On en trouvait partout des livres, y compris sous son lit. Tu ouvrais un placard et hop un livre s’en échappait Écrire une microfiction signée Yves Carchon.
Quand je l’ai connue, elle écrivait déjà. Moi, je n’avais jamais touché à un stylo ou à un livre. Je m’étais dit, à tort, que ces choses-là appartiennent à certains.
Erreur. Une fois chez elle, comment ne pas voir que ses murs étaient couverts de livres ! Une cathédrale de bouquins, m’étais-je dit à peine entré. Certains étaient en pile sur le parquet, d’autres traînaient sur un fauteuil…
On en trouvait partout des livres, y compris sous son lit. Tu ouvrais un placard et hop un livre s’en échappait et t’écrasait un pied… Elle m’avait dit qu’elle consacrait tous ses après-midis à l’écriture.
D’accord. Resté seul, elle installée sur la terrasse, je fis le tour de sa bibliothèque et furetai ici et là. Je me surpris à prendre un livre et à l’ouvrir. A le palper, comme un sauvage qui découvre une plante inconnue qu’il subodore bonne pour la tribu.
« T’as qu’à piocher dans mes bouquins, » qu’elle m’avait dit. J’en saisis d’autres, que je reposais aussitôt, et d’autres encore. Le sort voulut que je tombasse sur le Monte Christo d’Alexandre Dumas. L’ouvrant, je sentis s’exhaler un grand air d’océan et ce dès les premières lignes. Je passais mon après-midi à suivre les mécanismes d’une vengeance irrévocable.
Quand je levais le nez de mon bouquin, elle était devant moi, l’air vaguement ébouriffée. « On se la boit cette bière ? » — Je veux, j’ai dit.
En sirotant mon verre et en jetant un œil vers la terrasse, j’ai vu un feuillet qui volait. Puis un autre. J’ai foncé bille en tête. J’ai eu juste le temps de rattraper les bouts de texte qui se barraient. Elle était là, m’ayant suivi. J’ai aperçu la table, la machine à écrire et la pile de feuillets.
Bien des années plus tard, je peux encore dater précisément comment naquit ma vocation d’écrire : en cet instant où j’avais pu récupérer ces feuillets s’envolant.
Une microfiction signée Yves Carchon, écrivain, auteur de "Riquet m'a tuer", de "Vieux démons" et de « Le Dali noir »