Covid-19 : Le Feuilleton | Épisode 13

Déconfinement jour 33… « Journal en temps de coronavirus: Le Feuilleton », un feuilleton fiction, écrit par Yves Carchon, autour du coronavirus. A suivre tous les vendredis pendant la période de pandémie.

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Journal en temps de coronavirus

Chapitre 4 : Le village de nous autres (suite)

Ce premier jour, toujours selon Edward, alors qu’il avait rejoint sa voiture de service sur le coup de midi, Collins avait noté que ça braillait sérieux à l’intérieur du Cactus’s club, le seul bar de Patville. Généralement, quand le vent se levait, les têtes se vidaient d’un coup.

Une palpable tension devenait perceptible. Les gens n’étaient que nerfs, humeur et impatience ; ça augurait de franches empoignades en perspective. Faudrait surveiller tout ce monde, s’était promis Collins.

L’après-midi, poussant la porte du bureau, il avait retrouvé l’odeur de patchouli dont s’aspergeait bien volontiers Emy. Elle avait fait un peu de ménage dans le bureau et avait installé une table où attendait la machine à écrire. Assise sur une chaise derrière la table, elle avait ôté ses chaussures et s’adonnait à vernir d’un rouge vif les ongles de ses mains.

Du même rouge qui recouvrait ses lèvres. Jeff avait fait la moue en passant devant elle, sentant une odeur de vernis lui chatouiller le nez. Son œil était tombé sur les jambes nues d’Emy. Il s’était affalé dans l’imposant fauteuil qui l’attendait derrière le grand bureau.

— Eh bien, ne sommes-nous pas des rois, Emy ? qu’il avait dit, gonflé d’orgueil.

Et il avait ôté sa veste et retroussé les manches de sa chemise.

Emy avait levé la tête et lui avait souri.

— On fait quoi, maintenant ? avait-elle demandé.

— On attend.

Ça, c’était Ed, le gars de la mairie qui, étant repassé pour voir si rien ne leur manquait, avait rapporté une telle scène. Le reste de la journée nous avait été révélé par la bouche même de Mme Holy, à la fois dame patronnesse, mercière de son état et grand tante d’Emy.

Mme Holy connaissait bien la mère de Jim, puisqu’elle prêtait main forte les jours où il fallait ranger le temple. Comme disait Jim, elle et Mme O’Hara étaient en cheville et lui, du coup, avait l’oreille de Mme Holy. A chaque fois que je l’accompagnais dans le saint des saints de Mme Holy, nous avions droit à des gâteaux et pour chacun un ou deux verres de sirop d’érable. Comme elle était à elle seule la gazette de Patville, nous n’avions plus qu’à ouvrir nos oreilles pour rassembler tout ce qui se disait ou se faisait dans le village.

C’est ainsi que Mme Holy nous avait fait un bref topo sur qui était Emy, une pauvre fille, avait-elle dit, qui ayant perdu tôt son père, avait été chargé de s’occuper de sa mère très malade. Une maladie qui atrophiait ses jambes et qui la condamnait à l’invalidité. La pauvre.

Ça faisait donc deux pauvres dans la famille, je m’étais dit. « Brave fille, mais manquant de maturité, avait soupiré la mercière. Ecervelée, légère, une vraie tête folle. J’ai dû l’aider et l’ai même engagé pour tenir avec moi ma boutique, mais ça n’a pas duré ! Voilà-t’y-pas qu’elle rencontre ce Collins, un gars qui, paraît-il, serait sorti droit de West Point, et qui serait resté cadet, puisqu’il aurait interrompu très vite sa formation là-bas… ».

Mme Holy, nous resservant une rasade de sirop, nous avait dit qu’un type comme Collins n’était pas homme à rendre heureuse Emy. « Un beau parleur, c’est tout ! » avait-elle conclu.

Mais ça, c’étaient des racontars. Jim, n’étant pas le dernier des idiots, avait su s’immiscer dans les petites papiers d’Emy. Un soir, au bal, tandis que Jeff Collins éclusait moult bières, riant et palabrant au bar avec les plus invétérés poivrots, il avait vu qu’Emy était assise à une table et qu’elle était bien seule, avec son air chafouin.

Elle portait une robe écarlate, largement échancrée, montrant qu’elle en avait sous le tissu, et elle était chaussée de bottines à talon. Les mêmes que portaient Mme Holy, mais en plus chic. Peut-être que c’était Jeff qui lui payait ses frusques et ses chaussures, et qu’il crachait au bassinet sans demander son reste.

Emy, pour l’occasion, avait rassemblé ses cheveux en chignon et elle était fardée et maquillée comme une fille. Un mot que j’avais découvert dans la bouche de Jim et qui en disait long sur les agissements d’une telle personne…

Toujours est-il que Jim avait dû prendre les choses en mains. En gentleman qu’il était déjà, — et pour ça, je dois dire, j’avais beaucoup à apprendre de lui, —Jim avait donc porté à l’esseulée Emy une limonade, profitant de l’aubaine pour échanger quelques mots avec elle. Emy avait été séduite par ce gamin qui lui parlait, attentionné et tout.

Bref, ils avaient fait connaissance et, de fil en aiguille, Jim était devenu une sorte de confident d’Emy. Très vite, il avait eu une vue imprenable sur tout ce qui pouvait se faire dans le bureau de Jeff ou même sur ce qui s’y disait.

Et l’empathie de Jim faisait merveille. Emy voyait en lui un frère plus jeune qu’elle aurait pu avoir, un inoffensif copain vu l’âge qu’il affichait. Quand nous la croisions dans la rue, elle ne manquait jamais d’ébouriffer sa chevelure en signe d’amitié.

bernieshoot yves carchon ecrivain auteur

Patville, un feuilleton signé Yves Carchon, écrivain, auteur de « Riquet m’a tuer« , de « Vieux démons« , de « Le Dali noir », et de son nouveau polar « Le sanctuaire des destins oubliés »

 

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Bernie
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10 commentaires

  1. je vais bientôt commencé la lecture d’un de ces bouquins dès que j’aurai fini celui en cours….Bon weekend Bernie

  2. je trouve que le port du masque est de moins en moins mis….et la distance n’en parlons pas….aux caisses de certain magasins, c’est collant, plus de produits pour se laver les mains…..à se demander si il y a eu le covid, je pense qu’il est pour certain c’est déjà bien oublié…..j’espère qu’il n’y aura pas de rechute….passe un doux vendredi

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