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Peter Saul. Pop, Funk, Bad Painting and More

Cette exceptionnelle rétrospective, première exposition dans un musée en France depuis 1999, de l’artiste américain Peter Saul couvre la carrière d’un des tout derniers contemporains du Pop Art, depuis la fin des années 1950 jusqu’à aujourd’hui.

peter saul

Peter Saul. Pop, Funk, Bad Painting and More

« Peter Saul. Pop, Funk, Bad Painting and More » rassemble, avec une ampleur inégalée, un peu plus de 90 œuvres (peintures, arts graphiques, etc.), pour certaines inédites, ainsi qu’un ensemble d’archives.

Rencontre avec Peter Saul

Avoir pu échanger avec Peter Saul est certainement pour moi le point d’orgue de la conférence de presse du jeudi 19 septembre. En toute simplicité, lui qui se définit comme un outsider, a accepté que je le prenne en photo. C’est une chance exceptionnelle de rencontrer cet artiste, né en 1934, à d’avoir pu immortaliser cet instant par un selfie.

bernard arini peter saul

Peter Saul n’a cessé jusqu’à aujourd’hui de nous révéler les enjeux les plus forts du monde et de l’art, ce qui en fait encore actuellement l’un des peintres majeurs du XXe et du XXIe siècle et l’un des plus influents sur la jeune scène artistique.

Un vrai parcours de sa vie

Cette rétrospective permet de découvrir sa manière exubérante et colorée de figurer l’histoire et la culture du monde et des États-Unis, y compris lorsqu’il s’attache à réinterpréter l’histoire de l’art, comme dans la salle de l’exposition consacrée au « Musée de Peter Saul », un musée libre, drôle et décalé.

Ce parcours commence étonnamment à Paris, à l’orée des années 1960. C’est là que l’artiste réalise ses premières œuvres reproduisant des super-héros, des comics et des objets quotidiens de l’American Way of Life. Il ne fera jamais de comics, et pourtant il avait été sollicité.

A des milliers de kilomètres de l’épicentre du Pop Art auquel il se défend d’appartenir tout en partageant ses thèmes,

Peter Saul, dont le travail exprime justement la quintessence de l’art américain, en offre un versant davantage critique, questionnant le modèle consumériste et impérialiste.

À son retour aux États-Unis en 1964, il rejoint la Californie, foyer d’un art cette fois-ci « Funk » dans lequel son œuvre picturale, pop et surréaliste, trouve un écho. La peinture de Peter Saul se révèle être à la fois unique et anticipatrice des grands courants de la peinture. Pop différemment, Funk éclatant, son art est une nouvelle manière de faire de la peinture d’histoire avec les couleurs et les clashs d’aujourd’hui, tout comme sa manière de réécrire les chefs d’œuvre de la peinture préfigure la Bad Painting et son succès des années 1980. C’est d’ailleurs dans les années 80 que son style a atteint sa maturité, et qu’il perdure jusqu’à aujourd’hui.

Humour, attraction et répulsion

Il a également toujours été attentif au chaos du monde. La guerre du Vietnam, les luttes pour les droits civiques,  l’Amérique des présidents (de Ronald Reagan à Donald Trump), l’écologie, la malbouffe, la cigarette, sont entre autres des thématiques fortes qu’il a abordées dans son travail. Peter Saul a précisé qu’il n’a rien peint concernant Barack Obama, ce président ne pouvait l’inspirer comme l’a fait Ronald Reagan par le passé, ou le fait Donald Trump actuellement. Par ailleurs, il se refuse à peindre une toile évoquant le 9-11 (11 septembre).

 

La soi-disant bonne peinture est comme une parade de penseurs intelligents. Je
suis content d’être en dehors de ça. Traitez-moi de cinglé si vous voulez

 

« Peter Saul by Saul Ostrow », BOMB, n° 104, été 2008, traduction de l’auteur.

Le parcours de l’exposition

1. Un Pop US à Paris

Peter Saul naît en 1934 à San Francisco, en Californie. Après un passage à la California School of Fine Arts, il étudie de 1952 à 1956 à la Washington University School of Fine Arts, où il enrichit déjà d’éléments Pops les toiles qu’il réalise sous l’œil réticent de ses professeurs, désireux, selon ses propos, d’en « rehausser le réalisme ».

