covid-19-patville-le-feuilleton-chapitre-9-chagrin-d-amour-fiction

Covid-19 : Patville Le Feuilleton | Épisode 29

Déconfinement jour 152… « Patville, Journal en temps de coronavirus: Le Feuilleton », un feuilleton fiction, écrit par Yves Carchon, autour du coronavirus. A suivre tous les vendredis pendant la période de pandémie.

bernieshoot patville journal coronavirus article

Patville, Journal en temps de coronavirus

Chapitre 10 : Un petit gars du Sud

Le camion était prêt. Un gros camion de victuailles destiné à Oraculo, qu’il livrait une fois par semaine. Reno avait suivi le chargement d’un œil distrait, en tétant son cigare. L’héro était déjà à bord, tout au fond du camion, dans un caisson à bières ne payant pas de mine.

Par prudence mais aussi par superstition, il opérait toujours de même : charger la came avant de remplir le camion à ras bord. Il savait qu’en cas de contrôle, ça dissuaderait les flics de se lancer dans une hypothétique fouille. Trop fastidieux ! Même le shérif le plus buté lâcherait l’affaire. Enfin, c’est ce qu’il s’était dit, ne pensant pas qu’un jour il tomberait sur un bec.

C’est vrai aussi qu’il n’y avait jamais de fouille, jamais aucun contrôle sur son trajet. Pour cause ! Dans ses accords passés avec Murphy, le bras droit de Blackstone, les choses avaient été très claires : il avait carte blanche. Blackstone, omnipotent maître du bagne, lui avait donné toute latitude pour se livrer tranquillement à son commerce. Mais malgré tout, en petit gars du Sud ayant connu pas mal de déboires, Reno n’était pas homme à croire en la bonté humaine, ni même à faire confiance à des gars comme Blackstone.

Son enfance miséreuse dans le Mississipi lui rappelait sans cesse combien il avait été confronté très jeune à la lutte pour la vie. Impitoyable lutte où sa confiance envers les autres était restée très limitée. Il se méfiait de son prochain comme de la peste. Et il avait appris que les plus sûrs accords passés ne tenaient pas longtemps. Comme disait son vieux père : « Les accords ne sont faits que pour ceux qui y croient. » Et il n’avait pas tort, la vie s’étant chargée de lui montrer combien son vieux avait raison.

Quand il était sur le départ, lorgnant du coin de l’œil les hommes de peine qui chargeaient, des souvenirs lui revenaient, comme des clichés tout écornés : l’image de son père, fermier et éleveur de poules ; ses premières livraisons de volailles et d’alcool de maïs ; le maquignon qu’il était devenu en vendant des chevaux, volés le plus souvent, mais que lui revendait, sans se soucier d’où ils venaient…

Et ce trafic de Winchester qui lui avait rapporté gros !

Un max, même !

C’est grâce à ce pactole qu’il avait pu se payer son camion et commencer ses livraisons dans les prisons et hôpitaux de pas mal de comtés. Il avait eu souvent affaire à des infirmières-chef ou des matonnes-chef, toutes séduites par sa joviale faconde et son minois d’acteur. « Une gueule de cinéma, qu’elles lui disaient », en caressant sa joue. Ça s’était pas mal goupillé son affaire et il l’avait rapidement développée, arguant qu’il travaillait déjà pour telle prison ou pour tel hôpital.

Il avait eu une aventure ou deux, autant pour le plaisir que pour asseoir son ascendant et élargir son territoire. Sans état d’âme aucun, il s’était dit qu’on ne réussit pas sans mouiller la chemise. Ça lui avait ouvert des portes, ses deux soutiens occupant toutes les deux des postes stratégiques dans l’intendance.

Dans son commerce de carabines, Reno s’était frotté à un tout autre monde et avait débusqué au fil de ses rencontres — sans vraiment le comprendre, l’âme de l’Amérique. Au fil de ses échanges avec les acheteurs, il lui était vite apparu que posséder une arme à feu participait d’une relation étroite avec ce qui fondait la grande nation américaine.

Évidemment, il n’avait pas élaboré avec clarté une telle réflexion, mais il avait senti confusément ce lien. Il s’était dit qu’il touchait là à quelque chose d’inhérent à la fibre autochtone, à un réflexe qui remontait au temps de l’installation des colons.

Il revoyait aussi l’époque où, encore jeune enfant, il avait assisté dans son Etat du Sud aux pendaisons des Noirs et au tragique spectacle de leurs femmes violées et de leurs cases brûlées. Reno connaissait bien la haine et la sauvagerie humaines, combien violence et crimes ne demandaient qu’à éclater ou être perpétrés.

