"Le tombeau du poète inconnu", une micro-fiction signée Yves Carchon, qui vient également de publier "Le sanctuaire des destins oubliés" aux éditions Cairn.
Le tombeau du poète inconnu
Quand je serai occis et que mon corps sera rongé par la vermine, on chantera dans les écoles la geste forcenée du poète que je fus.
Obscur de son vivant, comme tout poète se doit, mais bien vivant une fois HS. Pour couronner le tout, maint écolier me maudira en psalmodiant mes odes, s’avisant sur le tard que je n’étais qu’un imposteur.
Le panthéon des Lettres regorge d’imposteurs.
J’en serai, c’est certain ! J’aurai peut-être l’insigne honneur de contempler du haut de ma nuée ma statue érigée dans un square ombragé, souillée rituellement par la fiente de pigeons, devant laquelle un soir une jeune fille s’arrêtera, songeuse.
Avec un peu de chance, elle me lira, aimera mes vers et distraira ma mort en s’endormant sur mes sonnets. J’aurais bien sûr connu, comme de coutume, le purgatoire qui sied dit-on à tout poète fraîchement mort.
Puis de mes cendres, je renaîtrai.
On parlera de moi dans les journaux avant d’atteindre l’oubli fécond des grands classiques. Je pourrais dire alors que je serai bien mort, bien momifié quand seuls les exégètes dépouilleront mes œuvres – comme les vers mes chairs – et qu’il sera grand temps pour eux d’exhiber mes vertus.
Vertus insignifiantes, faut-il le dire, mais ces vertus sauront nourrir les élucubrations d’un thésard boutonneux à qui l’on ne manquera pas de décerner un jour la croix de la Légion d’honneur.
Patville, un feuilleton signé Yves Carchon, écrivain, auteur de "Riquet m'a tuer", de "Vieux démons", de « Le Dali noir », et de son nouveau polar « Le sanctuaire des destins oubliés »