Au cœur des années 1950, le jeune artiste s’octroie en effet la liberté de rompre avec les valeurs de l’expressionnisme abstrait, les notions d’originalité et d’unicité ne le séduisent déjà plus, et il leur préfère l’entretien du lien entre l’art et la vie. Depuis Paris, où il s’installe après ses études, il entre en contact avec l’artiste surréaliste Roberto Matta – qui lui fait rencontrer Allan Frumkin, son futur galeriste – et il s’inspire des comics du magazine Mad, dont les planches colorées et teintées d’ironie l’enchantent. Son intérêt croissant pour la société de consommation et son rapport à la banalité, illustré par l’emploi des couleurs vives des comics, le rapprochent alors du Pop Art sans qu’il ne s’y identifie totalement.

Les pages du magazine LIFE lui offrent l’inspiration, et il en tire ses premières peintures de réfrigérateurs, les Icebox dans lesquels s’amoncellent dollars, armes, phallus et aliments, symboles de l’opulente « American Way of Life ».

Son Pop est violent, vulgaire, et l’un des premiers à attaquer le versant sombre de la nouvelle vie occidentale et ses figures populaires. Il met en scène Superman en super héros emprisonné, ou Donald Duck et Mickey Mouse pris dans un chaos indescriptible.

Il se moque, enfin, de l’argot, à la manière de son contemporain H.C. Westermann, en l’employant de manière récurrente et excessive dans ses œuvres, inscrivant çà et là les titres de ses œuvres, ou les noms des personnalités qu’il représente, dans un orthographe approximatif emprunté au fameux slang – comme un énième pied-de-nez à la culture populaire de son propre pays.

Il est intéressant de remarquer que durant cette période Peter Saul a un rapport ambivalent avec la scène artistique américaine comme avec la scène artistique parisienne. Malgré des affinités possibles de pensée, Peter Saul n’a finalement que peu de contact avec eux, bien qu’il expose à quelques reprises (Galerie Denise Breteau, Salon de Mai) et qu’il fasse l’objet d’attentions critiques dès 1962 et sa première exposition à la galerie Breteau (Michel Ragon).

Dans cette partie de l’exposition, en plus des peintures, vont être présentés de rares dessins de 1958, des archives documentaires, des articles de presse et des vues des expositions de cette période parisienne de Peter

2. Funk

En 1964, après un passage par Rome, Peter Saul rentre aux États-Unis, en Californie, où il mêle sous plusieurs influences (du Surréalisme à l’Expressionnisme abstrait) les couleurs sales, dissonantes et les distorsions d’échelle qui le relient à la Funk de San Francisco.

En 1967, il participe d’ailleurs à l’exposition fondatrice du Berkeley Museum, Funk : avec ses rares sculptures (Relax in the Electric Chair (Dirty Guy), 1966, ou Man in the Electric Chair, 1967), il présente Saïgon (1967), image de l’influence du courant sur son art. Il s’agit de faire interagir ses toiles avec leur contexte, en particulier social : le lien entre art et politique devient à ce titre un des ressorts de son travail.

Il aborde sans concession les sujets sensibles qu’il traite au Day-Glo, peinture synthétique fluorescente, offrant à ses œuvres un aspect velouté, doucereux, appliqué au service d’une séduction d’autant plus puissante qu’elle flirte avec le vulgaire.

Sous son pinceau, le rêve américain se transforme et laisse exprimer le senti- ment de révolte qui meut la contre-culture, soulevée contre le consumérisme et la politique américaine depuis la Guerre du Vietnam et les droits civiques.

La peinture de Peter Saul n’a pas peur de heurter ni la bonne conscience bourgeoise, ni le bon goût. Conteur subversif du conflit vietnamien, Peter Saul exécute de véritables peintures de guerre, hantées par d’innocentes victimes torturées et assassinées. Le traitement coloré et cartoonesque des corps meurtris souligne l’absurdité de la violence des conflits qui entachent l’époque.

Peter Saul dresse également le portrait des figures des luttes à mener à l’image de la militante Angela Davis.