Cette prise de conscience l’avait précocement armé contre le monde et l’avait en partie guidé à faire des choix. Pas forcément les bons, mais c’étaient bien les seuls qui s’étaient présentés à lui.

Aujourd’hui, il disait volontiers qu’il s’était fait tout seul, à la force du poignet, et que son entreprise avait pris peu à peu une sacrée envergure. On pouvait même la regarder comme une grande réussite. Parti de rien, il avait prospéré à force de travail et de talent. Il était devenu un authentique self made man, un vrai Américain vivant de son business.

Mais ces propos grandiloquents, c’était pour la gloriole. Quand il se retrouvait avec lui-même à mâcher son cigare, il savait bien qui il était resté : un pauvre gars du Sud venu de son Mississipi natal qui s’en était sorti tant bien que mal.

Le chargement de bouffe ayant été fait dans les règles, Reno avait fermé les portes arrière de son camion. Il avait jeté son mégot de cigare avant d’aller chercher une bouteille de soda au drugstore du coin. Puis il était allé s’asseoir sur une chaise en plastique, traînant sur l’aire de la station-service de son ami Diego, dans le seul but d’attendre les deux filles qui avaient du retard.

Deux jeunes poulettes qu’Irma avait choisies pour le voyage d’Oraculo. Deborah et Audrey. Irma, matrone obèse possédant un cheptel avenant, était la mère maquerelle qu’il avait contactée quand Murphy avait commandé des filles pour satisfaire les brutes d’Oraculo.

Depuis, Reno en avait vu passer des mômes, ça oui ! De belles filles, avec ce qu’il fallait pour enflammer les cœurs et tout le reste. Un arrache-cœur de voir ces gosses finir entre les pattes des détenus. C’était comme de donner du caviar aux cochons, qu’il ruminait souvent, Reno, en larguant sa pulpeuse cargaison sous le regard concupiscent des rustres.

En attendant, il fit signe à Diego, assis plus loin dans sa cabine, qui guettait le client. Le vent poussait de gros nuages en direction d’Oraculo, plus noirs que la fumée sortant des trains qui marchaient au charbon. Souvent, quand il avait franchi le seuil du désert, le temps tournait d’un coup. Il pensait rencontrer la pluie et c’étaient des nuages de sable qui accompagnaient son parcours. D’autres fois, le soleil s’éclipsait et la pluie arrivait, fouettant la piste avec violence et ruisselant sur le pare-brise de son camion.

Patville, un feuilleton signé Yves Carchon, écrivain, auteur de « Riquet m’a tuer« , de « Vieux démons« , de « Le Dali noir », et de son nouveau polar « Le sanctuaire des destins oubliés »

yves-carchon-ecrivain

Retrouvez

Covid-19 : Patville Le Feuilleton | Chapitre 9 | Chagrin d’amour

Covid-19 : Patville Le Feuilleton | Chapitre 8 | Fils à papa

Covid-19 : Le Feuilleton | Chapitre 7 | Les Terres Hautes

Covid-19 : Le Feuilleton | Chapitre 6 | Collins contre tous

Covid-19 : Le Feuilleton | Chapitre 5 | Le bagne d’Oraculo

Covid-19 : Le Feuilleton | Chapitre 4 | Le village de nous autres

Covid-19 : Le Feuilleton | Chapitre 3 | Les culs terreux

Covid-19 : Le Feuilleton | Chapitre 2 | Les culs terreux

Covid-19 : Le Feuilleton | Chapitre 1 La fin des temps

Spread the love
Bernie
Bernie

Moi, c'est Bernie. Incubateur d'actualités pour vous informer autrement.

Articles: 11195

14 commentaires

  1. Un business qui tourne bien pour Reno , mais pour combien de temps encore, car il me semble que Jeff ne va pas lui faire de cadeaux .
    Bonne soirée

    • It’s not exactly that, it’s not a real lockdown, and only 6 cities are concerned by the lockdown of the bars at 10 pm

  2. Que de souvenirs …
    Mais vraiment tout tournait autour du pognon « sale » !
    Un autre monde, spécial.
    Un passage rapide car ma connexion a encore coupé 2 fois, hier, alors j’en profite pendant que ça fonctionne !
    Vraiment marre.
    Je te souhaite une bonne fin de semaine en profitant des derniers jours de beau temps avant la période de froid annoncée.
    Gros bisoux et … à je ne sais pas quand !

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *