Tu es louée jusqu’au mois d’août ? — Oui, après quoi, monsieur part en vacances ! « En vacances de quoi ? ». "Loué", une micro-fiction, signée Yves Carchon.
« Loué jusqu’au mois d’août ».
C’était écrit sur l’écriteau.
Enfin, l’écriteau qu’elle portait à son cou, comme nous tous, à l’époque. Moi, à ce moment-là, j’étais justement libre.
Je veux dire sans attaches et sans qu’aucun n’ait cherché à louer mes services.
Quand je dis « mes services », qu’on me comprenne bien : je n’étais assigné à personne. Pas même à une famille, ou à une vieille personne. J’étais vacant. Quand serai-je à nouveau loué ?
Je ne le savais pas. Mystère. Elle, en revanche, m’apprit qu’un potentat local l’avait louée, non seulement pour s’occuper de son ménage et faire ses courses, mais aussi pour son « hygiène personnelle ».
Enfin, vous comprenez… — Tu es louée jusqu’au mois d’août ? — Oui, après quoi, monsieur part en vacances ! « En vacances de quoi ? » — Je me demande, a-t-elle soufflé en m’implorant de ses deux yeux. J’ai bien compris ce qu’elle voulait : que je la loue.
Peu importait ce qui pourrait alors lui arriver, nous arriver, si l’on prenait l’envie de défier la Cité et ses lois. — Attends jusqu’à fin août ! ai-je tenté. « J’en peux plus », qu’elle m’a dit.
Dois-je dire que ce fut bien sa détermination qui l’emporta. Moi, j’aurais rien tenté ; elle, si, hélas. — Arrache-moi c’te putain d’écriteau ! » Ce que je fis, l’entraînant loin des caméras qui tournaient sur leur axe, sachant que nous serions pris bientôt en chasse et que très vite on ne donnerait pas cher de nos vies.
Mais nous courions, main dans la main, avec en tête l’illusion d’être libres. Tant libres, qu’elle s’arrêta devant un immeuble délabré et me poussa dans un trou noir d’allée. Uniquement pour m’embrasser.
Une microfiction signée Yves Carchon, écrivain, auteur de "Riquet m'a tuer", de "Vieux démons" et de « Le Dali noir »