À travers ses provocations et la lecture psychologique à laquelle elles invitent, il cherche à faire prendre conscience à chacun de la « carapace sociale » (social skin) derrière laquelle nous protégeons notre bien-pensance, et dénonce l’hypocrisie de la société : il n’hésite pas à revendiquer une certaine irrévérence, qui se veut plus percutante.

Accepter de « ne pas être choquant, c’est accepter d’être un meuble », dit-il.

Fort de ces influences, il se félicite de la plus grande « combativité » de ses œuvres, encore plus engagées que les précédentes. Dans cette section, outre des peintures, des vues de l’exposition Funk seront présentées ainsi qu’un exemplaire du catalogue.

3. Bad Painting

À partir du milieu des années 1970, l’intérêt porté par Peter Saul pour l’histoire de l’art se reflétait dans la production d’œuvres d’art de plus en plus violentes, voire dérangeantes, et dans la refonte de plusieurs chefs-d’œuvre.

Détracteur de « bonne conscience », il utilise le mauvais goût comme une arme depuis le début des années 1960. Au début des années 1980, annonçant l’irrévérence et la culture de Bad Painting, il semblait plus déterminé que jamais à saper les fondements du « politiquement correct ».

La manière dont, à la fin des années 1970, Peter Saul revient sur l’histoire de l’art annonce le grand mouvement de retour à une peinture à la fois libre et cultivée qui est l’une des grandes lames de fond des années 1980, « A New Spirit in Painting » selon le titre de la fameuse exposition.

Cependant, inclassable, Saul considère une nouvelle fois qu’il est indépendant de ces courants, rejetant les affiliations strictes. Pour lui, la pérennité de ses œuvres dépend justement de son indépendance face aux courants artistiques, voués à disparaître, alors que son œuvre se poursuit.

Chez Saul, cette dimension du plaisir de la peinture ne cesse de s’accompagner de cette dimension politique qui le caractérise, notamment avec les portraits des présidents, (ex. : Ronald Reagan), ou des portraits de personnages au travail. Il s’agit une nouvelle fois de présenter le revers du succès américain.

Dans les années 1980 et 1990, jamais les portraits n’avaient été aussi caricaturés, les visages aussi déformés, les attitudes si provocantes.

De très grosses cigarettes sont fumées à la douzaine, des armes à feu sont prêtes à être utilisées, et les messages contenus dans les bulles comiques provoquent un effondrement qui se ressent néanmoins à travers le plaisir de peindre et de revisiter le pointillisme.

angela davis mogamed ali

« Choquer signifie parler à des gens qui ne veulent pas écouter », explique-t-il, en justifiant son souhait de rébellion. L’initiative, pour autant, n’est pas gratuite : en cherchant le dépassement des tabous, Peter Saul tente de brouiller les pistes, grâce aux émotions provoquées, pour multiplier les interprétations possibles de ses œuvres résolument psychologiques.

Dans cette section, outre une série d’œuvres qui évoquent la « Bad Painting », la grande nef des Abattoirs sera transformée en galerie de portraits, avec un portrait par arcade.

4. Le musée de Peter Saul

Une salle de l’exposition sera consacrée au « Musée de Peter Saul », c’est-à-dire une  galerie de chefs-d’œuvre de la peinture revus et corrigés par l’artiste lui-même.

A la fin des années 1960 et au début des années 1970, Peter Saul commence à mettre plus explicitement en scène une de ses préoccupations majeures : comment peindre et se positionner vis-à-vis de l’histoire de l’art ?

En ce début des années 1970, il commence à mettre en scène des peintres et des courants artistiques, pratique qui revient régulièrement jusque dans les années 2000. L’artiste renoue avec un exercice quasi historique de la peinture : celui de copier ou de se réapproprier des tableaux d’histoire de l’art.

Cependant, loin d’une copie classique, il recrée des œuvres qu’il cite en les transformant entièrement dans son propre style. Par cet acte il s’inscrit pleinement dans la mouvance des artistes Pop qui se gonflent d’irrévérence, mais aussi de moqueries et qui mettent en scène la quête de l’artiste, sans fin, jusqu’à l’absurde, avec cette question récurrente : comment écrire une nouvelle page de l’histoire de la peinture à une époque du tout-image et de sa surconsommation ?

