteur mais je les respecte tout à fait car, sans eux, il y a tellement de livres que je n’aurais pas pu découvrir..

    • Il faut lire trop de fois la même histoire à mon gout.. ( au moins 3 fois je suppose, 1 fois pour le découvrir, 1 fois au fur et à mesure pour le traduire et 1 autre fois pour relire la traduction) c’est trop..
      Puis faut être parfaitement bilingue ( ou plus ) et c’est pas mon cas

  12. Ah.. la traduction : c’est un travail très difficile, je pense…
    Je me suis parfois demandée si c’etait pas dans mon intérêt de me lancer dans ce métier… et puis boh… cette « apparente » (je souligne ce mot) absence de créativité, m’a toujours un peu refroidie.. je l’avoue.

  13. Je trouve que les traducteurs font un gros travail qui demande beaucoup d’humanité. Il faut comprendre l’auteur, ce qu’il pense, ce qu’il est. Leur travail est souvent sous-estimé. Merci pour cette tribune fort intéressante qui vient redonner ses lettres de noblesse à un métier essentiel.

    • Bonjour Marie je suis d’accord avec toi, par contre je trouve que ce métier n’a pas de lettres de noblesses. Il serait naturel pour moi que le nom du traducteur apparaisse sur la couverture. Il reste beaucoup de chemin à faire

  14. Article très intéressant, merci de réitérer encore votre intérêt pour la traduction! Cela fait vraiment plaisir de voir un peu les traducteurs mis à l’honneur!
    Jennifer

    • Il me semble qu’en nous mobilisant les traducteurs auront leur vraie place, je suis un adepte de la grande librairie et je m’attache à leurs adresser un tweet si lorsqu’il y a un auteur étranger le traducteur n’est pas cité et ils y sont attentifs.

  15. Bonjour Bernie,
    je ne me fais pas à cette version de blog, rencontrée ailleurs aussi. Il est indéniable que les traducteurs-trices sont des auteurs à part entière. C’est normal qu’ils figurent sur la couverture.
    Bonne journée et fin de semaine
    @mitié

    • Bonjour Covix, cette version permet de mettre plus en avant les photos et possède un menu assez évolué. Je pense que tu t’y feras (sans forcément l’apprécier. concernant les traducteurs je te suis totalement ils devraient figurer en page de couverture.

  16. Rhaaa, ça fait bien longtemps que je n’avais pas lu un article aussi pertinent ! Il y a tellement de bouquins qui m’ont déçue parce qu’ils étaient mal traduits ! Donc oui, le traducteur est bien un auteur à part entière, et il a une lourde responsabilité (d’autant plus quand on connait les délais serrés qu’on leur donne pour traduire un bouquin !) ! Et non, n’est pas traducteur qui veut, c’est évident, et ce métier devrait être davantage reconnu ! Ce témoignage est extrêmement juste, merci !

    • Bonjour Marie, ton commentaire me fait très plaisir. Mes tribune sont l’opportunité d’avoir des articles pertinents sur des sujets que je n’aurais pas abordé, merci à toi

  17. le travail du traducteur doit être reconnu, un bon traducteur se colle à l’auteur et ce n’est pas toujours évident, son nom devrait obligatoirement apparaître sur la couverture du livre , certains blogueurs sont des auteurs, je lis régulièrement les chroniques d’Aileza ,c’est une fille pleine de talent.
    bonne journée
    danièle

  18. Pour moi, le traducteur doit se mettre à la place de l’ écrivain, et suivre son raisonnement, et on comprend dès lors que ce n’ est pas si facile !
    IL faut déjà que son nom soit en page de garde, et qu’ on lui laisse les micros dans les pays de la langue qu’ il traduit.
    Blogueur écrivain, il doit bien y en avoir
    Bonne journée
    Amitié

  19. Reconnaitre le travail réel du traducteur est bien sûr indispensable, et mentionner ‘traduit par’ est normal.
    Cependant, il m’arrive de faire de la traduction, et je ne me considère pas comme auteur. Bien sûr, la traduction est un vrai travail, elle est là pour restituer le sens, l’esprit du texte, mais, les idées, l’imagination ne viennent pas du traducteur.

  20. Bonjour
    J’ai remarqué que ton design avait changer, j’aime bien.
    J’ai bien aimer cet entretien car je ne connaissais pas l’univers d’un traducteur.

    • merci pour le design, il faut essayer d’évoluer. Très content de t’avoir ouvert à ce milieu et la prochaine fois que tu liras un livre d’un auteur étranger je suis certain que tu regarderas le nom du traducteur.

  21. Bonjour, il m’est arrivé de traduire mais je ne traduisais pas mes oeuvres et je ne me considérais pas comme auteur. Il suffit d’écrire traduit par untel… Ainsi le nom apparaîtra. On est auteur de notre blog après tout dépend de ce qu’on écrit sur son blog ! Bon weekend, je rentre demain en région parisienne.

  22. Bonjour, il m’est arrivé de traduire mais je ne traduisais pas mes oeuvres et je ne me considérais pas comme auteur. Il suffit d’écrire traduit par untel… Ainsi le nom apparaîtra. On est auteur de notre blog après tout dépend de ce qu’on écrit sur son blog ! Bon weekend, je rentre demain en région parisienne.

    • Oui mais « il suffit » est loin d’être une réalité, dans beaucoup d’ouvrages il n’est pas évident de trouver le nom du traducteur.

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