Une des questions que l’on m’a le plus posée tout au long de ma vie de baroudeuse est « Mais tu n’as donc pas peur de voyager toute seule comme ça ? ». Je réponds toujours poliment. Mais j’avoue que ça me fait hurler. Est-ce parce que je suis une femme ? Ou bien est-ce le concept-même de solitude à l’étranger qui sembler faire flipper tant de monde ?
J’ai aussi essuyé des remarques fort aimables du style : « Ouais, c’est bien beau… Mais ne viens pas te plaindre le jour où tu te ramasseras une bombe dans le cul ».
Ou encore, au retour de mon premier voyage en Inde, dont je revins totalement éreintée : « Oh, ces pays-là (j’insiste sur la très vilaine connotation de ces italiques), avec les maladies et les attentats, ce n’est pas pour nous ».
Bien sûr, tous ces gens qui n’ont jamais bougé leur cul d’Europe occidentale alors qu’ils en avaient plus que les moyens sont nourris de préjugés, d’aprioris de base et, n’ayons pas peur des mots, d’un certain racisme, issu de leur manque de culture, de curiosité et d’audace.
Je ne souhaite pas jouer les fausses modestes, mais je ne me suis jamais sentie audacieuse. Je suis simplement heureuse de balader mon Nikon plusieurs fois par an, par monts et par vaux, dans des pays qui m’attirent, m’intriguent et me fascinent.
Évidemment, je ne pouvais pas prévoir que j’allais subir un atterrissage de montgolfière quelque peu mouvementé en Cappadoce, que j’allais me choper une fantastique hépatite au Viet Nam (qu’on ne me parle plus jamais d’huile d’arachide…), qu’un lion de mer allait me coller, par jeu et par affection, un coup de boule à Gran Canaria, que j’allais avoir de sacrés problèmes en traversant la frontière jordano-israélienne à pied et encore moins que j’allais rencontrer le grand méchant coup de foudre en plein milieu de la mer Egée.
Cependant, j’ai été violemment heurtée par le comportement, les messes basses et les piques à peine voilées émanant d’autres touristes.
Oui, ceux-là, ils sont tous en couple ou en famille, ont besoin d’un guide comme un nourrisson a besoin de sa mère et ont toujours ce côté prudent qui semble vouloir dire « Oh, c’est intéressant, mais chez nous… ».
Il me semble qu’ils ont besoin d’un conjoint, d’un enfant ou de référence comme un point d’arrimage à leur réalité quotidienne.
Mais alors, pourquoi partir ?
Je n’ai cité que quatre des aventures aussi passionnantes qu’imprévues que j’ai vécues, mais je ne compte que sur les doigts d’une main les voyages où je ne fus pas surprise, ni en bien, ni en mal.
Malgré toutes ces années passées en avion, en bateau, en voiture, je garde un étonnement permanent et même si je suis toujours un peu nerveuse à l’idée de partir, sauf une seule exception, je ne suis jamais rentrée qu’en pleine forme, exaltée et totalement imprégnée des choses, des lieux et des gens que j’ai rencontrés.
Et l’avantage de voyager seule, surtout pour une femme, n’est pas la soi-disant prise de risques, mais la fabuleuse opportunité de s’ouvrir au Monde, d’être confrontée à d’autres réalités et de largement favoriser les échanges humains. Que ce soit dans une foule dense et opaque à Jaipur, sur une coquille de noix tanguant sur l’Océan Atlantique, face à la mer ou à un volcan, ou totalement seule devant la lune brillant dans le désert, j’éprouve toujours un intense sentiment de plénitude et de liberté.
Ainsi, je crois que les rencontres les plus improbables que l’on puisse faire au cours de ces périples ne sont pas des gurus indiens, des derviches tourneurs, des expats alcooliques, des femmes-girafes ou des octogénaires burinés travaillant dans leur plantation d’oliviers.
Dégagée de toute contrainte sociale, ne devant pas faire semblant ou tenir une place, un rôle ou un rang quelconque, ce que j’ai rencontré de plus improbable au cours des dernières années…
Ce n’est rien d’autre que moi-même et ma propre vérité.