En1953, à la suite de Robert Rauschenberg qui efface de manière provocatrice un dessin de Willem De Kooning, ou encore de Pablo Picasso lancé dans le cycle des recréations (Femmes d’Alger d’après Delacroix, Ménines d’après Velázquez, Déjeuner sur L’herbe d’après Manet), le début des années 1960 voit l’émergence d’artistes, comme Roy Lichtenstein et Andy Warhol, qui s’approprient le passé.

peter saul la joconde

Si ce dernier démultiplie La Joconde (1963), Roy Lichtenstein, quant à lui, transforme dans son style des portraits de femme de Pablo Picasso et des abstractions de Mondrian.

Dans ce même état d’esprit, Tom Wesselmann accroche des reproduc- tions des oeuvres de Matisse, Rembrandt ou Picasso dans ses intérieurs américains ou au sommet de ses Great American Nudes.

Puiser dans l’œuvre des autres comme dans un réservoir d’images devient un acte manifeste et proclamateur qu’accomplissent un certain nombre d’artistes, à l’instar de Peter Saul, ou d’autres peintres contestataires afro-amé- ricains comme Robert Colescott ou Faith Ringgold.

Peter Saul dérobe le cours de l’histoire de l’art et reprend à son compte le défi de la peinture d’histoire et de la modernité artistique héritée des européens, un défi fait d’espoir et de désespoir, une chronologie renouvelée.

On serait tenté de voir là une double américanisation de l’histoire de l’art qui s’affirme conjointement dans un style lisse et coloré, typique de la nouvelle « American Way of Life » et dans le mixage culturel des œuvres.

peter saul fidel castro

Peter Saul réinterprète des figures classiques comme Vélasquez et Rembrandt, ou des artistes pionniers du modernisme comme Picasso, Dali, Duchamp, pour ne citer qu’eux. Avec humour, dans les années 1990, La Joconde, encore elle, bénéficie également d’une réappropriation. Chez Peter Saul, elle vomit des spaghettis et de la pizza avec des yeux exacerbés, toujours aussi cartoonesques.

5. And More

Dans ses dernières toiles, la richesse de l’information agrandit l’espace et traduit une certaine générosité dans le geste de l’artiste, qui correspond à une époque du tout-information et aux raccourcis caricaturaux.

Peter Saul est depuis les années 60 l’ennemi auto-proclamé du politiquement et artistiquement « correct ». Il dérange volontiers les règles de l’art moderne. Il est l’héritier politique et le créateur d’une nouvelle forme de peinture historique.

Son message semble donc avoir enfin trouvé le succès qu’il mérite, plus de deux décennies plus tard. Pour lui, l’art a toujours été un moyen de révolte contre les normes, une alternative au comportement criminel qu’elles peuvent engendrer.

Il continue d’user de cette même liberté de ton qui assume tant son étrangeté que sa naïveté, deux sentiments dans lesquels il puise une force contestataire et critique toujours réactualisée, ceci fait de Peter Saul un modèle pour toute une jeune génération. Sous l’humour et l’outrance, son art est l’expression d’un travail réfléchi, capable de divertir et de réveiller à la fois.

Informations Pratiques

Peter Saul. Pop, Funk, Bad Painting and More

Du 20septembre 2019 au 26 janvier 2020

exposition retrospective peter saul toulouse

Les Abattoirs

Musée – Frac Occitanie Toulouse

Musée d’art moderne et contemporain

Fonds régional d’art contemporain

76 allées Charles de Fitte

31300 Toulouse

www.lesabattoirs.org

Un catalogue bilingue inédit comprenant des textes de John Yau, Annabelle Ténèze et de l’artiste lui-même est édité chez Hatje Cantz à l’occasion de l’exposition.

Cette exposition est reconnue d’intérêt national par le ministère de la Culture/Direction générale des patrimoines/Service des musées de France. Elle bénéficie à ce titre d’un soutien financier exceptionnel de l’État.

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Bernie
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Moi, c'est Bernie. Incubateur d'actualités pour vous informer autrement.

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8 commentaires

    • Oh que non, mais il faut prendre le temps de s’intéresser à la démarche de cet artiste. Il a 84 ans et continue de peindre tous les jours, avoir rencontré cet artiste est un moment inoubliable.

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