Covid-19 : Le Feuilleton | Épisode 16

Déconfinement jour 54… « Journal en temps de coronavirus: Le Feuilleton », un feuilleton fiction, écrit par Yves Carchon, autour du coronavirus. A suivre tous les vendredis pendant la période de pandémie.

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Journal en temps de coronavirus

Chapitre 5 : Le bagne d’Oraculo (suite)

Il y avait bien longtemps que beaucoup avaient oublié depuis quand ils avaient rejoint cette étuve solaire. Abrutis de chaleur, hébétés, moitié-fous, certains avaient fini par renoncer à aligner des bribes de pensée, un semblant de raison, n’écoutant plus que leur instinct et l’obsédante antienne de la survie.

Les garde-chiourmes, les tabassant sans cesse, leur rappelaient sans cesse qu’ils n’étaient que des merdes. Des moins que rien, des larves de vermine. Blackstone ne renonçait jamais à réciter le même bréviaire : éradiquer à la racine toute tentative de s’extraire du troupeau ou toute velléité d’insoumission.

L’identité de chaque détenu était ainsi gommée, au seul profit du groupe qui devait s’activer comme une laborieuse fourmilière.

A l’origine, Oraculo avait été construit comme un fort militaire. Tout en rondins, avec tourelles de guet aux quatre coins, une lourde porte à deux battants, un fort bâti comme au bon temps de l’époque héroïque. Une sorte de vigie dressée dans un paysage mort, capable de bouter un ennemi qui serait sorti du désert. Après bien des années, il s’était avéré que le danger s’était probablement perdu en route.

C’est le Major Connors, sanglé dans sa tunique bleue, qui commandait la dernière compagnie, qui avait eu ce mot après avoir quitté le fort, dans. Et ce mot-là, plein d’autodérision, avait fait rire plus d’un responsable en haut lieu. Connors avait même été décoré, pour ses mérites probablement, non pour son ironie mordante.

Quand l’armée officielle avait abandonné le fort pour laisser le champ libre aux scorpions et crotales, aux vautours qui planaient, on s’était décidé à envoyer là-bas les plus grand criminels que la Terre ait portés. D’authentiques tueurs, qu’il fallait museler ou envoyer au diable.

Les autorités s’étaient dit qu’en éloignant ces meurtriers des villages peuplés par les honnêtes gens, on pourrait circonscrire la criminelle engeance, tout en usant d’une manœuvre corvéable à merci pour concasser des pierres dont on aurait besoin pour les routes du pays.

C’est ainsi que les tous premiers arrivants à Oraculo avaient été chargés de construire avec sable et cailloux un mur d’enceinte en dur, haut de dix mètres. Le camp s’était subdivisé ensuite en des dizaines de cellules, qui seraient destinées aux futurs détenus, et renforcé d’une tour centrale ayant vue imprenable sur le pénitencier entier.

A cette époque, Blackstone était déjà à la manœuvre. Les autorités du comté l’avaient choisi pour son passé de militaire et son passif de tortionnaire, lié à la période où il avait fallu mater les dernières hordes de sauvages qui s’opposaient à l’implantation des colons. Des Sioux pour la plupart, derniers guerriers s’étant battus contre les Visages pâles.

Blackstone, à la tête de ses troupes, et ce en l’espace d’une dizaine d’années, s’était fait une réputation sanguinaire, qui avait dépassé les bornes du comté, puisque beaucoup le surnommaient Bloodstone. Sobriquet terrifiant, qui précédait souvent l’arrivée de sa troupe et qui faisait, sur chaque tête, dresser plus d’un cheveu.

Quand un pareil surnom lui était revenu aux oreilles, il s’était demandé s’il lui fallait le prendre en bonne part. Mais son orgueil démesuré, sa fatuité et son total aveuglement s’en étaient contentés et il avait fait mine d’ignorer tout, flatté intérieurement de ce qu’il regardait comme un titre de gloire.

Aussi, ce surnom-là l’avait-il suivi, lui collant à la peau comme un habit taillé à sa mesure. Il lui avait ouvert tout grand les portes du bagne d’Oraculo, en qualité de directeur. Dans son sillage, l’avaient suivi deux hommes avec lesquels il avait combattu les Sioux et qui étaient acquis à sa personne : Murphy, son fidèle aide-de-camp, plus dévoué qu’un chien, et Powers, l’infirmier qui avait recousu sa cuisse blessée par une flèche à Sugar Point.

Les deux, à peine désignés seconds couteaux au bagne d’Oraculo, avaient été nommés Chef des gardes pour Murphy et médecin-chef pour Powers.

Blackstone, au fil du temps, avait délégué à Murphy une part de ses pouvoirs. C’est ainsi que le Chef avait acquis une forte autorité sur tous les garde-chiourmes qu’il dirigeait, n’hésitant pas à se débarrasser de l’un d’entre eux si, par malheur, il discutait ses ordres.

En accord avec Blackstone, qui regardait les choses de loin tout en étant très averti des menus riens advenant sur le site, Murphy avait compris que son autorité ne pourrait totalement s’exercer que s’il avait l’ultime sagesse de pactiser avec les fortes têtes qui régissaient le collectif du camp. Deux clans qui s’opposaient et sur lesquels jouait Murphy.

C’est justement l’une de ces têtes brûlées — Jim Hayes, appelé Le Rat pour son visage très proche du musaraigne, qui avait soufflé à Murphy l’idée d’alimenter en came et en putains la troupe d’abrutis peuplant Oraculo. Il avait même le nom d’un gars qui pourrait faire l’affaire pour ce boulot : Allan Reno. Si Murphy en était d’accord, il lui dirait où débusquer cet as de la débrouille.

— C’est qui ce type ? s’était enquis Murphy, plutôt méfiant.

— Un gars réglo, pas un foireux, avait chuinté Le Rat.

Ayant perdu pas mal de dents, il crachotait ses mots. Fallait tendre l’oreille, si on voulait l’entendre. Murphy avait hoché la tête.

— Et t’es sûr qu’y ‘aura pas de problèmes ?

— Chur, avait assuré Le Rat.

Sur ce, après consultation et accord de Bloodstone, Murphy s’était mis en cheville avec ce diable de Reno.

Selon Le Rat, Reno avait pris ses quartiers dans le comté voisin, là où la loi ne nuisait pas à ses trafics. Sous couvert de livrer en denrées comestibles les prisons alentour, dans un rayon de cinquante kilomètres à la ronde, couvrant trois comtés limitrophes, Reno fourguait d’autres substances, dont l’héroïne, à des prix abordables défiant toute concurrence.

Mais il n’y perdait pas. Il s’y retrouvait sur le nombre, vu l’exigeante et abondante demande.

A suivre…

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Patville, un feuilleton signé Yves Carchon, écrivain, auteur de « Riquet m’a tuer« , de « Vieux démons« , de « Le Dali noir », et de son nouveau polar « Le sanctuaire des destins oubliés »

 

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Bernie
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10 commentaires

  1. tout ce que l’on peut espérer c’est que ce sataner covid ne revienne pas….car notre pays comme les autres sont bien en difficulté et merci pour tes compliments, c’est toujours très agréable….belle journée de ce vendredi qui débute avec un ciel un peu nuageux….à voir

  2. Journal en temps de déconfinement… lundi en visite chez mon toubib, prise de sang etc pour mon opération de ce jour, il m’a dit madame nous en prendrons pour deux ans avant de ne plus en parler… ! Un sacré long feuilleton… @+ JB

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